Une filière locale de foin de luzerne pour l’AOP saint-nectaire
Voisins, ils avaient tout pour s’entendre. Céréaliers de la Limagne et éleveurs de la zone saint-nectaire ont créé une filière de foin de luzerne contractualisée avec paiement à la qualité.
Voisins, ils avaient tout pour s’entendre. Céréaliers de la Limagne et éleveurs de la zone saint-nectaire ont créé une filière de foin de luzerne contractualisée avec paiement à la qualité.
Au Sud-Ouest du département, les Monts d’Auvergne et son AOP saint-nectaire. Au Nord-Est, la plaine de la Limagne et ses cultures céréalières. Jusqu’alors, les deux filières agricoles emblématiques du Puy-de-Dôme se côtoyaient mais n’avaient pas d’intérêts communs. À l’avenir, la Limagne pourrait fournir à la zone d’appellation la luzerne qu’elle ne peut pas produire mais qui est une source de protéine et de fibre très appréciée dans ces systèmes herbagers de montagne.
Le déficit fourrager est endémique et accru par les aléas climatiques et les pullulations des campagnols terrestres. Après trois ans de réflexion pour étudier la faisabilité et construire le partenariat, la première campagne de production vient de se terminer. Une dizaine de céréaliers ont cultivé et récolté 77 hectares de luzerne (4 coupes) pour tout autant d’éleveurs de la zone d’appellation. En 2021, il est prévu de faucher 200 hectares. Un début modeste mais un projet qui devrait prendre de l’ampleur car il est construit sur une solide contractualisation entre céréaliers et éleveurs, sous l’égide de leurs institutions respectives : la coopérative Limagrain et l’Interprofession du fromage saint-nectaire (ISN). Les céréaliers de la Limagne, qui viennent de perdre leur usine sucrière, étaient très intéressés pour remplacer leurs 4 000 hectares de betteraves par une autre culture, mais à condition de sécuriser les débouchés et d’avoir un prix garanti. Les éleveurs voulaient quant à eux sécuriser leur approvisionnement avec une luzerne de qualité garantie et détachée des aléas de prix conjoncturels.
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Paiement de la luzerne selon le taux de MAT
Une étude économique a permis de fixer un prix d’intérêt pour que céréaliers et éleveurs y trouvent tous leur compte. Il a été établi sur la base d’un coût de production (barème entraide des Cuma), d’un coût du foncier et d’un paiement à la qualité. Le contrat garantit une luzerne avec un minimum de 16 % de matière azotée totale (MAT) et 85 % de matière sèche. Une prime à la qualité rémunère les points supplémentaires de MAT. Le taux moyen de la première campagne était de 18 %. La valeur MAT de chaque coupe est évaluée à partir d’échantillons de bottes de foin (rondes et carrées). Limagrain a conçu une carotteuse pour prélever les échantillons au cœur des balles et réalise les analyses.
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Le prix de la luzerne, rendue chez l’éleveur, s’établit entre 160 et 220 euros par tonne de matière brute selon la qualité. Le contrat, qui engage pour trois ans, et la facturation sont établis par l’intermédiaire de Limagrain, côté céréalier, et de l’Association pour l’expansion du saint-nectaire (AESN), côté éleveur. L’AESN est le groupement d’achat de fournitures agricoles de la filière AOP.
« Diversifier les assolement et remplacer la betterave sucrière »
« L’intérêt pour Limagrain et ses céréaliers était d’avoir une culture supplémentaire qui permette de diversifier les assolements, basés essentiellement sur le blé, le maïs, le tournesol et, jusqu’à la fermeture de l’usine sucrière, la betterave, explique Carine Pothier, responsable marketing et nouvelles filières chez Limagrain. Introduire une culture de légumineuse qui permet de restructurer les sols, de nettoyer les parcelles, de fixer l’azote de l’air, etc., amène une valeur ajoutée aux agriculteurs en termes d’agronomie. En Limagne, la luzerne est déjà présente chez des agriculteurs qui pratiquent la polyculture-élevage. » La luzerne sert aussi de culture tampon comme le faisait la betterave, pour isoler des cultures de semences (maïs, tournesol) fréquentes en Limagne.
« Être davantage en accord avec les valeurs de l’AOP »
La récolte de la luzerne, élément clé de la qualité, est souvent déléguée à des entreprises de travaux agricoles ou réalisée en entraide, au sein de Cuma, avec des agriculteurs qui connaissent déjà la culture. La création d’un séchage collectif était envisagée dans la réflexion initiale. Mais les acteurs du projet ont préféré démarrer avec du séchage au sol et attendre d’avoir de la visibilité sur les surfaces qui seront implantées avant d’engager de lourds investissements. La luzerne est soit irriguée, soit cultivée en sec. Les rendements espérés sont respectivement de 6 à 8 et de 12 à 14 tMS/ha. Économiquement, « la luzerne ne fait pas perdre d’argent par rapport aux autres cultures », assure Carine Pothier. Avant même son arrêt, la situation de la betterave était devenue très critique, de par la baisse des prix et des rendements.
Pour les éleveurs, outre la sécurisation des stocks, ce partenariat permet de « travailler en local et donc de limiter les distances de transports et d’être davantage en accord avec les valeurs de l’AOP », explique Louise Mion, chargée de missions techniques en élevage à l’ISN. Le cahier des charges du saint-nectaire autorise au maximum 30 % d’achats alimentaires (concentrés et fourrages) à l’extérieur de la zone. Limagrain fournit également des négoces locaux (Proxiel) en luzerne et a engagé des discussions avec d’autres AOP d’Auvergne pour leur proposer le même type de partenariat.
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« Il faut raisonner le prix en fonction de la MAT »
« Coprésident de l’Union des producteurs de saint-nectaire, j’ai participé à la réflexion sur le partenariat avec Limagrain, qui est née suite à plusieurs années de sécheresse. L’idée était de se soustraire des aléas des cours de la luzerne qui pouvaient aller de 100 à 280 €/t pour une qualité qui variait de 12 à 21 % de MAT sans savoir comment ce taux était calculé. Pour cette première campagne, nous avons acheté 50 tonnes de luzerne. Nos besoins sont de l’ordre de 100 tonnes, mais il fallait partager avec les autres éleveurs intéressés. Celle qui nous a été fournie par Limagrain, de la deuxième coupe, est exceptionnelle (18 % de MAT). Nous l’avons payée aux alentours de 170 €/t (matière brute) sans les frais de transport car nous sommes allés la chercher nous-mêmes. Pour compléter, nous en avons acheté en Haute-Loire à un prix inférieur mais sans réelle garantie de qualité. Elle devrait être autour de 15-16 % de MAT. Il faut vraiment raisonner le prix en fonction de la MAT. La valeur de la luzerne est souvent surévaluée à l’achat. Avec des vaches à 5 800 litres, une luzerne à 18 % de MAT (5 kg/VL/j) permet de produire du lait avec très peu de concentré (0,5 kg de tourteau de colza et 1,5 kg de céréale/VL/j). Nos foins de montagne étant très fins, la luzerne apporte la fibre nécessaire à une bonne rumination. Une association de ce type entre céréaliers et éleveurs va dans le sens de la nécessaire réduction de l’impact carbone de nos produits. »