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Transmettre les charolaises, pas uniquement de père en fils

Dans l’Allier, les grandes structures sous forme sociétaire sont fréquentes avec forcément au fil des ans le départ et l’arrivée de nouveaux associés. Des évolutions pas forcément faciles à gérer mais qui gagnent surtout à être bien anticipées.

Aux confins de l’Allier et de la Saône-et-Loire, le Gaec de la Grange sabot est un élevage de grande dimension dont le siège social est basé à Beaulon sur la bordure est de la Sologne bourbonnaise à quelques centaines de mètres des berges de la Loire. Cette structure familiale réunit trois associés : Georges Guillemet (52 ans), son fils Antoine (29 ans) et son gendre Clément Rive (31 ans).

Ils conduisent ensemble sur trois sites un cheptel charolais de 275 mères sur une surface totale de 490 hectares associant céréales et prairies sur des terres parfaitement planes où les prés bocagers tendent à reculer pour laisser davantage de place aux cultures. Leurs trois épouses travaillent à l’extérieur et la quasi-totalité des travaux — y compris le travail administratif — sont réalisés par les seuls trois associés.

Seuls l’ensilage et certains traitements sur les cultures sont confiés à des prestataires. « Mon frère aîné nous donne un coup de main ponctuel pour les ensilages, la moisson et les concours d’animaux de boucherie. Mais il est d’abord retraité ! », précise Georges Guillemet. Ramenées à l’UTH, les surfaces et la dimension du cheptel traduisent par un impressionnant niveau de productivité du travail d’autant qu’une forte proportion des animaux sont finis. Mais pour bien comprendre l’actuel fonctionnement et avancer quelques pistes d’évolution, il convient au préalable de remonter quelques années en arrière.

De père-fils à père-fils-gendre

Le Gaec de la Grange Sabot a initialement été constitué en 1982 entre le père et le frère aîné de Georges Guillemet. Les surfaces et cheptels étaient évidemment bien inférieurs aux chiffres actuels. La première modification date de 1987, année où Monsieur Guillemet prend sa retraite et est remplacé par son épouse dans le Gaec familial qui devient un Gaec mère-fils.

En 1992, nouvelle évolution avec le départ en retraite de Madame Guillemet dont les parts sont reprises par Georges, le cadet de la famille. « Je me suis installé en 1992 à 21 ans avec mon frère de 14 ans mon aîné pour former un Gaec entre frères sur 156 hectares », explique l’actuel doyen du Gaec de la Grange Sabot.

Pendant un peu plus de quinze ans il n’y aura pas d’évolution notable. La structure sera conduite en associant une part de culture à une dominante d’élevage avec un système des plus classiques mais déjà un attrait pour la production d’animaux finis à haut niveau de conformation, pour partie valorisés sur les concours d’animaux de boucherie.

Reprise de 130 ha en fermage

2007 se traduit par une évolution importante avec l’arrivée d’un troisième associé et la reprise en fermage de 130 ha à Thiel-sur-Acolin à une douzaine de kilomètres. « Cette reprise faisait suite à une cessation d’activité. On a repris les terres et les bâtiments du cédant en rachetant son cheptel. » Le Gaec exploite alors 286 ha répartis sur deux sites en poursuivant le système de polyculture élevage mais avec 210 vêlages par an. 2014 se traduit par une nouvelle évolution.

« C’est l’année où je me suis installé. J’avais 22 ans », explique Antoine Guillemet. À cette occasion, le Gaec reprend à côté de Chevagnes — à une quinzaine de kilomètres de son siège — les terres et bâtiments d’une ferme de 193 ha appartenant à un propriétaire exploitant qui partait en retraite.

Cette extension fait passer les surfaces du Gaec désormais à quatre associés de 286 à 479 ha en augmentant de 90 unités le nombre de vêlages pour passer à 300 vêlages/an. « Cette même année on a fait progresser de façon significative la part des cultures pour arriver à la configuration actuelle : 150 hectares de céréales à paille et 40 de maïs ensilage dont 25 irrigués », poursuit Antoine Guillemet.

2019, année compliquée à gérer

L’année 2019 se traduit par plusieurs étapes nettement plus complexes à gérer. Et ceci d’autant plus que toute cette zone était confrontée pour la seconde année consécutive à une sécheresse sévère venant aggraver un contexte économique déjà pas facile. « Pour 2019, le départ en retraite de mon frère aîné était planifié. Il était également prévu que Clément Rive, mon gendre, nous rejoigne en reprenant les parts de mon frère pour faire perdurer notre Gaec à quatre associés », explique Georges Guillemet.

« Je travaillais auparavant dans une entreprise de transport mais j’avais tout simplement envie de changer de boulot. Et je ne mettais pas les pieds dans l’inconnu. Je connaissais bien la structure et ses associés. Et mon grand-père était agriculteur pas très loin d’ici », souligne Clément Rive. Son installation était planifiée pour le 1er septembre compte tenu de la date de clôture de l’exercice, donc simultanément au départ en retraite du frère de Georges Guillemet. Les péripéties de la vie en ont décidé autrement.

Départ non anticipé d’un associé

« Le 27 juin 2019, notre associé hors cadre familial nous a annoncé sa décision ferme et définitive de reprendre ses parts et de nous quitter à l’aube de la cinquantaine pour faire un autre métier », explique Georges Guillemet. Ce départ non anticipé est à l’origine de cette année 2019 passablement compliquée qui n’a pas pour autant empêché l’arrivée de Clément et le départ en retraite du frère de Georges, mais qui a été délicate à gérer tant sur le plan humain que financier. « Et comme si 2019 n’avait pas été suffisamment compliquée, début décembre j’ai eu un accident avec une bête de concours qui m’a sévèrement cassé la cheville. J’ai été indisponible une bonne partie de l’hiver. Mon fils et mon gendre se sont retrouvés seuls pour la campagne de vêlages. Je n’ai recommencé à travailler normalement que fin avril, précise Georges Guillemet. Pour soulager mes associés, je ne pouvais que passer une partie de mes nuits à surveiller les animaux avec la caméra en les réveillant si une intervention était nécessaire. » Clément s’est officiellement installé le 1er janvier 2020 avec une rapide mise à l’épreuve pour un hiver au cours duquel les 35 heures ont plus souvent été réalisées en deux jours qu’en cinq ! « Moi qui n’avais pratiquement jamais fait vêler de vaches de ma vie, j’ai été brutalement jeté dans le grand bain ! À deux, nous avons nourri et paillé près de 800 têtes réparties sur trois sites avec en plus 293 vêlages à gérer », se remémore Clément Rive.

Passer de trois à deux associés

Après cet hiver compliqué qui s’est finalement bien terminé, les trois associés ont décidé quelques évolutions à la marge. « On a fait passer le nombre de vêlages de 300 à 270 avec en parallèle une réorganisation des animaux sur les trois sites d’hivernage en cantonnant les vaches suitées sur deux sites et en consacrant le troisième uniquement à des lots de génisses et de vaches à l’engrais. »

Sans même évoquer le nouveau contexte résultant de la guerre en Ukraine, les années à venir vont désormais être consacrées à faire évoluer la structure pour qu’elle puisse être conduite par les deux plus jeunes associés tout en anticipant le départ en retraite de Georges Guillemet d’ici une douzaine d’années. « On n’envisage pas de chercher un nouvel associé. L’idée est davantage de faire évoluer la ferme pour qu’elle soit gérable avec seulement deux UTH », soulignent les deux beaux-frères.

En chiffres

Gaec de la Grange sabot

3 associés : père, fils et gendre
490 ha (58 en propriété) sur 3 principaux sites répartis entre 160 de céréales à paille, 40 de maïs (dont 25 irrigable) et 290 de prairies dont 200 de temporaires en rotation avec les céréales à paille ou le maïs lequel est le plus souvent semé derrière un méteil ensilé.
270 vêlages/an, cheptel charolais. Finition de toutes les femelles et d’une partie des mâles.

"Beaucoup de capitaux pour une activité à faible valeur ajoutée"

Laurent Brun

« En 2019, les trois associés ont fait le choix de conserver la forme juridique du Gaec qui offre davantage d’opportunités", explique Laurent Brun, comptable du Gaec au sein du cabinet Auverco qui a rejoint début 2021 le groupement AgirAgri. "D’abord un Gaec n’oblige pas, comme pour une exploitation individuelle à cesser l’activité d’une entreprise pour en créer une autre avec les mêmes caractéristiques. Après l’évaluation patrimoniale des biens du Gaec (ici le cheptel et le matériel, puisque les 58 hectares en propriété ont été achetés l’an dernier) la transmission s’effectue via le transfert de parts sociales. Une solution qui en général simplifie la tâche des associés sortants car il n’est pas facile dans le cadre d’entreprises telles que celles-ci de trouver des repreneurs qui disposent d’une assise financière suffisante pour faire face à une activité comme l’élevage bovins viande qui nécessite beaucoup de capitaux pour une activité à faible valeur ajoutée. » Bien souvent, pour une entreprise de la dimension du Gaec de la Grange sabot, le plus délicat c’est le remboursement des comptes courants d’associés (CCA) qui partent et le rachat des parts sociales. Cela constitue une lourde charge pour les repreneurs. Ce Gaec familial ne fait pas exception. Mais dorénavant les trois associés s’astreignent à une gestion annuelle des comptes courants d’associés. « En 2019, Antoine et Clément ont relevé le défi du départ des deux associés en faisant le pari d’une capitalisation très rapide. Malgré le contexte économique tendu ils ont limité leurs prélèvements familiaux pendant la période de démarrage d’autant que leurs épouses travaillent à l’extérieur. »

Plusieurs options sont envisagées pour conduire à deux ce qui était autrefois réalisé à quatre.

Possibles évolutions à envisager

La première serait de conforter la finition et notamment celle des mâles en réduisant simultanément le nombre de vêlages. La volonté est ensuite d’être plus autonome pour l’alimentation des animaux et d’étendre encore un peu la part des surfaces consacrées aux cultures.

Autre perspective : réaliser des investissements permettant l’amélioration des conditions de travail. « Sur la ferme en propriété, nous avons un projet de bâtiment d’engraissement avec des panneaux photovoltaïques en auto-investisseur. » Un projet qui bien avant la guerre en Ukraine était déjà freiné par la hausse des coûts de construction. « On voudrait simultanément y accoler un silo couloir pour réduire le nombre de silos taupinières, plus compliqués à réaliser avec surtout davantage de perte. »

Le Gaec est aussi confronté à la problématique de trois sites distants d’une bonne douzaine de kilomètres les uns des autres où l’essentiel des bâtiments d’élevage sont en fermage, ce qui complique leur modernisation. Trois sites c’est aussi trois tracteurs attelés à une désileuse pailleuse. « Ça fait beaucoup mais on ne peut guère faire autrement à moins de faire beaucoup de route en tracteur. »

Pas question non plus de construire d’autres bâtiments pour rapatrier l’essentiel du cheptel sur un même site. Le coût le rend inenvisageable et cela signifierait déplacer des fourrages de la paille et du fumier et vu l’évolution du prix du GNR, les moteurs vont gagner à tourner le moins possible.

« En dehors de deux tracteurs de tête, notre parc de matériel est vieillissant. La question de son renouvellement va se poser rapidement », souligne Antoine Guillemet. Certains tracteurs et le télescopique ont entre 10 000 et 14 000 h. « Si on les vend, ils ne valent rien mais ils nous rendent grand service avec forcément la menace d’une grosse panne très coûteuse. Mon idée serait d’acheter en crédit-bail pour ne pas faire de gros emprunts et renouveler souvent. »

À compter de 2026, les remboursements de prêts vont nettement diminuer. Attendre cette échéance pour planifier un calendrier de renouvellement du matériel en croisant les doigts pour ne pas avoir trop de coups durs côté mécanique est également évoqué !

En revanche, la solution visant à reprendre une ferme plus proche pour laisser tomber une des deux fermes en location de façon à regrouper le parcellaire n’est pas envisagée. Sur la zone, malgré les départs en retraite, le foncier est prisé. Et le fait d’être bloqué par la Loire sur toute la bordure nord-est du parcellaire oblige de toute façon à regarder dans une seule direction pour faire évoluer le foncier.

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