« Nous vivons à trois avec un système lait bio tout herbe productif et diversifié »
Le Gaec des Jonquilles, dans les Ardennes, arrive à être productif sur un plateau froid et humide couvert de prairies permanentes grâce au trio vaches laitières croisées, bovins lait croisés pour l’engraissement et ovins viande.
En bio, Laurent Cousin et ses deux fils, Baptiste et Simon, sont parvenus à asseoir un système cohérent à Regniowez, dans les Ardennes, qui leur permet de bien vivre de leur métier. Pourtant, avec 158 hectares presque intégralement en prairies permanentes, le pari n’était pas évident sur ce terroir difficile.
D’un Gaec à deux unités de main-d’œuvre en conventionnel dans les années 2000, la famille Cousin a réussi à améliorer l’efficacité de l’exploitation pour passer en bio en 2009 tout en augmentant la production laitière, puis à accroître le résultat pour faire vivre trois UMO. Comment ont-ils réussi ? « Avec un minimum d’investissements, nous avons mieux géré l’herbe, introduit la montbéliarde en croisement, augmenté notre valorisation viande avec le croisement charolais et développé des synergies entre nos trois ateliers : bovin lait, engraissement d’animaux issus du troupeau laitier et ovins viande », résument les trois éleveurs.
Fiche élevage
2 associés - Laurent et Baptiste - et bientôt Simon, ancien apprenti puis salarié, en cours d’installation
158 ha de SAU dont 147 ha de prairies permanentes et 11 ha de rotation méteil et prairie temporaire
70 vaches laitières et 20 génisses de renouvellement
7 200 l/VL/an, soit 482 400 l produits, dont 23 000 l donnés aux veaux
519 €/1 000 l de prix du lait payé, sur l’année 2023 (prix Lactalis)
25 mâles et femelles croisés charolais/montbéliard engraissés par an
100 brebis de race Texel et plus de 150 agneaux
Un atelier lait saturé
Pour l’atelier lait, la stratégie n’est ni très économe, ni d’exprimer tout le potentiel des vaches. « Nous cherchons un optimum de production laitière pour maximiser la marge de l’atelier lait », décrivent les éleveurs. Leur marge brute dépasse les 2 300 € par vache sur les cinq dernières années. « En janvier 2022, la marge sur coût alimentaire de l’atelier lait du Gaec était de 377 €/1 000 l, pour un coût de ration de 153 €/1 000 l, quand le coût moyen du groupe était à 247 € », chiffre Arnaud Huart, d’Ardennes conseil élevage.
Avec une contrainte : seuls 12 hectares de prairies sont directement accessibles aux vaches laitières et 25 hectares sont de l’autre côté de la route. « Cela nous limite à 70 vaches laitières pour pouvoir pâturer un maximum tout au long de l’année. » Par ailleurs, le bâtiment (mis aux normes de 2001) est fonctionnel et les éleveurs ne veulent pas l’agrandir. Ce site a été spécialisé pour les vaches traites, pour produire un maximum de lait sur ce site et les vêlages sont étalés.
Pour maximiser la marge laitière, la première étape du Gaec a été d’améliorer la qualité des fourrages avec des fauches précoces, pour une ration de base des laitières 100 % herbe. L’ensilage d’herbe récolté le 10 mai 2022 affichait 0,95 UFL, 74 de PDI et 24 de PDIA.
Le pâturage tournant dynamique booste le lait
La conduite du pâturage a été améliorée progressivement. À partir de 2022, Simon a mis en œuvre un pâturage tournant dynamique. Depuis ce changement, le résultat est notable : le rendement laitier des vaches est passé de 6 500 litres de lait par vache et par an à plus de 7 000 litres. « Avant, nous faisions un pâturage tournant sur de grandes parcelles. Aujourd’hui, l’objectif est que les vaches aient de l’herbe "neuve" après chaque traite et qu’elles pâturent ras. Pour la nuit, elles vont dans les parcelles derrière la stabulation, découpées en paddocks. En journée, nous leur faisons traverser la route. »
Les concentrés dopent la marge laitière
Le deuxième levier est une complémentation en céréales et en concentré de production, à hauteur de 1,3 tonne de concentrés par vache et par an. Deux tiers sont un mélange énergétique, acquis auprès d’un céréalier de la région : orge, maïs grain, triticale et de la féverole ou du pois. Un tiers est un aliment complet du commerce : VL 18 ou 20.
« Les premiers kilos de céréales apportent un vrai plus en production laitière et en taux. Mais nous n’allons pas plus loin ; le système reste économe », décrit Laurent Cousin. Le lait produit en plus grâce aux concentrés dilue le poids de cet intrant. « Le Gaec apporte 200 grammes de concentrés par litre de lait produit, quand la moyenne du groupe bio est à 240 grammes », souligne Arnaud Huart.
Le conseiller ajoute que le coût est maîtrisé grâce au DAC (distributeur automatique de concentrés). « Nous ajustons la programmation du DAC chaque mois. Les vaches qui produisent moins de 12 kilos ne reçoivent rien. Les vaches de réforme et celles à moins de 15 kilos de lait reçoivent 500 grammes de céréales uniquement. Au-delà, les vaches ont des céréales et du concentré de production. Une vache à 25 kilos de lait reçoit 2,5 kilos de céréales et 2 kilos de VL 18. Le maximum est de 3,5 kilos de céréales et 4 kilos de VL 18 pour une vache à plus de 35 kilos de lait. »
Les croisées prim’Holstein et montbéliarde sont les meilleures vaches
Le troisième levier est l’arrivée de la race montbéliarde il y a huit ans, en croisement. « Les croisées prim’Holstein et montbéliarde sont nos meilleures vaches : aussi productives que des Holstein, plus résistantes avec moins de boiteries, et avec de meilleurs résultats de reproduction. Nos premières F1 en sont maintenant à leur sixième lactation. Nous avons quelques montbéliardes en race pure ; elles font moins de lait par vache. »
À côté de l’atelier lait, les ateliers ovins viande et d’engraissement de bovins laitiers croisés viande apportent une cohérence à l’ensemble, même s’ils ne pèsent que 15 % de la marge brute totale. En effet, le reste des prairies est valorisé essentiellement par le pâturage des ateliers bovins viande et ovins viande.
Vers l’engraissement de toutes les naissances
L’engraissement à l’herbe – avec très peu de céréales – des bovins laitiers est historiquement présent sur la ferme, pour valoriser les prairies éloignées, les moins bons ensilages et une partie des animaux nés sur l’exploitation. Les associés ont aussi optimisé cet atelier.
Il y a huit ans, avec l’arrivée de la race montbéliarde, « les carcasses étaient plus lourdes et mieux conformées, et le prix meilleur », pointent Laurent et Simon. Depuis trois ans, les éleveurs inséminent une partie des vaches en charolais. « Les carcasses se sont encore améliorées, et le prix aussi. »
Le nombre d’animaux croisés élevés va croître, grâce à l’utilisation des semences sexées et à la réduction du taux de renouvellement des laitières : aujourd’hui de 28 %, demain, les éleveurs souhaitent descendre à 20 %.
Jusqu'en 2024, « nous vendons encore une vingtaine de veaux croisés à 2-3 semaines d’âge. Avec mon installation cette année, dix hectares de prairie seront repris et l’atelier engraissement s’agrandira pour valoriser tous les animaux nés sur l’exploitation », ajoute Simon. Pour anticiper cette croissance, un bâtiment a été allongé en 2022.
« L’engraissement à l’herbe était jugé très peu rentable jusque-là. En 2023, l’atelier a dégagé un bon résultat grâce aux prix de vente soutenus des bœufs et des femelles : 5,08 € pour une conformation R de bœufs croisés et 4,99 € pour des génisses croisées R. Nous vendons avec Unebio, sous contrat, avec une planification des sorties », détaille Simon. L’aide couplée bovine de la nouvelle PAC conforte l’atelier.
Une vraie complémentarité ovins-bovins
L’atelier ovins a été créé en 2015, en anticipation de l’installation de Baptiste (en 2020), passionné par les moutons. Il apporte des synergies intéressantes avec celui du lait. Les ovins passent sur les 37 hectares des laitières, pour valoriser l’herbe à des périodes trop humides pour y sortir les vaches ou les veaux. « Les ovins tondent l’herbe bien ras, ce qui favorise le trèfle », pointe Baptiste.
Autre intérêt, l’alternance ovins et bovins sur les mêmes parcelles est bénéfique pour gérer le parasitisme des ovins et des veaux encore non immunisés. « Les ovins et les veaux ne sont pas sensibles aux mêmes strongles. Le cycle des strongles dure trois semaines à un mois, donc alterner chaque mois les ovins et les veaux sur chaque parcelle permet de casser le cycle des parasites. Grâce à cela, les veaux n’ont pas besoin d’être traités aux antiparasitaires, sauf en 2021, année très humide. Quand j’hésite à traiter, je fais réaliser une coproscopie », détaille Laurent.
Accroche : Valoriser au maximum le pâturage avec les vaches, génisses, bœufs, ovins
Avis d'expert : Arnaud Huart, Ardennes conseil élevage
« De bons résultats en santé et repro »
« Le Gaec des jonquilles affiche une bonne performance économique grâce à de très bons fondamentaux. Notamment, la santé du troupeau est maîtrisée, avec très peu de mammites (6 % sur douze mois) et peu de frais vétérinaires. Le Gaec pratique le tarissement sélectif, avec deux tiers de vaches qui n’ont pas eu besoin d’antibiotique, uniquement d’un obturateur. Le taux de guérison au tarissement est de 91 %. Cela reflète une bonne ambiance du bâtiment et une bonne surveillance du troupeau.Les résultats de reproduction sont très bons : le taux de réussite de la première insémination artificielle atteint 62 % pour les vaches et 74 % pour les génisses. L’intervalle vêlage-IA fécondante est de 96 jours en moyenne et l’IVV est de 380 jours, ce qui est bon en système herbager. »