La pluie, c’est comme la vigne : ça se cultive !
L’hydrologie régénérative était au menu du colloque Vignoble et biodiversité, le 18 janvier dernier en Avignon. Un concept qui regroupe agronomie et aménagements hydrauliques.
L’hydrologie régénérative était au menu du colloque Vignoble et biodiversité, le 18 janvier dernier en Avignon. Un concept qui regroupe agronomie et aménagements hydrauliques.
Vous vous souvenez probablement des schémas sur le cycle de l’eau, que l’on apprend dès l’école primaire. Une imposante flèche y symbolise l’évaporation de l’eau de la mer, qui se transforme en nuages et vient ruisseler sur les montagnes sous forme de pluie. « Or les théories les plus récentes montrent que deux tiers des précipitations continentales proviennent de la vapeur d’eau issue de l’évapotranspiration des végétaux », plante Simon Ricard, chef de projet au bureau d’études PermaLab et cofondateur de l’association « Pour une hydrologie régénérative ». Pour lui, il s’agit donc de cultiver l’eau – littéralement – en cultivant… davantage de plantes !
Une dégradation du cycle de l’eau verte
Alain Canet, directeur d’Arbre et paysages 32, enfonce d’ailleurs le clou en rappelant que le croissant fertile s’est progressivement désertifié jusqu’à disparaître, vraisemblablement à cause de la lente disparition des arbres. « La sécheresse et les inondations que l’on vit ces dernières années sont les deux faces d’une même pièce : le dysfonctionnement du cycle de l’eau verte, celle provenant des végétaux », poursuit Simon Ricard. Remettre cette mécanique en route passe, selon l’expert, par un triptyque qui se base sur l’eau, le sol et l’arbre. « On prend rarement en compte les trois facteurs ensemble pour garder l’eau sur les territoires, commente-t-il. Ils sont pourtant indissociables. »
En ce qui concerne l’eau, tout doit être mis en place pour qu’elle soit ralentie, répartie, infiltrée et stockée. Aussi bien à l’échelle de la parcelle qu’à celle de la ferme et – idéalement – du bassin-versant. « À l’époque du remembrement, nous avons nivelé et drainé énormément, ce qui a entraîné le phénomène inverse », rappelle Simon Ricard. Les sols, quant à eux, doivent être couverts pour réduire les phénomènes de ruissellement, favoriser l’infiltration et apporter de la matière organique pour augmenter la capacité de stockage. Quant à l’arbre, il peut être conservé dans le paysage sous forme de haies, qui permettent de créer des microclimats frais et humides, de développer le réseau mycorhizien et ainsi la circulation de l’eau dans le sol, mais aussi former des petits cycles de l’eau, par l’évapotranspiration et la condensation qu’elles génèrent. « L’effet des arbres n’est visible qu’à long terme, dix ans a minima, mais c’est celui qui est in fine le plus important », note l’expert. « Mais attention, ajoute Alain Canet, il est inenvisageable de planter un arbre à côté d’une vigne sans réfléchir à sa taille et à son entretien. La vigne doit avoir sa dose de lumière. » La trogne, ou forme en têtard, est par exemple une stratégie qui peut être adoptée.
Eviter que l’eau retourne à la mer trop tôt
Simon Ricard note quatre problématiques récurrentes concernant l’évacuation de l’eau dans les parcelles viticoles : les sols nus et compactés, rapidement saturés ; les rangs dans la pente, qui favorisent l’écoulement et parfois les ravines ; l’emprise maximale des parcelles, laissant les aménagements hydrauliques de côté ; et l’absence d’ouvrages dédiés à tamponner les eaux. Face à cela, il propose l’implantation de diverses solutions comme des noues, mares ou autres talwegs (voir encadré). Autant d’aménagements qui permettront à l’eau de ne pas rejoindre la mer trop rapidement, mais de faire plusieurs cycles avant de l’atteindre.
Les principaux ouvrages pour garder l’eau
Simon Ricard a présenté sept exemples d’aménagements hydrauliques qui peuvent être mis en place dans le cadre de l’hydrologie régénérative, dont l’emploi est raisonné en fonction du contexte :
- les baissières, ou noues : ce sont des fossés fermés qui récupèrent l’eau de ruissellement et la stockent le temps qu’elle s’infiltre.
- les implantations en relief, ou motifs keylines : il s’agit d’une méthode de culture en lignes perpendicuaires à la pente, suivant généralement les courbes de niveau afin de créer un sillon d’infiltration.
- les mares temporaires : ces mares sont des dépressions plus ou moins fermées et de profondeurs variables. Elles représentent également des zones d’infiltration.
- les bassins, étangs ou retenues collinaires : ces points d’eau sont plus pérennes que les mares temporaires et permettent de stocker, dans l’approche globable, de plus grandes quantités d’eau.
- les chemins collecteurs : les routes et chemins sont des surfaces où l’eau est perdue. Pire, elle peut creuser des ornières. Mais ils peuvent être utilisés pour alimenter des retenues.
- les talwegs « à redent » : le talweg est la ligne formée par les points ayant la plus basse altitude. Mettre des obstacles (comme des grosses pierres) sur le chemin permet de ralentir l’eau plutôt que de l’évacuer.
- les tranchées drainantes : cet ouvrage vise à gérer le ruisellement des eaux pluviales. Ce sont des tranchées peu profondes remplies de gravier ou de pierres concassées.
Vitilience, projet grandeur nature de l’IFV
L’IFV a monté l’an dernier le projet Vitilience, qui vise à créer un réseau de démonstrateurs innovants pour une meilleure résilience climatique. « Nous sommes partis du constat que nous avons beaucoup d’essais monofactoriels, où l’on teste l’effet d’une pratique, mais nous manquons de références sur le cumul de plusieurs leviers », explique Valérie Lampereur, ingénieur IFV. L’objectif du projet est donc d’observer les effets d’une approche système sur l’adaptation et l’atténuation du changement climatique. Pendant quatre ans, les ingénieurs feront l’inventaire des leviers existants à la vigne comme à la cave. Ils souhaitent par ailleurs réaliser une véritable traque à l’innovation pour ne laisser de côté aucune piste. Le projet sera lancé courant 2024. Un appel à candidatures est prévu pour choisir les 20 démonstrateurs du réseau, qui devront répondre à un cahier des charges particulier. Pourront candidater les instituts techniques et de recherche mais également les acteurs privés.