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L'intérêt de la rafle en vinification se précise

Après avoir quasiment disparu des chais bordelais, la rafle fait son grand retour en vinification. Des essais couplant analyses physico-chimiques et sensorielles ont été menés en 2019 et 2020 dans six propriétés, afin de mieux définir comment l'utiliser. Voici les conclusions.

La rafle est souvent utilisée de façon empirique. Or certains cépages, comme le merlot, sont davantage adaptés à une vinification avec rafles. © J. Gravé
La rafle est souvent utilisée de façon empirique. Or certains cépages, comme le merlot, sont davantage adaptés à une vinification avec rafles.
© J. Gravé

Depuis une dizaine d’années, la vinification avec rafles, autrefois courante, connaît un regain d’intérêt dans le vignoble bordelais. Un engouement qui s’explique notamment parce que la rafle contient des molécules impliquées dans la sensation de fraîcheur des vins rouges. Une aubaine alors que le changement climatique fait évoluer les vins vers des profils toujours plus concentrés. « Le problème est que la rafle est utilisée de façon totalement empirique. Or, sans maîtrise, elle peut apporter des caractères végétaux et des tanins astringents », pose Frédéric Massie, œnologue conseil associé chez Derenoncourt Consultants.

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Des rafles de qualité différente selon le cépage

Pour accompagner la prise décision sur ce mode vinification, Frédéric Massie a donc décidé, en partenariat avec le laboratoire Excell, de mettre en place des essais en 2019 et 2020. Objectif, vérifier que la rafle est une solution parmi d’autres pour s’adapter au changement climatique mais aussi au goût du consommateur. Et si possible, définir des indicateurs pour apprécier sa bonne maturité. « On a également fait appel à Cédric Alfenore, nez-parfumeur pour la société Biolandes, afin de nous aider à caractériser sensoriellement les apports de la rafle », rapporte le consultant. En 2019, sept parcelles appartenant à six propriétés réparties sur cinq AOC ont servi de support aux essais. Une cuve témoin éraflée était comparée à une cuve contenant 25 % de rafles. L’objectif était dans un premier temps de voir si la qualité des rafles variait selon le cépage, et d’évaluer le risque en termes d’apport de pesticides. « Sur le plan analytique, il y a deux marqueurs associés à la fraîcheur dans les vins. L'astilbine, qui appartient à la famille des polyphénols, ainsi que trois molécules aromatiques : le salicylate de méthyle, le salicylate d’éthyle et l’hexanol. Leur spectre aromatique va de l’herbacé au mentholé/camphré », explique Tommaso Nicolato, responsable secteur œnologie chez Excell. D’après les analyses de rafles broyées qu’il a réalisées, la concentration en stilbine diminue pendant la maturation alors que celle d’hexanol augmente. L’évolution des teneurs en salicylate est de son côté « difficile à interpréter ». La maturité des rafles n'est donc pas simple à définir. Une chose est sûre, les teneurs de ces différents composés dans les rafles varient entre, le cabernet sauvignon et le merlot.« Il y a 8 à 10 fois plus d'astilbine dans le merlot, et les teneurs en salicylate y sont systématiquement supérieures », commente Frédéric Massie. Le cabernet franc semble avoir un comportement similaire au merlot, mais les suivis n'ont pas été réalisé en quantité suffisante pour pouvoir l'affirmer. Côté résidus phytos, aucune différence significative entre les lots témoins et les modalités avec 25 % de rafles n’a été démontrée.

La maturité des rafles est indépendante de leur aspect visuel

Les essais en 2020 se sont concentrés sur le merlot. Six Châteaux répartis sur six AOC y ont participé. Première conclusion, l’aspect visuel des rafles n’est pas un facteur discriminant pour évaluer leur maturité. « La partie collée aux sarments brunit alors que le squelette reste bien vert même lorsque la maturité avance. A priori, c’est donc plutôt l’exposition à la lumière qui provoque le brunissement des rafles », suppose Frédéric Massie. Les œnologues se sont ensuite penchés sur le rôle des pratiques œnologiques dans l’extraction des composés d’intérêt. Les analyses réalisées en cours de vinification montrent que les différentes molécules d’intérêt sont solubles en phase aqueuse, et sont donc très vite relarguées dans le moût. « Les pratiques œnologiques ont un effet neutre. Si on veut plus de salicylate ou d’hexanol, il faut donc jouer sur le pourcentage de rafles », commente Frédéric Massie. La teneur en alcool est par ailleurs peu influencée par la présence de rafles, bien qu’une légère tendance à la baisse, dans des proportions variables, ait été constatée. « La rafle est composée à 75 % d’eau, il y a donc un effet dilution théorique de 1.2 % avec 25 % de rafles », poursuit-il. Aucune influence significative de la rafle sur le pH ou les Indices de polyphénols totaux (IPT) n’a été démontrée.

Des macérats de rafles aux arômes de fruits et de poivre

En complément des dégusations de vins, des macérats de rafles ont été élaborés avec l’aide de Cédric Alfenore. « Notre appréhension était d’avoir des arômes d’herbe, de foin, de géranium… À notre grande surprise, ce n’est pas du tout ce que l’on y a trouvé », s’amuse Frédéric Massie. Au contraire, les arômes identifiés sont d’une grande diversité : abricot, melon, ananas, réglisse, poivre… à savoir des arômes recherchés. Quant aux vins, ceux vinifiés avec rafles sont presque systématiquement jugés plus denses, plus longs en bouche, et plus frais. Le caractère végétal a rarement été cité dans les descripteurs. « Avec le temps, on observe une meilleure tenue des vins vinifiés avec rafles. Le côté antioxydant devient vraiment un facteur discriminant », assure Frédéric Massie. Pour cette raison, il estime que cette méthode de vinification est adaptée à l’élaboration de vins sans sulfites.

Un projet d’étude sur la vinification en grappes entières

D’autres essais sont prévus en 2021, si les volumes de vendange le permettent. Frédéric Massie aimerait notamment étudier les différences entre une vinification avec 25 % de rafles, et une vinification avec 25 % de grappes entières. « L’un des essais s’est fait à partir d’une vinification en grappes entières l’année dernière. On a remarqué que cela apportait une subtilité supplémentaire, mais cela implique un certain savoir-faire », souligne Frédéric Massie. Pour Tommaso Nicolato, l’objectif est d’aller plus loin dans la définition d’un indice de maturité de la rafle. Pour l’heure, Frédéric Massie défend fermement la rafle, qu’il considère comme « une composante subtile du terroir ». « Plutôt que d’introduire des cépages d’ailleurs et risquer de dénaturer la typicité de nos vins, apprenons à maîtriser ce qui est à notre portée », plaide-t-il.

Bertrand Chemin, maître de chai au Château Malescasse, Haut Médoc

" Les rafles d'aujourd'hui ne sont plus celles d'autrefois"

« Les merlots que j’ai sélectionnés pour l’essai proviennent d’une parcelle sur sol sablo-graveleux. C’est une parcelle qui, selon les millésimes, entre dans l’assemblage du premier ou du second vin. L’idée était de voir si la vinification avec rafles permettait de la faire basculer définitivement dans le premier vin. Les essais ont été réalisés dans des cuves de 60 hl. Les raisins ont été éraflés puis, les rafles ont été réincorporées dans la cuve et disposées en millefeuille pour plus d’homogénéité et pour jouer sur l’aspect drainant. J’ai pris 25 % de la surface de la parcelle, mais selon les années et la coulure, le calcul n’est pas forcément bon. Il faudrait peser les rafles pour être sûr d’avoir vraiment 25 %, mais c’est plus lourd sur le plan organisationnel. Je reconnais que psychologiquement, c’est un peu angoissant de mettre des rafles bien vertes dans une cuve. Mais il ne faut pas s’arrêter à ça car le résultat est surprenant. Les vins sont plus complexes, les tanins sont plus traçants, ça améliore la texture, la longueur en bouche et l’appétence. Par le passé, on a délaissé la rafle car effectivement elle n’apportait pas de choses positives. Mais les rafles d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’autrefois. Je pense qu’elles sont désormais à voir comme un outil supplémentaire pour travailler la complexité de nos vins."

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