Le vin de demain
À la reconquête de la fertilité biologique des sols viticoles
Anciennement perçu comme un simple réservoir, le sol et son fonctionnement reviennent petit à petit au centre des préoccupations.
Anciennement perçu comme un simple réservoir, le sol et son fonctionnement reviennent petit à petit au centre des préoccupations.
Quelle est la dernière fois où vous avez arpenté vos vignes avec une bêche pour examiner ici et là votre sol ? À l’avenir, cela pourrait devenir un geste régulier faisant partie des mœurs du viticulteur. Car le test bêche donne de nombreuses indications sur l’état du sol et de son fonctionnement. Et cette thématique devient de plus en plus prégnante chez les viticulteurs.
« Dans les années 90 nous ne voyions le sol que pour son aspect fourniture, comme un compartiment de stockage, constate Matthieu Valé, responsable technique du pôle agriculture chez Auréa et animateur du groupe Fertilité organique et biologique des sols au Comité d’étude et de développement de la fertilisation raisonnée (Comifer). Depuis s’est greffé l’aspect environnemental, et la communauté se rend compte que le sol peut également rendre des services écosystémiques. Dans ce cadre, la simple chimie des sols ne suffit plus. »
Pour répondre aux enjeux de résilience, de durabilité, de fertilité naturelle voire de stockage du carbone, il faudra à l’avenir élargir le diagnostic. Et pour cela, l’intégration d’analyses sur la biologie des sols est indispensable. « L’analyse biologique est essentielle, mais n’a pas vocation à se substituer aux analyses classiques physico-chimiques, elle est complémentaire », précise Matthieu Valé. Ces analyses, qui donnent notamment des indications sur la quantité et la diversité des organismes vivants dans le sol, ne sont pas nouvelles.
La biologie du sol est un pilier de l’agroécologie
Le laboratoire Celesta-lab, situé à proximité de Montpellier, propose des analyses depuis plus de vingt ans, permettant de calculer la biomasse microbienne ou l’état de la biologie fonctionnelle. « Les analyses biologiques ne représentent encore qu’une infime partie des examens de sol en agriculture, relate Thibaut Déplanche chez Celesta-lab, mais elles ont le vent en poupe, nous avons un nombre croissant de demandes. » Et pour cause. La biologie du sol est un pilier de l’agroécologie, considérée par certains comme la deuxième révolution verte. Elle a, d’autre part, retenu l’attention des scientifiques lors de cette dernière décennie et fait l’objet de nouvelles recherches. Le Casdar Agrinnov, piloté par Lionel Ranjard de l’Inrae de Dijon et terminé en 2015, s’est attelé à chercher de nouveaux indicateurs représentatifs de la biologie du sol, afin de les transmettre aux agriculteurs. « Nous avons développé des outils pour comptabiliser les communautés biologiques, que l’on a reliés à des fonctions du sol », explique Lionel Ranjard. Comptage de vers de terre, étude des nématodes, analyse ADN qualitative et quantitative des micro-organismes du sol… ces analyses ont permis de créer un référentiel et de mieux appréhender les façons de piloter ses itinéraires techniques. Mais bien qu’intéressant d’un point de vue technique, ce protocole est encore trop lourd et onéreux, intransférable en l’état sur le terrain.
« Il reste du travail de recherche et développement, avoue Lionel Ranjard. À l’heure actuelle on essaie de moléculariser la faune du sol pour rendre les analyses plus faciles. » Selon lui, dans cinq à dix ans nous aurons des outils toujours plus efficaces pour étudier la biologie du sol. C’est d’ailleurs l’objectif du projet AgroEcoSol, qui vise le développement d’une offre de conseils agroécologiques incluant des bioindicateurs de la qualité des sols. Et cela grâce à l’industrialisation de processus inédits d’analyse de terre, pour délivrer un conseil de gestion globale des sols agricoles aux agriculteurs. Le laboratoire Auréa, partenaire du projet, pourrait proposer cela dès 2022.
De l’autre côté des Pyrénées, la jeune entreprise Biome Makers a également mis au point une technologie intégrant le séquençage d’ADN et des technologies informatiques pour analyser le microbiote du sol. Elle modélise la fonctionnalité des sols et entend aider les agriculteurs à améliorer la productivité de leurs terres. Cette entreprise, qui travaille dans le monde entier, connaît un fort développement.
Trouver des indicateurs simples sur le fonctionnement du sol
Au-delà des analyses, certains sont toujours à la recherche d’indicateurs simple, permettant de qualifier l’activité biologique du sol et aider le viticulteur à évaluer ses pratiques. C’est le cas du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB), qui a piloté le projet DuraSolViti. « Nous avons cherché un indicateur qui soit pratique, peu coûteux et représentatif de la qualité biologique des sols », explique Mathieu Oudot, de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. Les techniciens du projet ont ainsi comparé plusieurs tests simples (tea bag index, test bêche, slake test, pénétrométrie) à des analyses biologiques de laboratoire.
Et il s’avère que le tea bag index et le test bêche (voir encadré) se sont montrés intéressants pour aider les vignerons à trouver des itinéraires culturaux qui concilient durabilité du sol et objectifs agronomiques. À l’Inrae de Dijon, Lionel Ranjard s’est également lancé l’an dernier dans un nouveau projet en lien avec les sols viticoles, nommé Ecovitisol. Ce projet est mené en collaboration avec 150 viticulteurs de Bourgogne et d’Alsace. Le but de ce travail de recherche est de mieux comprendre l’impact des modes de production (conventionnel, bio, biodynamie) et des pratiques culturales sur la qualité microbiologique des sols. À terme, les vignerons n’auront plus aucune excuse pour ne pas prendre en compte la fertilité biologique des sols !
Ces tests simples qui peuvent vous être utiles
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L’analyse biologique, quand et pourquoi ?
Une analyse biologique permet de vérifier que son sol fonctionne bien, c’est-à-dire que les dynamiques de consommation de la matière organique et de fourniture d’éléments sont équilibrées. « Mais il faut faire attention à bien hiérarchiser les niveaux de connaissance », explique Rémi Chaussod, du laboratoire Semse, près de Dijon. Pour lui, il s’agit d’abord d’observer le sol en place par un profil cultural, puis de connaître les caractéristiques physico-chimiques avant de chercher l’activité et l’abondance biologique. La diversité biologique, quant à elle, doit venir en dernier. Thibaut Déplanche, du laboratoire Celesta-lab, estime qu’il est bon de faire une analyse biologique à la plantation, pour suivre une stratégie technique sur le long terme ou bien lorsqu’il y a un problème apparent insoluble. « Ce type d’analyse n’a forcément pas besoin d’être systématique, avoue l’ingénieur. Mais il faudrait que chaque exploitant le fasse au moins une fois sur une parcelle représentative de ses pratiques, comme référence. » Une telle analyse coûte environ 250 euros.