Crise viticole
L´ère de la rupture
Crise viticole
Rien ne sera plus comme avant : le modèle français est en panne. Un changement de mentalités semble indispensable. Une page de l´histoire se tourne.
Jusqu´à présent, c´était facile. Une surproduction survenait, entraînant baisse des prix et hausse des stocks et touchant principalement les vins de table. Aussitôt les viticulteurs, méridionaux pour l´essentiel, descendaient dans la rue, histoire de faire monter la pression et de donner plus de poids à leurs responsables professionnels dans la négociation avec le ministre de l´Agriculture. Celui-ci faisait savoir qu´il avait entendu le désarroi des viticulteurs et octroyait quelques subsides. Et la mécanique se remettait en marche jusqu´à la prochaine difficulté. " Sauf que la particularité, cette fois-ci est que la crise est structurelle. Une page de l´histoire viticole est en train de se tourner ", estime Jean Huillet, président de la CFVDP (Confédération française des vins de pays). " Nous sommes entrés dans une ère de rupture ", indique également Jean-Louis Rastoin, professeur à l´Agro de Montpellier. Et d´ajouter : " La filière française doit se restructurer et elle a entre cinq et dix ans pour le faire. "
Certains économistes préfèrent au terme de crise celui de " malaise "
Si le schéma classique de résorption de la crise s´est une fois de plus mis en branle, ce qui, compte tenu des drames sociaux et humains que vivent certains, est indispensable, il n´est pas sûr qu´il suffise à combler la profondeur de cette dernière. Certains économistes tels Patrick Aigrain et Hervé Hannin, deux des co-auteurs d´un travail de prospective sur la filière viticole, préfèrent au terme de crise qui fait référence à un état passager, celui de " malaise ", analysé comme un état de transition traduisant l´essoufflement du modèle historique de fonctionnement du système français. Modèle historique que ces deux auteurs résument ainsi : le vigneron fait de son mieux, s´impose des contraintes, au consommateur de savoir apprécier. Un des principaux éléments qui caractérisent cette rupture, selon Jean-Louis Rastoin, est la réorganisation du marché mondial du vin.
" Il n´y a plus, aujourd´hui, d´identité entre pays producteurs et pays consommateurs. Les nouveaux pays producteurs ne sont pas consommateurs et cherchent à conquérir des marchés extérieurs que les Européens auparavant occupaient. " De plus, ce nouveau monde a une approche " managériale " et grâce à cela a conquis de nouveaux consommateurs avec des vins simples, basés sur un cépage et une marque d´une qualité garantie sans surprise - bonne ou mauvaise, comme cela peut être le cas avec les vins français - et qui constituent aujourd´hui l´essentiel du marché. Sauf que pour vendre ce type de vins, il faut du marketing et donc avoir les moyens de le financer. " Cela suppose d´avoir des entreprises de taille critique soit réalisant un chiffre d´affaires d´au moins 500 millions d´euros ", estime Jean-Louis Rastoin. Sachant, ajoute-t-il, que pour investir 100 millions d´euros en publicité, il faut être capable d´aligner un chiffre d´affaires d´un milliard d´euros.
" Pour créer des alliances, il faut être prêt à abandonner du pouvoir "
" La crise pourrait être un aiguillon pour inciter des entreprises françaises à se rapprocher et à atteindre ainsi cette taille minimale mais cela risque d´être lent car les mentalités ne sont pas tournées vers le management. Pour créer des alliances stratégiques, il faut être prêt à partager le pouvoir. " Même si Jean-Louis Rastoin ne mésestime pas l´ampleur de la crise, il considère que certains fondamentaux poussent à un relatif optimisme. " Les perspectives de consommation au niveau mondial dans les dix ans qui viennent sont orientées à la hausse. La montée en puissance de vins simples à faible teneur en alcool devrait permettre de conquérir les jeunes et même ces vins pourraient prendre des parts de marché à la bière. Et puis, il ne faudrait pas oublier que la France est toujours le leader mondial du vin et qu´elle peut le rester à condition de dépasser les individualismes et de renforcer ses compétences managériales ".