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Et si on lavait les raisins ?

Les raisins de cuve font partie des rares fruits à ne pas être lavés avant d’être transformés. Face à la récurrence des étés secs et à la volonté de limiter les résidus de pesticides, des vignerons s’intéressent aux techniques de lavage des baies.

Le lavage des raisins nettoie la terre et la poussière et diminue la teneur en pesticides et métaux lourds.
© SIPREM

Le réchauffement climatique n’a pas fini d’avoir des conséquences sur les pratiques viticoles et œnologiques, et parmi celles-ci sur le lavage des baies. « Dans le Beaujolais, les étés sont de plus en plus chauds, poussiéreux, et venteux, constate Claude Geoffray, vigneron au Château Thivin. Depuis deux ans, on n’a pas eu de pluie. » Conséquence : la poussière recouvre davantage les baies, les produits phytosanitaires sont moins lessivés. « La dégustation des baies est moins nette, je trouve dommage de les vinifier ainsi. » Pour y remédier, le vigneron ne trouvait rien de simple sur le marché pour rincer ses récoltes en grappes entières, il a donc décidé de concevoir un système. À la veille des vendanges 2019, il a acheté une table de tri vibrante d’occasion et a installé au dessus une double rampe de lavage qu’il a équipée de cinq buses (deux buses sur la première rampe puis trois buses sur la deuxième). Il a même ajouté en fin de table une soufflerie à flux laminaire pour sécher les grappes. L’ensemble, table, buses, soufflerie, lui a coûté 13 000 €, sans compter la main-d’œuvre. Une petite partie de la récolte 2019 en rouge a ainsi été « rincée » à raison de deux tonnes par heure maximum.

Le jeu en vaut-il la chandelle ? « C’est difficile à évaluer sur le seul millésime 2019, estime le vigneron, nous testerons davantage l’année prochaine. Les fermentations menées en levures indigènes se sont déroulées sans problème, on pouvait pourtant s’attendre à ce que le rinçage élimine des levures. » La Sicarex Beaujolais, organisme d’expérimentation, a prélevé des échantillons avant et après lavage et effectué des microvinifications, pour tester l’impact du lavage sur la dégustation ainsi que sur les teneurs en cuivre et autres produits phytosanitaires. Les résultats seront connus prochainement.

En attendant, Claude Geoffray va peaufiner sa rinceuse. « C’était un bon début mais il y a encore des améliorations à trouver, notamment sur le recyclage de l’eau. Nous avons consommé 400 l d’eau par heure, qui pour l’instant partent avec les effluents de cave. » L’eau provient soit d’une source, soit du réseau après déchloration au filtre à charbon. « Il faudrait également une deuxième soufflerie sous le tapis pour un séchage parfait. » L’équipement pourrait servir en plus à sécher la vendange en cas de grosse pluie.

Laver, refroidir et trier en même temps

Autre région, autre méthode. À Saint-Émilion, dans les domaines des Vignobles Vauthier, le lavage de raisin est également d’actualité, non pas par pulvérisation d’eau sur vendange entière mais par plongée de la vendange éraflée dans un bain. « Nous avons acquis il y a une dizaine d’années des Tribaie, pour trier les baies par densimétrie dans un bain d’eau sucrée. Nous en avons trois sur plusieurs domaines, explique Philippe Baillarguet, maître de chai. Nous nous sommes vite aperçus de l’intérêt de ces équipements non seulement pour trier la vendange mais également pour la refroidir rapidement et pour la nettoyer. » Les baies éraflées plongent dans un bain d’eau sucrée (non sulfitée) maintenu à 5 °C. Les moins mûres flottent et sont écartées, les plus mûres plongent et sont récupérées sur un tapis. « On fait en plus tomber la terre et les résidus en quelques secondes. » Philippe Baillarguet s’avoue très satisfait du lavage. « Depuis on a gagné en termes de netteté aromatique, on a plus de pureté dans le fruité. C’est également un plus d’éliminer des résidus phytosanitaires », sans que des mesures précises n'aient toutefois été réalisées. Le maître de chai n’a pas noté de changement concernant le déroulement des fermentations, que ce soit en levures indigènes ou en levures commerciales, il observe juste « moins de lies qu’avant ». Concernant le déroulement du lavage, le Tribaie nécessite un bain de 700 à 800 l d’eau sucrée, changé une à deux fois par jour selon la vendange. Là encore, la consommation d’eau sucrée est importante mais elle est recyclée en distillerie. « L’idéal serait de recycler l’eau des bains avec un système de filtration en continu pour la garder propre. » La société Amos, qui commercialise le Tribaie, teste un système de filtration tangentielle de l’eau pour conserver le même bain une semaine. Château Ausone réfléchit également à un autre système de lavage de la vendange en amont du trieur.

Pour l’heure, les vignerons qui lavent la vendange demeurent bien sûr des exceptions en France et en Europe, mis à part quelques caves en Italie et en Espagne. La technique a un peu plus d’adeptes dans les pays qui connaissent des étés très secs, comme le Chili ou même la Chine.

Quel équipement pour laver la vendange ?

Des tapis avec pulvérisation d’eau

Amos vient de lancer une nouvelle option pour rincer et sécher les grappes entières. Il s’agit d’un double châssis à installer sur une table vibrante déjà en place (modèle TVT 1810). Le premier châssis porte deux rampes de lavage avec des buses standards et le second est équipé d’un bec soufflant pour le séchage (et l’élimination de débris). Les rampes sont orientables et réglables en hauteur. La consommation annoncée est de l’ordre de 1 m3 d’eau par heure pour 4 t/h de vendange. Le prix est inférieur à 10 000 € pour un débit de 7 à 10 t/h.

En Italie, la société Siprem propose un tunnel sur tapis à maille inox pour un lavage plus poussé de la vendange entière. En début de tapis, les baies sont lavées par des rampes de buses qui envoient de l’eau additionnée de bicarbonate, « le bicarbonate étant un bon nettoyant naturel », selon Siprem. Plus loin, les baies sont rincées avec de l’eau du réseau pour éliminer toute trace de bicarbonate. L’eau utilisée pour ce rinçage est recyclée pour le lavage en première partie de tapis. Enfin les baies sont séchées par une soufflerie d’air chaud (moins de 40 °C). Le débit est de l’ordre de 3,5 t/h pour une consommation d’eau de 8 à 10 l par kilo de raisin. Le tunnel, annoncé à plus de 60 000 €, n’a pas encore été commercialisé en France.

Des bains de lavage

Les équipements déjà existants de tri densimétrique permettent également un lavage des baies par plongée dans un bain, comme le Tribaie de Amos, le Densilys de Bucher Vaslin… Le plus souvent les baies sont éraflées mais « certains de nos clients utilisent le Densilys pour un lavage grappe entière », précise Bucher Vaslin. Il en coûte de 27 000 à plus de 100 000 € selon les modèles et les marques.

En Suisse, Quality Wine, qui commercialise déjà un modèle conçu par et pour la cave italienne Pojer e Sandri, va tester en 2020 un nouvel équipement avec un bac d’eau additionnée d’acide citrique. Des buses envoient de l’eau sous pression dans le bain, dans le double but d’améliorer le nettoyage et de pousser les baies. La vendange s’égoutte sur tapis ou par un système d’envoi d’air comprimé. Le prix devrait être de l’ordre de 40 000 €.

Moins de pesticides, de métaux lourds et de levures

Difficile de trouver des études d’impact du lavage des raisins sur les teneurs en pesticides et métaux lourds des moûts et des vins. L’IFV a prévu d’y travailler. Lors des dernières vendanges, l’Institut universitaire de la vigne et du vin (ISVV) a mené, à la demande de la société Amos, une étude sur l’évolution des teneurs en cuivre à la surface des baies de raisin lors d’un lavage dans un bain de Tribaie. Résultats : l’effet lavant est avéré. On observe une diminution de la quantité de cuivre d’environ 34 % par le bain du Tribaie. On passe en moyenne de 0,40 - 0,60 mg de cuivre par kg de vendange avant lavage à 0,25 - 0,35 mg/kg après lavage. Mais parallèlement l’eau du bain se charge en cuivre (0,45 mg/l après une benne).

En Italie, une étude de 2007 d’un centre de recherche (IASMA) avait comparé des moûts issus de vendanges non lavées à des moûts issus de vendanges lavées à l’eau additionnée d’acide citrique à 1 % et concluait à une baisse de plus de 50 % des pesticides et métaux lourds. La même étude a également mis en évidence la moindre quantité de levures sur la pellicule des baies après lavage mais avec des fermentations plus rapides qu’elles soient spontanées ou levurées, sans doute liée à la diminution des teneurs en métaux lourds.

Enfin, le lavage des baies atténuerait la pollution atmosphérique ainsi que les goûts de fumée observés sur les récoltes à proximité d’incendies.

 

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