Matériels viticoles : la fiabilité est-elle en baisse ?
Sur les réseaux sociaux, des viticulteurs regrettent le manque de fiabilité des machines agricoles de dernière génération. Ces mécontentements sont-ils toujours justifiés ? Enquête.
Sur les réseaux sociaux, des viticulteurs regrettent le manque de fiabilité des machines agricoles de dernière génération. Ces mécontentements sont-ils toujours justifiés ? Enquête.
La fiabilité des matériels est-elle en baisse ? C’est tout du moins ce que semblent dénoncer certains viticulteurs. Un message exacerbé par les réseaux sociaux qui facilitent la communication entre les exploitants concernés. Mais l’appréciation sur la qualité des matériels peut se décomposer en plusieurs points.
1 – Des matériaux et composants de bonne qualité
Jean-François (nom d’emprunt), viticulteur en Gironde, est particulièrement remonté contre un constructeur, car il s’est vu livrer des bennes à vendange dotées d’une caisse en inox piquetée de rouille. « Elles sont arrivées la veille des vendanges, déplore-t-il. Je n’ai pas eu d’autres choix que de travailler avec. » Malgré un aller-retour de ces matériels à l’usine, le problème est toujours présent. « Et le constructeur ne répond plus à mes appels », regrette Jean-François, qui a été contraint d’enclencher une procédure judiciaire. Même son de cloche chez Olivier Compagnon, viticulteur et céréalier à Les Touches-de-Périgny, en Charente-Maritime, qui a constaté des faiblesses sur son pulvérisateur reçu neuf en milieu de campagne 2021.
« Bien que consciencieux avec mon matériel – le pulvé a été correctement hiverné et remisé au propre et au sec sous un hangar – j’ai 11 buses sur les 36 de l’appareil qui ont cassé dès le premier traitement de la saison 2022, explique le viticulteur. Et on est une dizaine d’acheteurs de cet appareil dans la région dans la même situation. À chaque traitement, il faut changer 5 à 6 buses. » Si le problème a été reconnu par le constructeur, il tarde à être résolu.
Avec la crise du Covid-19 et la pénurie de pièces, les firmes pourraient être tentées de choisir d’autres composants moins chers et/ou de moins bonne qualité, pour contenir le prix du matériel et les délais de livraison. Une stratégie qui n’est pas gagnante sur le long terme. « Avec les problèmes de fournitures de composants et de matières premières, notre crainte était de voir la qualité des matériels se dégrader, confie Loïc Morel, président du Sedima, le syndicat des concessionnaires de matériels agricoles et espaces verts. Nos enquêtes trimestrielles auprès de nos adhérents nous indiquent qu’il n’en est rien. Les délais de livraison ont été rallongés, mais la qualité des matériels ne semble pas avoir été impactée. Ce qui est rassurant. »
2 – Soigner le montage et la conception
Chef de culture au lycée viticole de Davayé (Saône-et-Loire), Adrien Gonon a réceptionné en 2021, sur l’exploitation de l’établissement, une cellule de pulvérisation avec une cuve qui fuyait, des tuyaux bouchés et des flux d’air qui n’étaient pas identiques d’une descente à l’autre. « Et surtout, même en raccourcissant les tuyaux au maximum, ça ne soufflait pas assez pour faire bouger le feuillage et avoir une bonne pénétration », se souvient Adrien Gonon. Pour la saison 2022, l’appareil inadapté aux spécificités du vignoble a été remplacé par un autre, dont la tête solo était montée à l’envers. « S’il y avait eu un contrôle qualité en sortie de chaîne de montage, ce genre d’erreur aurait été évitée », déplore le chef de culture.
Il regrette également que certains constructeurs ne réalisent pas de campagne de rappel sur des problèmes récurrents et connus, pour lesquels ils effectuent des modifications sur les chaînes de montage pour les machines assemblées ultérieurement. Laurent de Buyer fait remarquer que la technologie a énormément évolué sur les matériels, notamment sur les pulvérisateurs. Le temps des canons oscillants crachant à tout va est révolu. « Les pulvérisateurs viticoles ont aujourd’hui des descentes face-par-face, avec parfois de la récupération des produits, fait remarquer le directeur de l’Axema. Les exigences de diminution des pertes dans les airs ou sur le sol sont là. Il faut avoir une bonne formation à l’utilisation du pulvérisateur pour optimiser son fonctionnement et ne pas hésiter à demander l’aide de son concessionnaire. Pour ce faire, ce dernier a dû considérablement étoffer et mettre à jour ses compétences ces derniers temps. »
3 – Une bonne mise en route
4 – Une pénurie de main-d’œuvre
Les viticulteurs interrogés remontent aussi un manque de réactivité du service après-vente et des mises en route négligées, voire omises. « Certains vendeurs ne savent même plus mettre en route un pulvé », regrette Olivier Compagnon. Les concessionnaires, mais aussi les constructeurs, sont confrontés comme les agriculteurs et les viticulteurs à la difficulté de trouver de la main-d’œuvre salariée qualifiée, d’autant qu’avec la complexification des matériels, il faut avoir des techniciens et des commerciaux avec des compétences en électronique, en numérique, sans pour autant oublier les bases que sont la mécanique et l’hydraulique.
5 – Des pannes plus fréquentes
6 – La restructuration des concessions
« Les concessions grossissent, se structurent et perdent le contact avec le terrain », déplore Olivier Compagnon. Un constat qui n’est pas partagé par plusieurs constructeurs interrogés. « Ce n’est pas une question de taille de structures, mais bien plus une histoire d’hommes, explique l’un d’entre eux. Il y a des très grosses concessions, dont la préoccupation est de rester proche et à l’écoute du terrain, quand d’autres tiennent à ce que chaque division soit rentable, quitte à dégrader le service client. Et on rencontre les deux types de situations sur des petites structures. »
7 – Une inflation record génératrice de tensions
L’inflation du prix des matériels, avec l’évolution des normes antipollution et l’augmentation des prix des composants et matières premières, qui s’est accélérée avec la crise du Covid-19 et le conflit russo-ukrainien, tend également à cristalliser les crispations. Jean-François cite pour exemple trois interceps de la même marque. « En 2007, il fallait compter 8 000 euros pour deux lames et le support entre roues. Cinq ans après, on avait pris 4 000 euros. Aujourd’hui, il faut compter 30 000 euros, s’alarme-t-il. Même chose pour les tracteurs dont les prix ont quasiment doublé sur une dizaine d’années. »
Avec cette inflation record, les exploitants se sentent en droit d’être plus exigeants. « Cette augmentation n’est pas choisie mais subie », rappelle Laurent de Buyer.