Interview de Benoît Rubin (Idele)
« La guerre en Ukraine a accéléré les contrastes dans l’élevage bovin du Grand Ouest »
Benoît Rubin, chef du service économie des exploitations d’Elevage et délégué régional Bretagne et Pays de la Loire de l'Idele, dresse un rapide panorama de la santé économique des exploitations bovines du Grand Ouest dont les charges explosent depuis le début de la guerre en Ukraine. Et ce dans une interview exclusive réalisée fin juin en prévision du Space 2022.
Benoît Rubin, chef du service économie des exploitations d’Elevage et délégué régional Bretagne et Pays de la Loire de l'Idele, dresse un rapide panorama de la santé économique des exploitations bovines du Grand Ouest dont les charges explosent depuis le début de la guerre en Ukraine. Et ce dans une interview exclusive réalisée fin juin en prévision du Space 2022.
A la veille du prochain Space comment se portent les exploitations agricoles du Grand ouest de la France après une année agitée notamment avec la guerre en Ukraine ?
Benoît Rubin : Nous avons un contexte avec des hausses de tarifs des matières premières considérables mais en production laitière il y a aussi eu des augmentations de tarifs de prix du lait pour certaines laiteries. On se retrouve avec un contraste fort au niveau des résultats économiques des exploitations. La guerre en Ukraine a accéléré ce contraste dans les relations entre les producteurs et leur client. C’est très fort notamment dans les Pays de la Loire. Sur un même département, on peut avoir 50 euros d’écart pour 1000 litres de lait, soit pour une exploitation avec 300 à 350 000 litres de lait par unité de main d’œuvre un écart de 15 à 20 000 euros par an.
L’inflation est un facteur aggravant des contrastes. C’est pour cela qu’il est très difficile d’annoncer un effet moyen sur le revenu des exploitations agricoles. En mars on nous a demandé de chiffrer l’impact de la hausse des matières premières sur l’alimentation animale, j’avais donné une fourchette large entre +10 et +40%. Finalement en juin la situation perdurant la fourchette se resserre plutôt vers le haut. Des laiteries ont réussi à faire passer des augmentations très significatives en mettant en avant les hausses de matières premières (de 60 à 85-90 euros en avril/mai). Du coup certains éleveurs se trouvent plutôt mieux en trésorerie qu’avant. En viande bovine, c’est du jamais vu sur les prix de la viande sur les réformes laitières et vaches allaitantes. L’écart de prix entre les deux n’a jamais été aussi faible et ça chamboule les filières.
« Le plan de résilience n’est pas fait pour l’élevage bovin de l’Ouest »
La trésorerie de nombre d’exploitations est mise à mal, le plan résilience agricole proposé par le gouvernement va-t-il leur suffire pour passer le cap ?
En ruminant, non. C’est lié au pourcentage d’aliment dans la structure de production où la production fourragère est la plus importante avec les engrais et les charges de mécanisation. A la différence du porc et de la volaille. Le plan de résilience n’est pas fait pour l’élevage bovin de l’Ouest. Concernant la trésorerie des exploitations, nous avons mis en place un observatoire de la situation financière des exploitations laitières. En 2015, on se posait la question de savoir si les problèmes de trésorerie étaient dus à une insuffisance de résultats (manque d’EBE) ou à des projets d’investissements mal financés. A l’époque on parlait plutôt d’investissements mal financés, aujourd’hui les difficultés sont surtout liées à une insuffisance de résultat. Si on prend la trésorerie nette des éleveurs laitiers recalculée pour prendre en compte les stocks et la date de clôture, on peut déterminer une situation d’endettement anormal si à la fin de la campagne l’éleveur ne rembourse pas ses dettes.
50% des exploitations en bovins lait sont en situation d'endettement anormal
Et bien dans l’Ouest, 50% des exploitations en bovins lait sont dans cette situation. La trésorerie c’est le nerf de la guerre. Les éleveurs qui ont de la trésorerie vont pouvoir prendre plus facilement des décisions pour engager les charges pour la prochaine campagne fourragère que ceux ayant une trésorerie tendue et étant ainsi tenus par les factures impayées auprès de leurs fournisseurs. Nous avons un message d’alerte, certains éleveurs ont des trésoreries meilleures que d’habitude mais attention on peut voir des revirements (prix de la viande et du lait) Il est important de considérer les charges à engager pour la prochaine campagne (Engrais, aliments, GNR…)
Peut-on déterminer les conséquences financières des hausses des matières premières aux 1000 litres de lait produits ou au kg de carcasse ?
Une moyenne ça ne veut rien dire ! Nous avons des indices de l’Insee assez solides comme l’Ipampa, mais pour les mois futurs qu’elle va être la hausse des prix en aliment du bétail, carburant, engrais ? Je serai très prudent. Sans compter qu’il peut y avoir des effets volumes sur les engrais notamment. On assiste par exemple à l’effondrement de l’achat des aliments en bio. A ce propos nous lançons une enquête pour voir comment les exploitants agricoles vont ajuster leurs charges. Nous aurons des résultats à l’automne.
Où en sont les marges laitières et quid de la disponibilité en fourrage avec la sécheresse, on évoque une possible pénurie de produits laitiers, qu’en pensez-vous ?
Je pense que le mot pénurie est fort, nous pouvons dire qu’il y a une forte tension oui. La question du sourcing a été très prégnante au congrès IFCN Dairy en juin en Allemagne. Tous les intervenants présents ont évoqué la question du sourcing. La guerre en Ukraine a servi de révélateur, mais le phénomène a commencé avant. Les questions de recul du cheptel et de renouvellement des générations se posent dans tous les pays laitiers. Les stratégies de stockage se déploient, avec des mouvements spéculatifs.
« On a loupé la sortie des quotas laitiers »
Le recul du cheptel laitier continue, comment percevez-vous l’évolution à court et moyen terme ? qu’est-ce qui pourrait inverser la donne ?
On a loupé la sortie des quotas laitiers en France. On est passés des quotas laitiers gérés administrativement à des contrats plus ou moins souples sur les volumes de lait. Des signaux ont été envoyés depuis 2015 aux producteurs laissant comprendre que certaines laiteries n’avaient pas besoin de leur lait. Et cette stratégie, on la paie très cher aujourd’hui. Certaines laiteries, plutôt les petites, ont pris conscience de ça, du fait que leurs outils industriels vont peut-être manquer de lait. Mais c’est plutôt en marge de l’Ouest de la France.
On le voit un peu en Sarthe. Il y a encore peu tous les yeux étaient tournés vers le poulet de Loué, la production phare. A force, certains ont laissé tomber le lait pour faire un 4e ou 5e poulailler. Mais des groupes laitiers se sont ressaisis depuis avec des innovations contractuelles.
Vous pensez que tout n’est pas perdu, la donne peut être renversée donc ?
Oui bien sûr ! Tout n’est pas perdu. Dans l’Ouest on a des agriculteurs qui s’installent en caprins car les signaux ne sont pas les mêmes. Rien n’est écrit !
Le nombre d’exploitations bio a triplé en Bretagne en 10 ans, la mauvaise passe que traverse ce segment va-t-elle mettre un coup d’arrêt à cette progression ?
C’est une grande question que la filière se pose. Nous avons un proposé un projet de recherche Casdar sur le sujet.. Nous allons étudier le consentement à payer des consommateurs. La communication générique est-elle suffisante pour convaincre le consommateur d’acheter du bio ? Aujourd’hui en lait le consommateur est attiré par de multiples allégations sur le lait segmenté : local, sans pesticides, sans OGM, issu du pâturage… Il y a une vraie question sur les arguments que la bio doit mettre en avant. Le lait bio subit une crise de croissance conséquence de la forte hausse des volumes de lait bio. On a doublé de volume en très peu de temps. Il n’est malheureusement pas très étonnant d’avoir une crise comme on en avait déjà connu par le passé.
Avez-vous des craintes par rapport à la future PAC et le modèle d'élevage du grand ouest ?
Pour l’instant la Pac ne semble pas évoluer de manière révolutionnaire. Mais attention les effets sont parfois dans les ultimes réglages. Après avoir connu pas mal de Pac, je sais qu’il faut attendre jusqu’aux derniers arbitrages...
Il n’y a plus véritablement de politique agricole commune. Ce sont les plans stratégiques sont spécifiques aux états. L’Irlande a par exemple mis le paquet sur une aide couplée à la vache. Toutefois la Pac fait partie des signaux longs à intégrer comme d’autres politiques publiques (carbone, biodiversité..)
« Nous nous interrogeons sur le devenir des vaches allaitantes en Bretagne »
Quid de l’élevage allaitant dans le grand ouest, quel modèle résiste le mieux aujourd’hui aux hausses de charges ?
En viande bovine, les revenus sont trop bas, avec un taux de subvention important : il y a une grosse question sur le système allaitant dans l’Ouest de la France. Nous nous interrogeons sur le devenir des vaches allaitantes dans ces régions (En Bretagne notamment).
Certains élevages s’en sortent mieux grâce à une bonne efficience technique une très forte avec une maîtrise du coût de production et une bonne valorisation des produits. Il y a aussi la question du capital. En viande bovine on est sur 7 euros de capital pour produire 1 euro d’EBE sans rémunération du travail. C’est de l’industrie lourde. En lait on est à 5 – 5.5 euros pour 1 euro d’EBE. En viande comme en lait, on est allés chercher des capitaux pour suppléer le manque de main d’œuvre avec une perte d’efficience (capital / revenu)
Un modèle de polyculture-élevage un peu plus extensif aurait-il plus de chance ?
Ce n’est pas évident, car cela pose la question du prix du foncier et de la disponibilité du foncier. Et puis un éleveur qui a des cultures dans son exploitation, avec des céréales à 300 euros la tonne, va donner la priorité aux productions végétales pas aux productions animales. Pour peu qu’il y ait une unité de méthanisation à côté et c’est classé. En fait il faut construire des modèles économiques qui ne viennent pas en concurrence avec l’activité végétale. Les bovins peuvent être utiles pour valoriser une surface obligatoire en herbe. La question de la relation à la prairie risque aussi d’être posée (Carbone, biodiversité…). Qui dit élevage dit valorisation de la prairie avec services rendus. Les éleveurs sont contraints d’allier trois voies : la maîtrise des charges, une productivité minimum et une bonne valorisation des produits.