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Itinéraires techniques, quels leviers pour limiter les degrés alcooliques ?

À la vigne comme à la cave, certaines pratiques vont contribuer à limiter les degrés alcooliques dans le vin. Au risque toutefois de profondément modifier le profil de ces cuvées. Voici les principales solutions envisageables.

 © J.-C.Gutner/Archive
© J.-C.Gutner/Archive

« Il n’y a pas de recette miracle pour limiter l’accumulation de sucre dans les baies. Soit on décide de changer le profil du vin, soit on accepte le degré et on cherche l’équilibre », cadre Jacques Rousseau, consultant à l’ICV. Il a en effet mené des études à l’ICV pour définir l’effet de la date de vendange sur l’équilibre des vins. Pour certains objectifs de production, vendanger plus tôt n’a pas de grande conséquence organoleptique. C’est le cas par exemple pour un grenache rosé, pour lequel l’optimum organoleptique est aux alentours de 13 %. Mais pour des profils de type vin de garde, mieux vaut laisser mûrir, pour éviter d’obtenir un vin avec moins d’alcool, certes, mais déséquilibré. « Pour les rouges je conseille de suivre l’indice Glories en routine et de repérer le plateau des anthocyanes pour déclencher la vendange », conseille le consultant. Pour les blancs et les rosés, Jacques Rousseau estime que le meilleur moyen de contrôler est la dégustation sensorielle des baies, et de déceler le pic aromatique de la pulpe. Retarder la date de vendange pour obtenir une meilleure expression aromatique peut donc, paradoxalement, éviter le caractère alcooleux du vin. Attention en revanche à ne pas atteindre le stade de surmaturité, qui se caractérise par une concentration des sucres et une perte de jus, ce qui n’est pas non plus souhaitable. Quelques pratiques permettent toutefois de gagner quelques dixièmes de degrés sans impacter le style de vin. D’autres sont plus efficaces pour obtenir un vin moins riche en alcool, mais induisent un réel changement de profil.

Adapter les pratiques viticoles

Il n’existe que peu de leviers d’actions au niveau des pratiques viticoles pour limiter le chargement en sucre des baies. « On peut toutefois essayer de jouer sur le ratio feuilles/raisin », indique Jacques Rousseau. Aujourd’hui la valeur de surface foliaire exposée (SFE) se situe à environ 1 m2/kg de raisin en rouge. « En contexte méditerranéen je suis d’avis de revoir ce ratio à la baisse, de 10 à 20 % », estime le consultant. De même il suggère de revoir sa façon d’écimer, en laissant le feuillage s’entasser davantage pour faire de l’ombre. En Champagne, les essais menés sur les travaux en vert par le Comité interprofessionnel des vins de Champagne (CIVC) n’ont pas montré d’influence sur le chargement en sucre. « Le rognage tardif et très bas décale la physiologie de la vigne, ce qui pourrait permettre de faire coïncider à nouveau les maturités technologique et phénolique. Mais c’est une technique tellement extrême qu’elle met à mal la mise en réserve, donc nous la déconseillons fortement », commente Julie Perry, du CIVC.

Faire monter les rendements

Un autre moyen d’obtenir des raisins à plus faible chargement en sucre est de faire monter les rendements de façon conséquente. Mais là encore, si cela peut faire chuter le degré potentiel de quelques degrés, cela influe grandement sur les équilibres. Car mécaniquement, cela fait également chuter la concentration en polyphénols. « Fatalement on ne peut pas rester sur le même style de vin », convient Jacques Rousseau. Cela peut donc être une stratégie si on l’accompagne d’un changement de profil produit vers des vins plus légers.

Utiliser des levures acidifiantes

Les travaux initiés à partir du caniculaire millésime 2003 par les fabricants de levures sèches actives (LSA) ont permis la mise en marché de souches de rendement alcoolique réduit. « Pour limiter la production d’éthanol, il faut réorienter le flux carboné des sucres vers la production d’acides organiques ou de composés aromatiques », indique Anne Ortiz-Julien, responsable R & D Œnologie chez Lallemand. Ceci est possible en enrichissant le milieu en glucano-lactone ou en soumettant les levures à un choc osmotique. « En conditions expérimentales, on peut abaisser le TAV de 1 à 1,2 % vol dans les moûts qui ont des teneurs initiales en sucre très élevées, à savoir au moins 260 g/l, rapporte Anne Ortiz-Julien. L’effet est optimal si la FA se déroule entre 25 et 28 °C. » Ces levures s’utilisent donc plutôt pour les vinifications en rouge. Dans la pratique, les baisses de rendement en éthanol constatées en conditions réelles sont plutôt de l’ordre de 0,5 % vol. En revanche, l’acidité totale a tendance à augmenter, de l’ordre de + 0,4 à + 1,4 g/l d’acide tartrique. Ce qui peut améliorer l’équilibre des vins trop lourds ou alcooleux. D’après les chercheurs, ces souches auraient également tendance à réduire l’acidité volatile. « Les biotechnologies ne sont pas une solution miracle pour abaisser les degrés d’alcool, commente Anthony Silvano, chef produit levures chez Lallemand œnologie. Ils sont plutôt à considérer comme un acteur parmi d’autres dans une approche qui doit être globale. »

Vinifier une partie des raisins avec les rafles

En cherchant à évaluer le potentiel aromatique des rafles, le cabinet Derenoncourt Consultants a travaillé avec le laboratoire Excell. Il a observé une baisse du degré alcoolique dans les vins issus partiellement de vendange non éraflée. « Cette baisse est systématique mais intervient dans des proportions variables », indique Frédéric Massie, œnologue chez Derenoncourt Consultants. L’une des modalités contenant 25 % de rafles présentait à l’issue des vinifications une différence de degrés alcoolique de 0,9 % vol. par rapport au témoin éraflé. « Il y a deux phénomènes qui interviennent, poursuit Frédéric Massie. Un effet dilution car les rafles contiennent entre 8 et 15 % d’eau, et un effet absorption que nous n’avons pas encore pu caractériser. » Le poids des rafles n’ayant pas été mesuré dans le cadre de ces essais, l’œnologue reste prudent quant à l’interprétation. « Au-delà du degré, ce qui est intéressant c’est l’impact sur la sensation alcooleuse. Les composés de la rafle, notamment l’astilbine, contribuent à densifier les vins et à les rendre plus dynamiques », illustre Frédéric Massie. Le cabinet de conseil a prévu de poursuivre les essais en 2020, en se concentrant sur le cépage merlot. « Il y a clairement un effet cépage sur la composition des rafles, nous voulons maintenant voir s’il y a un effet millésime », rapporte Frédéric Massie. À terme, les œnologues espèrent pouvoir déterminer des critères de maturité de la rafle. Leurs travaux visent à aider les vinificateurs à déterminer le pourcentage de rafles qu’il est intéressant de garder pour atteindre les profils de produits qu’ils recherchent.

voir plus loin

Et le mouillage dans tout ça ?

En Californie, il est possible depuis 2002 d’ajouter de l’eau dans les moûts pour ramener le taux de sucre à un niveau plus raisonnable pour le déroulement de la fermentation, dans la limite de 7 %. « Certains arguments pour le mouillage peuvent s’entendre, reconnaît Jacques Rousseau, de l’ICV. Dans le cas d’une rude sécheresse avec une vendange vraiment très concentrée, on peut par exemple se demander s’il est pire d’apporter quelques hectolitres d’eau en cuve plutôt que des dizaines de mètres cubes en irrigation avant la récolte. » Mais c’est un débat qui pour lui, si on l’ouvrait, irait bien plus loin que ces simples considérations techniques. Un avis que partage Philippe Cottereau de l’IFV, pour qui cela revient à ouvrir la boîte de Pandore. « Il y a une réelle question éthique à transformer de l’eau en grand cru, dit-il. Et comment contrôler les cas dans lesquels la pratique est justifiée de ceux où elle ne l’est pas ? Ouvrir le débat n’est clairement pas souhaitable. »

 

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