Pomme de terre : les techniques de réduction du travail du sol encore à améliorer
Si ne pas labourer en pomme de terre se pratique depuis vingt ans, les techniques limitant vraiment le travail du sol sont encore à améliorer pour obtenir un itinéraire validé.
Si ne pas labourer en pomme de terre se pratique depuis vingt ans, les techniques limitant vraiment le travail du sol sont encore à améliorer pour obtenir un itinéraire validé.
Amélioration de la fertilité du sol, meilleure rétention de l’eau, lutte contre l’érosion, stockage du carbone : les vertus de la réduction du travail du sol ne sont plus à prouver. Seulement, pour certaines cultures comme la pomme de terre cela reste un défi à relever. Un défi dans lequel s’est par exemple lancé l’industriel de la frite surgelée McCain qui promeut l’agriculture de régénération des sols (1). Celle-ci repose, entre autres, sur une réduction du travail du sol accompagnée d’une couverture végétale à l’interculture.
Concernant la réduction du travail du sol, Benoît Houilliez, conseiller pommes de terre à la chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais, se réfère plutôt à la définition de l’agriculture de conservation des sols (ACS) qu’à celle de l’agriculture de régénération. « L’ACS repose sur la réduction voire la suppression du travail du sol, les rotations culturales diversifiées et l’utilisation de couverts du sol améliorants, rappelle-t-il. Concernant le labour, les techniques pour le limiter ou l’éviter se pratiquent depuis plus de vingt ans. Mais se passer totalement du travail du sol semble difficile car la pomme de terre a besoin d’être entourée de terre fine travaillée. » Un constat partagé par Cyril Hannon, coordinateur pomme de terre d’Arvalis : « le non-labour avec travail semi-profond au décompacteur ou au chisel fonctionne bien. Les rendements sont identiques aux itinéraires labours ».
Une des voies pour réduire le travail du sol est de réaliser un pré-buttage à l’automne. La plantation des pommes de terre au printemps peut alors se faire directement dans les buttes. « La réalisation de buttes en août ou septembre présente de nombreux avantages », affirme Aristide Ribaucour, conseiller en ACS à la chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais. Il préconise de les mettre en place par temps sec et de les ensemencer avec un engrais vert. « Cette technique détruit moins la microfaune par rapport aux buttes de printemps car l’été, les vers de terre migrent plus profondément, assure-t-il. Au printemps, la planteuse ouvre la butte et la reforme, avec un gain de temps important. L’eau et les éléments sont mieux absorbés et l’érosion limitée. »
Des résultats d’essais très variables
Le conseiller constate que l’itinéraire fonctionne bien, mais uniquement si le sol est déjà cultivé en TCS (techniques culturales simplifiées) depuis cinq à six ans. « Si les agriculteurs se lancent directement en ACS, sans transition en TCS, ils auront du mal à continuer. Le sol ne sera pas prêt. » D’après lui, commencer l’ACS par la pomme de terre n’est pas judicieux. Il préconise de débuter avec des céréales, puis du colza.
La chambre d’agriculture Nord-Pas-de-Calais a testé dès 2017 le pré-buttage d’automne. « Les résultats ont été variables, avec parfois des baisses de rendements », constate Benoît Houilliez. « Nous ne sommes qu’au début des expérimentations en pré-buttage d’été ou d’automne avec couverts, avance Cyril Hannon. Nous constatons des hétérogénéités de rendements que nous n’expliquons pas pour le moment. » Arvalis a besoin de plus d’expérimentations pour définir un itinéraire technique validé, stable et fiable.
« La butte d’automne démultiplie la surface au sol et accentue l’effet du gel sur la structure du sol. Elle peut favoriser le ressuyage au printemps, mais si la destruction de la butte est trop tardive, le sol peut devenir dur comme du béton », prévient l’expert de l’institut technique. Un phénomène aussi constaté par la chambre d’agriculture qui souligne néanmoins que l’extérieur peut devenir très dur mais l’intérieur de la butte rester tendre. Enfin, les deux spécialistes avouent ne pas avoir assez d’antériorité pour connaître l’évolution des ravageurs comme le taupin ou celle des populations adventices (graminées ou vivaces) avec cette technique.
Des équipements et récoltes à adapter
Des adaptations de matériel sont en outre à prévoir. « Les planteuses conçues pour travailler dans la terre meuble ne peuvent planter en direct dans des buttes d’automne à vitesse normale, considère Benoît Houilliez. L’ouverture préalable avec une dent est bénéfique mais insuffisante. Il faudrait trouver le moyen de réduire les agrégats sur le pourtour de la butte. » Une augmentation de la tare terre à l’arrachage a aussi été constatée. De gros agrégats bien structurés dans la butte passent au-dessus des éléments de déterrage des machines et se retrouvent sortis du champ. Au final, le conseiller pense qu’il est plus raisonnable de mettre à plat les buttes au printemps en attendant d’avoir des itinéraires consolidés. « Le challenge doit se relever progressivement sur au moins une rotation », prévient-il.
Ces constats rendent prudent Bertrand Achte, président du Gappi, groupement des 850 producteurs français livrant à McCain. « Nous ne sommes pas opposés au schéma d’agriculture de conservation mais les techniques sans labour ou très superficielles occasionnent parfois des problèmes de désherbage. L’évolution de la réglementation pourrait nous mettre des limites. Quid de l’après glyphosate », s’interroge le producteur pour qui « le pragmatisme doit rester de mise. » D’ici 2030, McCain ambitionne un approvisionnement à 100 % avec des pommes de terre cultivées selon les principes de l’agriculture de régénération, soit près de 150 000 hectares dans le monde. À ce jour, 8 % des producteurs du Gappi se sont engagés dans la démarche.