Comment évoluera le marché du vin demain ?
A l'occasion des 30 ans de Réussir Vigne, nous explorons l'évolution de la vitiviniculture. Nous avons interviewé Marie Mascré, directrice associée de l’agence Sowine, spécialiste du marketing du vin et Jean-Marie Cardebat, professeur d’économie, président de l’Association européenne des économistes du vin (EuAWE) sur les enjeux cruciaux de commercialisation, distribution et attentes des consommateurs.
A l'occasion des 30 ans de Réussir Vigne, nous explorons l'évolution de la vitiviniculture. Nous avons interviewé Marie Mascré, directrice associée de l’agence Sowine, spécialiste du marketing du vin et Jean-Marie Cardebat, professeur d’économie, président de l’Association européenne des économistes du vin (EuAWE) sur les enjeux cruciaux de commercialisation, distribution et attentes des consommateurs.
Pourra-t-on vraiment compter sur l’export à l’avenir ?
Marie Mascré : Certains marchés ne sont pas du tout matures mais à fort potentiel. Par exemple au Brésil, on observe actuellement une forte hausse du nombre de bars à vin. Je pense aussi à la Corée du Sud qui s’est mise à aimer vraiment le vin il y a quelques années. L’autre manière de vendre, c’est d’aller toucher des cibles qui sont dans le moins mais mieux, et sont donc prêtes à continuer de consommer de l’alcool avec une valorisation un peu plus élevée.
Jean-Marie Cardebat : Dans les années 1990, le salut est venu de pays qu’on n’avait pas forcément identifiés. Aujourd’hui, il ne faut pas regarder les marchés qui nous tournent le dos mais travailler de nouvelles destinations. On sait qu’il y a des réservoirs de consommateurs en Asie du Sud-Est, en Amérique latine et en Afrique.
Comment la distribution de vin va-t-elle évoluer en France ?
J. -M. C. : Le modèle dominant de la grande distribution est déjà dépassé. Il y aura des canaux de diffusion assez différents selon les produits. Le local va prendre plus d’importance. Les vignerons indépendants le font déjà en France. Ils ont un plan stratégique ambitieux sur l’œnotourisme pour vendre du vin. L’e-commerce va continuer à progresser. Dans la restauration, je crois qu’au-delà du prix, on arrive à un point bas de la connaissance du vin dans beaucoup d’établissements. Il y a un enjeu de formation des personnels.
M. M. : Selon notre baromètre Sowine Dynata, aujourd’hui 30 % des consommateurs de vin achètent en ligne. C’est logique, par rapport à il y a dix ou quinze ans, les outils de commercialisation et les habitudes des consommateurs sont beaucoup plus sur de la vente en ligne. Mais pour se développer en e-commerce, il faut être pertinent sur l’accompagnement et le conseil, avec des sites très conviviaux et ergonomiques.
Jusqu’où peut descendre notre consommation de vin ?
M. M. : Aujourd’hui, il y a une hausse de consommation de vins blancs et de rosés. Beaucoup de jeunes qui n’ont pas envie de boire des alcools forts, de dépenser de l’argent pour un cocktail ou qui veulent changer de la bière, vont prendre un verre de vin blanc à l’apéritif. Demain ça sera peut-être le rouge qui reviendra à la mode, avec des profils un peu différents. Il y a aussi des jeux de balancier entre les régions. À titre d’exemple, quand vous voyez le succès des vins du Beaujolais aujourd’hui ou des vins du Muscadet, c’est beaucoup lié au fait qu’il leur a fallu un peu tout réinventer. Et puis il y a cette idée assenée sans cesse que les jeunes ne boivent pas de vin. Mais qui nous dit qu’ils n’en boiront pas demain ? On vient au vin un peu plus tard, quand on a plus de moyens et d’envie de s’intéresser à des produits authentiques.
Lire aussi : Consommation mondiale de vin : retour vers le futur
J. -M. C. : Si l’on observe la courbe de consommation mondiale en volume, en 2023, on est dans un creux. Mais on est encore assez largement au-dessus du précédent creux de 1994. On pourrait avoir un rebond d’ici deux ou trois ans, en fonction de l’évolution de la situation économique, avec un nouveau cycle de consommation. Le vin rouge sera toujours important mais il devra être plus frais pour être consommé différemment. Des consommateurs novices développeront de nouveaux comportements..
La bouteille en verre va-t-elle perdre du terrain ?
J. -M. C. : Il y aura des nouveaux packagings, plus jeunes, plus fun, plus écolos. Mais il va falloir que l’effort soit fait sur le plan marketing. Lancer un nouveau produit sans marketing, ça n’a aucun sens. Sans doute ce ne sont pas un côtes-de-castillon ou un côtes-du-rhône classiques qu’on verra dans un nouveau contenant, mais plutôt d’autres types de vins et des nouvelles marques.
M. M. : Le consommateur est preneur dans l’absolu de pouvoir acheter son vin dans des BIB, dans des canettes, des bouteilles consignées, ou en carton. Mais il faut pour autant que ça ne lui complique pas la vie. L’évolution des emballages est une tendance de fond et le monde du vin a une grosse carte à jouer sur l’innovation, sur la capacité à se remettre en question. Beaucoup d’acteurs du vin ont bien ça en tête aujourd’hui.
Pourra-t-on vendre un vin sans label ?
M. M. : Le label est important en particulier en grande surface, où le consommateur n’est pas accompagné pour choisir dans le linéaire. Mais ça pose la question de la reconnaissance. Certains labels font un travail important mais beaucoup de consommateurs ne savent pas quelle est la démarche du vigneron derrière.
J. -M. C. : J’identifie trois grands enjeux pour les labels, et au-delà pour les attentes des consommateurs : le bio qui deviendra indispensable pour accéder à certains consommateurs et certains marchés à l’étranger, l’empreinte carbone et aussi le sucre. S’y ajoute le QR Code pour dire ce qu’on met dans une bouteille. Il y a ensuite toutes les attentes autour de la durabilité au sens large. En Australie et Nouvelle-Zélande, les plans stratégiques qui sont proposés aujourd’hui par l’interprofession axent énormément sur le côté RSE et organic wine (vin bio). Nous allons subir une grande offensive à ce niveau-là. Il faut s’y préparer.
Avoir dans sa gamme du sans alcool ou moins d’alcool sera-t-il nécessaire ?
J. -M. C. : Le vin sans alcool demande des moyens importants même si ça sera plus facile pour les petits acteurs d’en faire demain grâce à des investissements collectifs. Certains choisiront de ne pas en faire pour se différencier. En revanche, globalement, le segment du sans alcool va grandir. Mais aussi celui des vins partiellement désalcoolisés car des vignerons devront en avoir dans leur gamme, ne serait-ce que pour des raisons fiscales.
M. M. : Cela peut être un axe de développement en tant qu’innovation mais il ne faut pas faire du sans alcool uniquement par opportunisme économique. Je ne recommanderais pas forcément à certains de mes clients de partir bille en tête sur du sans ou du moins d’alcool, parce que ça n’est pas compatible avec leur philosophie de vigneron ou leurs engagements environnementaux.
Demain, les vignerons devront-ils être créateurs de marques et négociants ?
M. M. : Dans nos clients, ceux qui résistent le mieux sont ceux qui travaillent depuis huit ou dix ans leur marque pour créer de la mémorisation et de la fidélisation. Le vin a des atouts. Quand vous achetez un produit industriel, vous ne savez pas qui est derrière mais pour un vin, il y a un vigneron ou une vigneronne, une équipe. Ça crée une connivence avec le consommateur si l’histoire est bien racontée. Et puis, ce qui fonctionne au-delà de la marque, c’est aussi l’origine du produit en tant qu’appellation. Certaines appellations ont encore un gros travail à faire là-dessus.
J. -M. C. : Oui, le vigneron sera créateur de marques, et ce n’est pas une question de taille. Mais je ne vois pas le vigneron négociant comme un modèle dominant. On va apprendre aussi à jouer un peu plus sur les réserves. Par contre, les modèles d'affaires vont évoluer. Être vigneron demain, ce sera peut-être aussi vendre des services touristiques et récréatifs. Il faudra avoir les compétences et se structurer pour le faire.
Les consommateurs vont-ils adopter les variétés résistantes ?
J. -M. C. : Je pense que les consommateurs qu’on arrive à garder vont rester sur des choses plus traditionnelles, car l’existant ne s’adapte pas tout à coup à quelque chose de nouveau. Les variétés résistantes, j’y crois pour aller recruter des nouveaux consommateurs sur les marchés export ou pour faire du vin désalcoolisé avec des variétés qui auront des rendements importants.
M. M. : C’est un axe de développement que de communiquer sur le cépage. C’est facile de retenir les mots chardonnay ou merlot. Ça limite votre choix mais vous savez ce que vous allez goûter. Mais pour que les variétés résistantes soient un choix spécifique de la part des consommateurs, cela suppose qu’ils sachent déjà ce que c’est. Ça s’adresse probablement plus à des amateurs de vin.
Le vin devra-t-il toujours plus suivre les modes ?
M. M. : La mode c’est par définition éphémère. Mieux vaut s’inscrire dans l’innovation pour anticiper les attentes des consommateurs en restant fidèle à la qualité de ce que l’on propose. Ce n’est pas si compliqué de s’intéresser aux grandes tendances et d’en tirer parti. Le monde du vin pense parfois que le vin doit rester intangible parce que c’est un produit séculaire, mais ça n’empêche pas d’innover sur d’autres aspects, que ce soit par exemple la communication, la manière de traiter la vigne ou l’œnotourisme.
J. -M. C. : Certains domaines pourront être ultratraditionnels, ce sera leur avantage concurrentiel et ça marchera très bien pour eux. Mais si vous êtes un grand faiseur comme Castel, vous devez prendre en compte les modes. Et elles doivent tout de même faire réfléchir. Regardez aujourd’hui le crémant en blanc de noirs à Bordeaux, c’est une très belle idée. Le crémant est à la mode mais surtout ça renvoie à un principe marketing : construire une gamme large au lieu d’avoir simplement un rouge, afin de répondre à différents moments de consommation et usages du vin. Et comme ça, espérer que tout ne s’effondre pas d’un coup.
La « prémiumisation » du vin va-t-elle s’accentuer ?
J. -M. C. : La « prémiumisation », que l’on observe depuis quarante ou cinquante ans, va se poursuivre mais pas s’accentuer. Le gros du marché va occuper le segment des plus de 10 euros, jadis considéré comme premium. Le vin à moins de 5 euros va subsister mais il est aujourd’hui mal marketé. À 2 ou 3 euros, il n’a rien à faire dans une bouteille en verre. Il doit servir à faire des cocktails, des vins d’apéritif, des canettes, du sans alcool. Il faut trouver la bonne formule en distribution, contenant… Un producteur de gaillac me disait par exemple vendre beaucoup de rosé-limé dans les festivals sur Toulouse.
M. M. : Il y aura toujours des vins à moins de 5 euros, et en bouteilles, pour plein de raisons. Pour continuer à gagner sa vie si on vend moins, il faut vendre un peu plus cher. Ce prix augmenté doit s’assortir d’une qualité supérieure, que le consommateur est capable de percevoir. Il faut qu’il y ait une garantie d’origine, d’un travail respectueux de la terre. Ça, c’est clairement une attente des consommateurs.