Guénaël Revel : "Aujourd'hui, le concurrent de nos effervescents, c'est le prosecco"
Depuis le Canada où il est journaliste, auteur, chroniqueur télé-radio et animateur du site monsieurbulles.com, Guénaël Revel observe le marché mondial des vins effervescents. Nous l'avons interrogé sur les évolutions de ce marché et la place que les effervescents français y tiennent.
Depuis le Canada où il est journaliste, auteur, chroniqueur télé-radio et animateur du site monsieurbulles.com, Guénaël Revel observe le marché mondial des vins effervescents. Nous l'avons interrogé sur les évolutions de ce marché et la place que les effervescents français y tiennent.
Quelles évolutions importantes remarquez-vous sur le marché mondial des effervescents ?
Il y a encore quelques années, les bulles étaient considérées comme un vin frivole que l'on prend à l’occasion et pour une célébration. C’est de moins en moins le cas. Aujourd'hui, elles sont aujourd’hui considérées comme des vins à part entière. Partout dans le monde, le consommateur les accepte à table et non, plus seulement, en apéritif ou au dessert.
L'autre tendance, c'est la proposition de catégories moins sucrées. La catégorie Brut est moins chargée en sucre pour la plupart des méthodes traditionnelles. Les élaborateurs de méthode Charmat, notamment ceux de prosecco ou de sekt, proposent de plus en plus la catégorie Brut, alors qu’il y a 20 ans, leurs vins étaient élaborés en Demi-Sec ou Sec. Le consommateur veut boire moins lourd, plus frais, plus digeste.
Le crémant se développe à l'export mais avec les autres mousseux AOP hors champagne, il ne représente que 14% des volumes d'effervescents français exportés et 4,7% en valeur. Comment peut-il progresser ?
La filière crémant a autant d’atouts, voire davantage que celle du prosecco, mais elle est simplement en retard. La filière a tous les moyens d'en faire un mousseux haut gamme avec du prestige à construire. Il ne doit plus être le mousseux qu’on achète à la place du champagne pour des raisons de budget, il doit être acheté pour lui-même, pour sa personnalité, sa région, ses cépages.
Huit bulles distinctes pour connaître la richesse de la France, c’est ça qu'il faut vendre ! Cela passe aussi par une révision à la hausse des tarifs parce que le prix est la signature d'une identité marquée. Je fais le tour du monde des bulles depuis 20 ans et je suis toujours sidéré de constater qu’à qualité égale, les crémants sont moins chers qu’un banal mousseux local ou qu’une méthode traditionnelle espagnole ou américaine. Même au Québec, les mousseux sont plus chers que les crémants !
Quelles sont les concurrents des effervescents Français à l’export ?
Aujourd’hui, le concurrent, c’est le prosecco. Il concurrence tous les mousseux dans le monde. Avec 600 millions de bouteilles de prosecco DOC et DOCG, les Italiens ont encore de beaux jours devant eux. Le franciacorta italien n’est pas un concurrent puisque qu'il est consommé à 85 % en Italie. Le cava est un concurrent grâce à son tarif, pas en raison de sa qualité. C’est aussi pour cela que la DO cava traverse une crise. Le sekt allemand se boit essentiellement en Allemagne et tous les mousseux russes et ukrainiens sont consommés dans le nord-est de l’Europe. Les pays d’Amérique du Nord et du Sud qui élaborent des mousseux vendent 90 % de leur production chez eux. C’est pourquoi la filière française et ses 550 millions de bouteilles a encore du potentiel à l’export à condition de mettre en place une stratégie.
En France, le succès du prosecco et du cava change-t-il l'image que le consommateur a des effervescents ?
Leur succès contribue sans doute à valoriser les bulles en général, ce qui est positif pour les vins effervescents en général. Jusqu’à aujourd’hui, pour le consommateur profane, le vin effervescent, c'était le champagne. Il n’achetait pas forcément une bouteille de champagne, mais il disait “J’ai apporté du champagne”. Avec cette nouvelle offre qui est mondiale, le consommateur va peut-être mettre un nom précis sur la bouteille de vin effervescent qu’il achète. Avec une information bien positionnée, le consommateur va désirer découvrir d'autres vins effervescents.
Faut-il craindre l’arrivée du prosecco rosé ?
À court terme, sans doute. Il sera lancé en 2020. Il va y avoir l’effet nouveauté. Toutefois, il y a des rosés effervescents dans le monde entier, meilleurs et moins bons que le prosecco. À moins qu’il fasse 200 millions de cols par année, je ne pense pas que sur le long terme, le prosecco rosé va déranger les autres mousseux.
Y’a t’il un créneau pour les IGP effervescentes ?
Localement, oui. Les vignerons qui vont faire des bulles en IGP les vendront dans leur région, chez eux, au domaine. Toutefois, liées à l’appellation de vin tranquille dont elles sont issues dans la hiérarchie vinique, elles seront toujours perçues comme une frivolité accessible.
La méthode d’élaboration ou le cépage ont-ils une importance pour séduire les consommateurs ? Est-ce que c’est ça qui segmente le marché ?
Je pense même que c’est avec ces deux paramètres que l'on peut conquérir de nouveaux marchés. Le terroir, les cépages, puis la méthode d'élaboration font la différence. La séduction passe toujours par la différence.