Diversification
Les revenus de la méthanisation agricole menacés par une industrialisation croissante
Une étude du laboratoire Ladyss pour le CNRS sur les revenus issus de la méthanisation agricole conclut à une industrialisation de plus en plus marquée de la filière.
Une étude du laboratoire Ladyss pour le CNRS sur les revenus issus de la méthanisation agricole conclut à une industrialisation de plus en plus marquée de la filière.
Depuis une quinzaine d’années, la méthanisation agricole connaît un fort développement avec aujourd’hui une estimation de 704 unités de méthanisation en activité en France, dont au moins 62 % sont détenus majoritairement par des agriculteurs. Pour autant, les choses évoluent à une grande vitesse et Pascal Grouiez, auteur d'une étude du laboratoire Ladyss pour le CNRS, estime qu’une prise de pouvoir des acteurs non agricoles est en train de s’exercer sur la filière. Et cela s’exprime à travers deux processus. Tout d’abord, une grande partie des agriculteurs méthanisateurs se trouvent obligés d’accepter l’entrée d’acteurs non agricoles dans le capital de leurs unités de méthanisation. « Or les intérêts de ces derniers sont parfois différents de ceux des agriculteurs ce qui peut impacter le revenu agricole de la vente d’énergie » note l’auteur.
La fin d'un quasi-monopole
Ensuite, il y a l’arrivée de nouveaux venus hors secteur : « des acteurs non agricoles développent des stratégies de production de biogaz en s’appuyant sur des substrats non agricoles, ce qui a pour conséquence de modifier la place des agriculteurs dans la filière. Ces derniers se considéraient jusqu’alors en quasi-monopole sur le segment des substrats à méthaniser. Leur capacité à capter un revenu de cette activité se trouve modifiée par l’entrée de nouveaux acteurs dans la filière » explique Pascal Grouiez.
Arrivée de géants industriels
L’industrialisation se concrétise par l’arrivée de géants industriels qui se tournent vers l’injection. L’auteur de l’étude souligne : « Les industriels méthaniseurs de biodéchets, par exemple Fonroches-biogaz (récemment racheté par Total Énergies) pour le traitement des déchets de l’agro-industrie, ou Véolia pour le traitement des eaux usées, investissent déjà dans des projets en injection de très grande envergure, valorisant jusqu’à 100 000 t de déchets par an. Pour satisfaire un tel tonnage, certains projets qui sortiront de terre d’ici quelques années prévoient d’associer des déchets venant de l’industrie agroalimentaire (broyats de maïs, issues de cultures) avec du lisier de porcs, canards et bovins ». Seuls les industriels auront la capacité de lever les fonds nécessaires à de tels investissements, poursuit l'auteur de l'étude. « Avec une telle évolution, les agriculteurs disposant de substrats à plus faible pouvoir méthanogène (notamment les éleveurs) deviendraient de simples fournisseurs d’unités industrielles ou agricoles portées par des céréaliers » ajoute l’auteur.
Valoriser l’économie circulaire
Dans la mesure où les unités de méthanisation agricoles, dont les céréaliers sont majoritaires, seraient les mieux placées pour réaliser l’investissement nécessaire à l’injection dans une filière s’industrialisant, Pascal Grouiez a esquissé le scénario suivant : « en l’absence de subventions publiques, la méthanisation ne deviendrait accessible qu’à un nombre limité de céréaliers, les plus solides financièrement ; or, la fluctuation des prix observée sur le marché des biomasses et des biodéchets, et la concurrence des industriels des biodéchets méthaniseurs conduiraient les agriculteurs-méthaniseurs français à augmenter l’usage de cultures intermédiaires à vocation énergétique ; dans un second temps, les céréaliers pourraient revendiquer le retrait du plafond de 15 % de cultures dédiées dans le tonnage total des intrants, pour répondre aux tensions sur le marché des substrats ».
L’auteur estime que l’avenir va aussi dépendre du degré d’engagement des pouvoirs publics et que de nouveaux procédés de méthanisation, s’éloignant des technologies allemandes et mieux adaptés au choix français de valoriser les effluents d’élevage pourraient être retenus. Et de conclure : « Dans les prochaines années, on aurait intérêt à considérer que la méthanisation n’est pas seulement une activité de diversification, visant à créer de nouveaux revenus, mais une solution pour valoriser l’économie circulaire ».