"Notre exploitation porcine a été réorganisée avec l'arrivée de la méthanisation"
Une unité de méthanisation, ce n’est pas juste un atelier qui s’ajoute sur la ferme. Chez Damien et Jordan Pruvot installés à Loché-sur-Indrois (Indre et Loire), le système d’exploitation et l’organisation du travail ont été revisités à l’occasion du projet.
Une unité de méthanisation, ce n’est pas juste un atelier qui s’ajoute sur la ferme. Chez Damien et Jordan Pruvot installés à Loché-sur-Indrois (Indre et Loire), le système d’exploitation et l’organisation du travail ont été revisités à l’occasion du projet.
Les énergies renouvelables, c’est un peu son dada. Damien Pruvot est tombé dedans il y a dix ans, quand il a installé une chaudière à plaquette bois pour chauffer la porcherie et la maison. Puis lui est venue l’idée de produire l’électricité pour alimenter l’exploitation. Elle s’est concrétisée fin 2017 avec la mise en service de trois trackers photovoltaïques de 110 m2 chacun.
Alors, quand s’est posée la question de la mise aux normes du stockage des effluents d’élevage, la méthanisation s’est rapidement imposée à l’éleveur de porcs. Entre couvrir des vieilles fosses en géomembrane inadaptées et se lancer dans la production de gaz renouvelable, le choix a été vite fait. « Quitte à investir dans du stockage, autant faire de la métha ! » De plus, Jordan Pruvot rejoignait son cousin sur l’exploitation. Lui qui avait passé deux années d’apprentissage dans une ferme avec méthanisation, était déjà au parfum. Une formation « plein gaz », la visite d’une quarantaine de sites et les dossiers administratifs et bancaires bouclés, et le premier coup de pioche est donné à l’automne 2018. Un an plus tard, le remplissage des cuves démarre.
De l’électricité et de la chaleur
L’unité est alimentée pour les deux tiers avec le lisier de porc (8 000 m3 par an) provenant directement de l’atelier naisseur-engraisseur de 350 truies. L’ensilage de 100 ha de Cive, des issues de silos (200 t/an) et les menues pailles récoltées sur 500 ha de céréales et colza complètent l’approvisionnement. Du maïs ensilage sur 20 ha vient sécuriser le tout.
Au total, ce sont 10 000 tonnes de matières brutes entrantes qui sont traitées à l’année, soit 30 tonnes par jour dont 20 de lisier. Les matières solides et liquides sont mélangées dans la fosse d’incorporation de 80 m3. Une seconde fosse de même capacité a été construite en parallèle pour recevoir des intrants extérieurs (jus, soupe) si l’occasion se présentait. Du digestat est ajouté dans la fosse, histoire de bien incorporer les menues pailles dans le mélange. Les matières organiques passent alors dans le digesteur où est produit 80 % du méthane. Puis dans le post-digesteur. Le substrat final est dissocié dans le séparateur de phase. Le digestat est alors conservé dans une poche de 4 000 m3 et dans deux fosses de 2000 m3 chacune dont une à 4 km de l’exploitation. « Nous disposons ainsi de huit mois de stockage. »
Le biogaz sortant est traité dans un filtre à charbon pour éliminer le soufre, puis brûlé dans un moteur de cogénération d’une puissance de 235 kWe. L’unité fournit au réseau électrique 150 000 kW par mois. La chaleur issue du moteur est valorisée pour maintenir les digesteurs à 42 °C. Elle chauffe aussi les 6 000 m2 de la porcherie ainsi que trois maisons et une piscine, et enfin fournit l’eau chaude sanitaire des maisons et de l’atelier de transformation à la ferme. « La boucle sera bouclée quand je pourrai faire mes livraisons de vente directe avec un véhicule au bioGNV », sourit Damien.
Un réseau d’acheminement enterré
La méthanisation, ce n’est pas simplement une unité de production qui s’adosse à l’exploitation. Sur l’EARL La Mosellerie, elle a engendré des changements notables. Le projet a créé l’occasion d’enterrer un réseau d’acheminement du digestat jusqu’au lieu de stockage au champ à 4 km du siège.
Les tuyaux passent sous des routes et une rivière. Terminé, le va-et-vient des tonnes à lisier à travers le village et les nuisances au voisinage. « C’est le bonheur, c’est vraiment un sacré progrès ! » C’est aussi un débit de chantier amélioré et 200 heures de travail économisées à l’année. Puisqu’on parle main-d’œuvre, l’unité de méthanisation réclame des bras.
L’équivalent d’un jour par semaine pour la maintenance et l’approvisionnement des 10 tonnes journalières de matières solides. « Cela ne prend qu’un quart d’heure avec le télescopique, mais il faut le faire trois fois par jour 7 jours sur 7. C’est contraignant. » Damien regrette de ne pas avoir installé un broyeur à recirculation type Premix à la place de la fosse. Il aurait apporté plus de souplesse dans le travail avec un seul remplissage quotidien. L’organisation du travail a donc été revue avec la création d’un poste sur l’élevage. Objectif, libérer du temps aux associés pour la métha, entre autres. « C’est une refonte de tout le système. »
Du maïs contre du colza
Autre changement, un assolement repensé. Le colza a été abandonné dans la rotation colza-blé-orge au profit du maïs. La raison ? Pouvoir cultiver des Cive d’hiver, seigle féverole, en interculture longue entre un blé et un maïs. « Avec les 100 hectares de Cive entre le blé et le maïs, on récolte au total chaque année 360 hectares sur 260 hectares de surface, et on est autonome pour alimenter le méthaniseur. »
Mais cela implique de faire de l’ensilage. Or, « un éleveur de cochons ne fait pas d’ensilage ! » Damien et Jordan ont préféré déléguer ce chantier à l’entreprise. « On s’occupe juste du transport des remorques. » Pour les menues pailles aussi, il a fallu s’organiser. Les ramasser en bout de champ et les apporter au silo demande trois personnes sur une semaine. « À l’avenir, on pense les presser pour économiser du temps de transport. » Enfin, pour valoriser les 100 hectares de maïs grain, les éleveurs ont investi dans un silo tour et incorporent désormais du maïs humide dans la ration des cochons. Résultat, un gain d’autonomie alimentaire de 20 % et une amélioration espérée des performances dans l’élevage.
« La boucle sera bouclée quand je pourrai faire mes livraisons de vente directe avec un véhicule au bioGNV »
En chiffres
L’investissement se chiffre à 2 millions d’euros tout compris, excepté le réseau enterré de conduite du digestat au champ (70 k€). Le projet a été soutenu à hauteur de 320 000 euros par l’Ademe et la Région. Le chiffre d’affaires s’élève à 32 à 35 000 euros par mois. Le bilan mensuel est bénéficiaire. Le contrat EDF garantit un prix pour 17,5 années à 100 % de la puissance.