La structure de l’eau pourra-t-elle changer la donne en viticulture ?
Peut-on parfaire les propriétés physiques de l’eau pour améliorer l’effet des phytos ou de l’irrigation dans les vignes, comme le prétendent certaines sociétés ? La réponse semble plus complexe qu’il n’y paraît.
Peut-on parfaire les propriétés physiques de l’eau pour améliorer l’effet des phytos ou de l’irrigation dans les vignes, comme le prétendent certaines sociétés ? La réponse semble plus complexe qu’il n’y paraît.
Vous avez peut-être déjà vu, sur internet ou même sur un salon, des entreprises qui proposent de traiter l’eau par procédé physique. Un changement de configuration de la molécule H2O qui modifierait ses propriétés et rendrait l’eau plus efficace, ou « efficiente ».
En France, trois sociétés se sont positionnées dans le secteur de l’agriculture. LM Innovation, basée à Caen, commercialise un procédé qui crée un vortex autour d’une porcelaine, permettant de « débarrasser les molécules d’eau de toute charge électrique polluante » et d’obtenir in fine des amas de molécules organisées en clusters. L’eau serait ainsi « structurée ».
La société alsacienne Atiben, quant à elle, propose un système basé sur un « décationniseur » pour casser les amas de molécules, suivi d’un « canon canadien » permettant « d’imploser la molécule d’eau », qui se restructure ensuite d’une façon plus naturelle. Enfin, le suisse AQUA4D installe des filtres qui émettent des champs de résonance à très basse fréquence et « réorganisent les amas de molécules d’eau en structures plus petites et modifient les forces hydrophiles/hydrophobes entre les solides et liquides ».
Des arguments non admis par la communauté scientifique
Les procédés sont différents, mais les allégations émanant de part et d’autre toutes aussi alléchantes : de tels traitements permettraient de réduire les doses de produits phyto dans les bouillies de 30 à 50 % tout en gardant la même efficacité, ou encore de baisser d’autant les quantités d’eau nécessaire pour l’irrigation. Sans compter les miracles de ces eaux annoncés en élevage et même, pour ceux qui en boivent, sur les défenses immunitaires.
Tout cela vous laisse perplexe ? Nous aussi. D’autant plus quand on sait qu’il faut débourser plusieurs milliers d’euros pour se faire son avis… C’est pourquoi nous avons essayé d’y voir plus clair sur le sujet, en demandant l’opinion d’un physicien spécialiste de l’eau. « Nous savons qu’il peut se passer des choses sur l’arrangement des molécules d’eau sous certaines conditions, comme l’exposition à des champs magnétiques, explique Frédéric Caupin, membre de l’institut Lumière matière à Lyon et distingué par l’Académie des sciences pour ses recherches sur la physique de l’eau. Mais il faut garder en tête que les liaisons entre molécules se font et se défont très rapidement ; c’est de l’ordre de la picoseconde (un millième de milliardième de seconde, NDLR). »
Un peu perplexe, le scientifique précise que les expérimentations de recherche fondamentale sont réalisées dans l’eau pure, et que la présence d’autres molécules peut changer la donne : le sel ou le savon modifient par exemple la tension de surface de l’eau. Ainsi pour lui l’argument de « cluster », ou de toute sorte d’alignement des molécules d’eau, ne tient pas la route pour expliquer les potentiels effets de ces traitements. Frédéric Caupin reste toutefois prudent, et se garde de porter un jugement sur ces firmes ainsi que leurs systèmes, qu’il ne connaît pas. « Peut-être ont-ils un effet, concède-t-il, mais dont la cause est à trouver ailleurs. Dans le cas de l’irrigation ou des phytosanitaires, ce serait aux laboratoires spécialisés dans l’agronomie de le dire. »
Jusqu’ici, les seules références que l’on pouvait trouver sur ces solutions sont des témoignages d’utilisateurs, à qui l’on peut objecter l’absence de protocole scientifiquement validé. À l’instar d’Étienne Grivot, vigneron à Vosne-Romanée, en Côte-d’Or, qui explique à nos confrères du Paysan du Haut Rhin être convaincu par sa station Atiben, aussi bien pour l’utilisation de produits de biocontrôle que pour le nettoyage au chai lors duquel « nous n’utilisons plus de produits de nettoyage ». Ou encore de Maxime Champet, vigneron à Ampuis dans le Rhône, qui est équipé depuis trois ans du système commercialisé par LM Innovation. « Sur mes traitements en conventionnel j’ai testé jusqu’à 90 % de réduction de dose de phyto, et j’ai gardé la même efficacité que sur mes parcelles témoin traitées normalement. Même en 2021, année pourtant délicate, nous rapporte-t-il. Et à la cave, c’est plus propre avec moins d’eau. On sent, au goût comme au toucher, que cette eau est différente. » Voyant cela, des vignerons de son entourage se sont également équipés, comme les réputés Jean-Michel Gérin et François Villard. Pour arriver, de bouche à oreille, jusqu’au domaine de Beaurenard à Châteauneuf-du-Pape.
De meilleurs taux de germinations sur les expériences de semis
Les instituts techniques, quant à eux, commencent tout juste à se pencher sur ces solutions et à les expérimenter. En 2021, le chercheur à Agrocampus Ouest Didier Michot a cosigné avec deux confrères de l’université de Carthage, à Tunis, un article scientifique sur la solution AQUA4D. Avec des conclusions, dans un contexte de culture en pots et sous abri, plutôt positives. « Les résultats ont montré que l’irrigation avec l’eau traitée augmente l’humidité, la conductivité électrique et le potassium disponible du sol […]. À cet égard, notre étude a montré des potentiels prometteurs pour l’agriculture ainsi que pour améliorer la qualité du sol », peut-on lire dans le résumé.
LM Innovation, de son côté, a lancé plusieurs partenariats cette année. Sa solution sera notamment testée par Astredhor, institut technique de la filière horticole, sur les aspects de réduction de la fertilisation et de l’arrosage, ainsi que sur des semis de concombres et de tomates. De même, les ingénieurs feront des observations sur les maladies et ravageurs aussi bien sur des plantes ornementales que potagères. S’il faut attendre encore quelques années avant d’avoir des conclusions solides concernant les aspects d’irrigation ou de phytosanitaire, Jean-Marc Deogratias, directeur technique et scientifique d’Astredhor Sud Ouest, a déjà pu se faire une idée en observant les semis. « Nous avons quatre modalités : une classique où les substrats sont arrosés traditionnellement avec de l’eau normale, et trois autres avec seulement 75, 50 ou 25 % de l’apport mais avec une eau traitée, détaille-t-il. Les semis ayant bénéficié de l’eau structurée montrent un meilleur taux de germination, un développement du système foliaire plus important. C’est difficile à expliquer, mais c’est ce que l’on constate. »
La seule chose qui nous apparaît clairement, c’est qu’il semble y avoir là un mystère à lever. Il serait intéressant que des chambres d’agriculture ou bien l’IFV se lancent dans de telles expérimentations pour confirmer l’intérêt de ces solutions, que l’on en ait la raison scientifique ou non…