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Les eaux usées traitées, une ressource très attendue pour irriguer les vignes

L’utilisation des eaux usées traitées pour irriguer les vignes suscite l’espoir. Sur l’arc méditerranéen, plusieurs projets sont opérationnels.

Sur le site de Roquefort-des-Corbières, un réservoir de 3 000 m3 a été construit afin de stocker de l’eau avant la saison d’irrigation.
© IFV

Alors que les sécheresses se succèdent et que les vignes souffrent du manque d’eau, le chiffre interroge. En France, seul 1 % des eaux usées traitées est réutilisé, loin derrière l’Italie et l’Espagne qui emploient entre 8 et 14 % de leurs eaux usées, et très loin derrière Israël ou la Jordanie (90 %). « Cet écart considérable s’explique à la fois par le fait que la tension sur l’eau est beaucoup plus forte dans ces pays et aussi parce qu’en France, la réglementation impose de traiter les eaux usées pour les usages agricoles », décrypte Denis Caboulet, de l’IFV.

Un coût d’environ 45 centimes d’euro par mètre cube

Dès 2011, une première étape pour réutiliser l’eau traitée en vue d’irriguer les vignes avait été initiée sur le territoire de Narbonne avec le programme Irri-Alt’eau, sur une parcelle expérimentale de 1,5 hectare. Ce projet, fruit d’une collaboration entre la cave coopérative de Gruissan, les Inrae de Pech Rouge et Narbonne, l’agglomération du Grand Narbonne, Veolia et Aquadoc, avait permis de valider la qualité de l’eau et l’absence d’impact sur le profil physico-chimique et gustatif des vins.

Aujourd’hui, dans le cadre du projet Irri-Alt’eau 2.0, 80 hectares de vigne sont irrigués sur la commune de Gruissan à partir d’un volume de 60 000 m3 d’eau provenant de la station de Narbonne. « Avant d’arriver au pied des vignes en goutte-à-goutte, l’eau est filtrée, traitée aux UV et chlorée afin d’obtenir une eau de qualité C, requise pour l’irrigation des vignes », explique Hernan Ojeda, chercheur à l’Inrae de Pech Rouge. Le coût pour les vignerons est d’environ 45 centimes d’euro par mètre cube, « c’est plus que l’eau agricole mais moins que l’eau potable », contextualise Hernan Ojeda.

Un autre projet, sur le site de Roquefort-des-Corbières, rassemble la cave coopérative Vignobles Cap Leucate, le Grand Narbonne et le BRL, et permet d’irriguer 15 hectares avec des eaux usées traitées. La production journalière de la station d’épuration est en moyenne de 150 m3 par jour, ce qui correspond à l’apport de 1 mm par jour sur les 15 hectares. Pour augmenter l’eau disponible, un réservoir de 3 000 m3 a été construit et permet de stocker de l’eau avant la saison d’irrigation. Ce réservoir rend possible des apports supérieurs à 2 mm par jour aux périodes de forte demande de la vigne. Au global, du 15 juin au 15 août, l’installation peut apporter de 80 à 100 mm par hectare. « Ces dernières années, cet apport d’eau, en particulier sur les vignes jeunes, a permis d’avoir 30 % de rendement en plus. En 2023, c’était du simple au double », observe Denis Caboulet.

Des impacts agronomiques à prendre en compte

Sur les sites de Roquefort-des-Corbières et de Narbonne, des analyses ont montré que l’eau usée traitée pouvait apporter des nutriments pour la vigne. Ainsi, pour un apport de 100 mm d’eau par hectare, les eaux usées d’Irri-Alt’eau peuvent fournir jusqu’à 40 unités d’azote alors qu’à Roquefort elles sont non significatives. Les apports de phosphore sont négligeables dans les deux cas ce qui est satisfaisant car les sols viticoles en sont toujours suffisamment pourvus. Enfin, pour le potassium, les 30 unités par hectare apportées au maximum correspondent à une fumure d’entretien. « Si ces apports semblent intéressants en particulier pour l’azote, il faut malgré tout prendre en compte que la période des apports d’eau en fin de cycle ne correspond pas au moment optimal d’apport azoté, pointe Denis Caboulet. Sans compter que pour les parcelles vigoureuses, un apport de 40 unités par hectare peut être excessif. »

Au-delà de la faisabilité technique et de l’intérêt agronomique, le déploiement de l’utilisation des eaux usées en agriculture et en viticulture dans les années à venir dépendra avant tout de la tension sur les nombreux usages de l’eau. « Pour avoir un projet viable, il faut également prendre en compte l’adéquation entre la ressource (la station d’épuration) et le vignoble. Or, les centres urbains où la ressource est grande sont souvent éloignés des vignobles, regrette Denis Caboulet. La chance des projets côtiers méditerranéens est la concordance des touristes et des besoins en irrigation au cœur de l’été. »

Témoignage : Lilian Copovi, président de la cave coopérative Vignobles Cap Leucate, à Leucate, dans l’Aude

« Une source d’eau indispensable pour la survie de nos vignobles »

 

 

« En 2023, millésime marqué par la sécheresse dans notre région, les 15 hectares irrigués avec les eaux usées du site de Roquefort-des-Corbières ont été comme une oasis dans le paysage. Avec 100 mm par hectare en 10 tours d’eau, pour un coût de 500 euros par hectare, on a perdu seulement 30 % de la récolte quand les pertes ont atteint 80 % chez nos voisins. Cette eau de qualité est indispensable pour notre survie. Il faut tout faire pour multiplier les projets et faciliter leur développement. »

 

Un cadre réglementaire strict en évolution

En France, la réutilisation des eaux usées traitées définit quatre qualités d’eau (A, B, C, D) utilisables en agriculture. Pour la vigne, c’est en général la qualité C avec un apport au goutte-à-goutte qui est requise, sauf en situation de risque environnemental plus important. Un décret du 29 août 2023 vise à simplifier l’utilisation des eaux usées en agriculture. Dans ce nouveau règlement, les seuils microbiologiques permettant d’atteindre la qualité d’eau requise seront définis par des populations maximums de pathogènes et non plus par des abattements comme l’exigeait la loi française auparavant. « Les nouveaux seuils seront plus exigeants, mais leur application sera plus simple et plus logique », commente Denis Caboulet.

Parallèlement, ce décret simplifie l’instruction des dossiers, supprime la limitation des projets à cinq ans et augmente le volume des eaux réutilisables. Autant de mesures qui ont pour objectif de développer l’utilisation des eaux usées en agriculture.

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