Les repreneurs d’exploitations viticoles se diversifient
Les viticulteurs reprenant aujourd’hui des exploitations sont à l’image d’un contexte agricole et social en pleine évolution.
Les viticulteurs reprenant aujourd’hui des exploitations sont à l’image d’un contexte agricole et social en pleine évolution.
Qui sont les nouveaux viticulteurs, ceux qui reprennent aujourd’hui les exploitations en transmission ? Les données sont paradoxalement nombreuses mais partielles. MSA, recensement agricole, points accueil installation des chambres d’agriculture, régions, Safer… chaque acteur de la transmission et de l’installation détient des indicateurs régionaux ou nationaux mais ils ne sont pas forcément recoupés, compilés ou harmonisés. Malgré la photo parfois un peu floue, des tendances émergent.
Des installés plus âgés que pour l’ensemble de l’agriculture
Parmi les viticulteurs qui s’installent, 67 % avaient 40 ans et moins en 2022, selon les données de la MSA. Mais ils sont en moyenne un peu moins jeunes que l’ensemble des installés agricoles qui affichent, eux, un taux de 40 ans et moins de 73 %. Le tiers des installés viticoles en 2022 a donc plus de 40 ans. Ces nouveaux exploitants viticoles sont même 11 % à être âgés de 56 ans et plus contre seulement 6,5 % pour l’ensemble des installés agricoles.
Mathieu Besoli, conseiller d’entreprise à la chambre d’agriculture de la Dordogne, observe une majeure partie de porteurs de projet quarantenaires parmi les repreneurs hors cadre familial, arrivant suite à une reconversion professionnelle.
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Les femmes représentaient 35 % des installations viticoles en 2022, selon la MSA, soit un peu plus que la moyenne de l’agriculture (32 %). Chez les installés viticoles de 40 ans et plus (hors transfert entre époux), les femmes sont même 47 %.
Le statut sociétaire concerne un repreneur sur deux
Au total, un installé sur deux opte pour une forme sociétaire. Si la viticulture suit sur ce point l’évolution du monde agricole, les statuts choisis diffèrent. François Purseigle, sociologue des mondes agricoles, considère que « le secteur viticole est en avance sur le développement de nouvelles formes de transmission. Les caves coopératives, par exemple, ont mis en place du portage foncier ou de capitaux », illustre-t-il (voir aussi interview ci-après).
Par ailleurs, les installés sont plus variés que par le passé, comme le constate Marc Robin, conseiller installation-transmission viticulture à la chambre d’agriculture du Rhône. Il observe que les installés récents en Beaujolais « ont des exploitations plus petites, font davantage d’export (42 % par rapport à 16 %) et sont moins en coopération ». Il remarque aussi une grande diversité de candidats en âge et en capacité d’investissement.
Le phénomène des Nima difficile à cerner
Les transmissions familiales n’allant plus de soi, la catégorie des installés non issus du milieu agricole (les « Nima ») prend de l’importance. Mais jusqu’à quel point ? « Aujourd’hui, 40 % des installations aidées en agriculture concernent des porteurs de projet initialement non issus du milieu agricole », note la chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine. Parmi les candidats passant par le Répertoire départ installation (RDI), la chambre d’agriculture des Pays de la Loire a même vu la part de candidats dont les parents ne sont pas agriculteurs passer de 55 % en 2017 à 73 % en 2021 (tous secteurs agricoles confondus). « Il y a deux ans, nous avons fait une enquête sur le renouvellement des générations en viticulture en Beaujolais, confirme Marc Robin pour le Beaujolais. Les plus de 50 ans avaient acquis leur domaine à 78 % dans le cadre familial. Les vignerons récemment installés étaient hors cadre familial à 65 % ». Avec des conditions différentes. Du fait de la difficulté d’accéder au bâti, leur habitation est en moyenne éloignée de 14,6 km de l’exploitation selon l’étude, contre seulement 6,2 km pour les vignerons de plus de 50 ans.
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À la chambre d’agriculture de Dordogne, Mathieu Besoli pointe également le profil spécifique des installés hors cadre familial. « Ces nouveaux venus ne sont pas des investisseurs mais des gens qui veulent cultiver la vigne, remarque-t-il. Ils recherchent plutôt entre 5 et 10 à 12 hectares, avec une valorisation en bouteille entre 10 et 15 euros HT départ caveau et pas forcément en AOP. » Et d’ajouter : « Ils sont attirés chez nous par le bas prix du foncier, l’attractivité du Périgord, le potentiel du terroir et l’agroécologie-agroforesterie. Notre vignoble est à 30 % en bio et 40 % en HVE. »
De leur côté, les Safer comptent une part de hors cadre familial de 72 % parmi les 280 opérations viticoles en faveur de l’installation qu’elles ont réalisées en 2022 sur un total de 1 300 ventes viticoles. Si le hors cadre familial apparaît comme une tendance forte, son ampleur reste difficile à appréhender, le RDI, les points d’accueil installation et les Safer n’étant pas des canaux exclusifs d’installation.
La MSA lance Mon projet d’Agri
Pour accompagner les agriculteurs dans la transmission de leur exploitation mais aussi dans des moments clés tels que l’installation ou le développement de leur activité, la MSA lance Mon projet d’Agri, un site dédié. Accessible depuis le site de la MSA, monprojetdagri.fr a été « pensé sous une logique de parcours » indique la MSA. « À chaque étape, il indique les démarches à réaliser, les acteurs à contacter pour se faire accompagner, et recense les sites internet des institutions auprès desquelles les professionnels peuvent s’informer ou effectuer ces démarches », explique aussi la mutuelle agricole. Un parcours « transmission » est ainsi prévu avec un calendrier synthétisant les étapes et rappelant les démarches qui restent à réaliser.
Un taux de remplacement dans la moyenne
Sur la période 2012-2022, le taux de remplacement des exploitants viticoles a varié entre 61 % et 79 %. C’est proche de la moyenne de l’ensemble des exploitations agricoles. Les différences régionales sont importantes. En Occitanie, selon le rapport Observatoire installation transmission 2021, le taux de remplacement des chefs d’exploitation n’était que de 51 % en 2018. Pierre Bléron, conseiller à la chambre d’agriculture de l’Hérault note que « souvent, dans le cadre de la transmission, les voisins prennent les meilleures parcelles, les moins bonnes sont arrachées ».
« Des formes atypiques d’entreprises sont appelées à émerger »
François Purseigle est sociologue, spécialiste de l’agriculture. Il a notamment publié en 2022 avec Bertrand Hervieu, « Une agriculture sans agriculteurs » (Presses de Sciences Po). Le renouvellement agricole est au cœur de ses recherches.
Quels sont les obstacles aux installations en viticulture ?
Les rachats des parts, la lourdeur des investissements sont un frein à l’installation. Les dynamiques d’installation sont aussi liées au maillage du territoire, à la place de l’interprofession ou de figures qui tirent le vignoble.
Plus généralement, il y a plus de capacité à bien transmettre s’il y a une capacité à aller chercher des spécialistes, juristes, notaires, experts-comptables… Mobiliser les bonnes compétences permet d’avoir une construction solide avec un projet économique. Ces compétences ne sont pas forcément présentes chez les agriculteurs et les organisations professionnelles. La famille agricole devrait être au service d’un projet économique, pas uniquement patrimonial.
Dans le Pacte d’orientation pour le renouvellement des générations en agriculture présenté par le gouvernement, j’apprécie les éléments relatifs à l’anticipation. Mieux diagnostiquer les fermes en situations d’être libérées, c’est important. L’information manque. Les chambres d’agriculture ont un rôle à jouer là-dessus. Qu’est-ce qu’on laisse aux générations suivantes ? C’est un vrai enjeu. Il faut que les entreprises libérées soient assez sexy. Il y a des candidats mais une inadéquation entre l’offre et la demande. Même les enfants d’agriculteurs n’ont pas le même rapport au produit, à l’organisation du travail, ou à l’articulation vie familiale et vie professionnelle.
À quoi ressembleront les installations de demain ?
L’entreprise familiale est fragilisée, il faut une stratégie d’association et d’alliance. Il faut créer des véhicules sociétaires qui permettent de la consolidation capitalistique. La formation technique des agriculteurs a beaucoup progressé mais aujourd’hui, il faut de nouvelles compétences managériales, en droit, en gestion. Ceux qui resteront auront la capacité à s’émanciper d’une forme traditionnelle de l’organisation économique, à construire des entreprises modulaires. Des formes atypiques d’entreprises sont appelées à émerger. Les Français doivent aussi évoluer et être prêts à ce que l’agriculture prenne d’autres visages.
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