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Le chevreau très malmené par le Covid-19

À l’instar de l’agneau, la période de Pâques représente la plus importante période de consommation de viande de chevreau. Avec le confinement cette année, la filière a dû se réorganiser.

Dans les jours qui ont précédé le confinement général en France, les abatteurs de chevreaux ont tiré une première fois la sonnette d’alarme. Le Portugal et l’Italie, qui représentent 55 % du débouché de la filière viande de chevreau française, ont en effet vu leurs marchés alimentaires intérieurs s’effondrer. « Au tout début du confinement français, les abatteurs ont noté l’annulation en masse des précommandes italiennes pour la période de Pâques », rappelle Franck Moreau, président de la section caprine d’Interbev, l’interprofession de la viande et du bétail.

60 % de la consommation de chevreau se fait entre mars et mai

Sur le territoire français, l’annonce du confinement par le président Macron a suscité les ruées que nous avons en mémoire vers les grandes surfaces. Seulement voilà, une fois pâtes et conserves achetées, le comportement des consommateurs a viré à l’irrationnel. « Il est devenu impossible pour les industriels de prévoir à moyen terme les besoins des consommateurs. Ainsi la filière chevreau a eu beaucoup de mal à continuer d’exister dans l’esprit des acheteurs et la viande caprine s’est mal vendue dans les premiers temps du confinement », reconnaît Franck Moreau. À noter qu’habituellement entre mars et mai, c’est 60 % de la production française de chevreau qui est consommée dont la moitié rien que le week-end de Pâques. La filière chevreau est certes petite, mais la perte de débouchés aussi massifs a eu des répercussions sur l’ensemble des maillons de la chaine. L’inquiétude a gagné très rapidement les éleveurs. « Si la collecte des chevreaux en exploitation venait à s’arrêter faute de débouchés commerciaux, les chevriers se seraient retrouvés dans une situation très compliquée, poursuit Franck Moreau, lui-même éleveur laitier dans le Cher. Certains n’auraient pas été en mesure de les engraisser et auraient été contraints à des mesures drastiques, coûteuses en temps et en argent ».

Les naisseurs font partir leurs chevreaux coûte que coûte

Côté engraisseurs, la tension était également très forte face à cette situation exceptionnelle. En effet, pour eux qui font pour la plupart 30 % de leurs volumes à bon prix à cette époque de l’année, il a fallu envisager de ne plus faire entrer de chevreaux en engraissement de peur que ceux-ci soient stockés sur pied, du fait de l’engorgement des abattoirs et de la baisse du marché. « Nous avons convenu lors d’une réunion interprofessionnelle que les abattages continueraient dans un premier temps jusqu’à Pâques », apprécie le président de la section caprine. C’est une véritable dynamique de filière qui s’est mise en place pour permettre aux éleveurs de continuer à être collectés de leurs chevreaux, évitant ainsi l’engorgement des chèvreries. Les naisseurs ont accepté de valoriser à n’importe quel prix leurs chevreaux, à partir du moment où ils étaient tout de même payés et collectés. Les engraisseurs, eux, ont eu la garantie que tout ce qui rentrait dans leurs ateliers d’engraissement avant Pâques serait abattu. « Les abatteurs ont su faire preuve d’une courageuse solidarité, car ils ont continué à abattre et stocker des tonnes de viande de chevreau sans avoir de visibilité sur des déblocages du marché », estime Jean-Luc Bouton, animateur de la section caprine d’Interbev.

L’interprofession fait parler du chevreau

La grande distribution a également joué le jeu à l’appel de l’interprofession. « La collaboration que nous avons mise en place en ces temps de crise entre la filière et les enseignes des grandes surfaces est très positive, espérons que cela perdure », se félicite le président de la section caprine d’Interbev. L’interprofession a en effet mis à disposition des grandes et moyennes surfaces des outils de communication autour du chevreau et la section caprine a également joint ses forces à Interbev ovins pour promouvoir l’agneau et le chevreau. Franck Moreau apprécie d’ailleurs que les grandes surfaces, malgré la simplification des rayonnages en cette période de crise, aient maintenu l’offre en viande de chevreau pour leurs clientèles.

Une consommation de chevreau divisée par deux

Au final, le bilan, certes alarmant, n’est pas aussi mauvais que ce à quoi les professionnels de la filière s’attendaient. Malgré la frilosité de certains magasins à grossir les commandes de chevreau sur cette période instable, « la collaboration avec la grande distribution a porté ses fruits pour limiter la baisse de la consommation qui a tout de même été divisée par deux par rapport à 2019 », avance Franck Moreau. Les abatteurs ont aussi eu droit à une petite bouffée d’air frais la semaine de Pâques, avec le réveil des acheteurs italiens. « Les exports vers l’Italie pour Pâques ont finalement atteint 80 % du volume de 2019 », apprécie le responsable professionnel. Cependant le marché portugais est resté fermé. Deux explications sont mises en avant : l’importation de chevreaux espagnols et la fermeture prolongée des restaurants, gros pôle de consommation du chevreau au Portugal.

Une aide au stockage incohérente

Dans l’après Pâques, la situation française reste tendue. « Nous souhaitons au sein de l’interprofession que la solidarité de filière qui s’est mise en place perdure jusqu’à la fin de la saison du chevreau, soit fin mai-début juin, afin de limiter les pertes économiques pour les naisseurs et les engraisseurs », argumente Franck Moreau. Dès le début de la crise, les filières animales françaises avaient demandé au ministère de l’Agriculture des solutions et des aides pour le stockage froid des viandes et produits laitiers face à l’encombrement des marchés et au dérèglement de la consommation. Cette requête avait été portée au niveau européen et le 28 avril, la Commission européenne a donné sa réponse. Celle-ci a été favorable pour l’ensemble des productions, exception faite du chevreau pour lequel s’appliquent des conditions spécifiques. En effet, seuls les chevreaux congelés après le 7 mai pourront bénéficier d’aide au stockage. « La raison évoquée par la Commission est que le stockage avant Pâques n’impacte pas l’équilibre de la filière, ce qui est faux ! », s’insurge Franck Moreau. Alors qu’après Pâques, les chevreaux congelés représentaient 400 tonnes, les professionnels envisagent d’atteindre les 700 tonnes d’ici fin mai. « Deux problèmes vont se poser avec cette quantité de viande stockée, alerte Jean-Luc Bouton d’Interbev. D’une part le coût de stockage pour les industriels, estimé entre 250 et 300 euros par tonne pour six mois. D’autre part, nous ne savons pas encore comment gérer ces stocks par la suite notamment pour la mise sur le marché. Il faut s’attendre à un déséquilibre sur la période de Noël, voire même sur la saison pascale 2021. »

Les engraisseurs sous tension

Dès le 19 mars, l’interprofession avait interpellé les pouvoirs publics sur la nécessité de mettre en place un plan de soutien aux engraisseurs de chevreaux. Les professionnels demandaient une aide de cinq euros par chevreau afin de couvrir à minima les coûts de production, de main-d’œuvre et de ramassage. Au 29 avril, cette demande n’avait toujours pas eu de réponse. Dans un communiqué datant du 31 mars, des engraisseurs pointaient la situation précaire dans laquelle leur corps de métier se retrouvait. « Le cours du chevreau est autour de 2,70 euros du kilo sur toute l’année mais, à Pâques, le prix grimpe généralement à 3,20-3,30 euros du kilo (une autre hausse a lieu pour Noël mais ne concerne qu’un faible volume) permettant aux ateliers d’être économiquement viables », explique Jean-Luc Bouton d’Interbev. Dans le contexte actuel, cette hausse n’a pas eu lieu. Avec cette absence de majoration du prix, les signataires du communiqué estiment à 1,4 million d’euros la perte économique pour l’ensemble des engraisseurs de France. D’autant qu’une nouvelle baisse du cours du chevreau de 10 centimes a été enregistrée sur la semaine 17 et pourrait se poursuivre dans les semaines suivantes.

Le Covid-19 révélateur d’une crise profonde

Dans le Grand Ouest, les engraisseurs interpellent pouvoirs publics et abatteurs et menacent, dans un nouveau communiqué, « de ne plus collecter les chevreaux de 3 à 8 jours en élevages naisseurs à partir de fin avril si nous n’obtenons pas de réponses financières concrètes nous permettant de continuer notre activité professionnelle sans perte d’argent. ». Anthony Garnier, engraisseur spécialisé dans les Deux-Sèvres, s’inquiète : « il n’est pas normal que les engraisseurs soient les plus touchés par cette crise. Serons-nous aidés ? Les risques de faillite sont importants pour les engraisseurs spécialisés. Qu’en sera-t-il de la suite ? Avec les volumes stockés, il faut nous attendre à une baisse du cours du chevreau gras… Le Covid-19 a été un accélérateur et un révélateur d’une crise profonde qui existe déjà depuis de nombreuses années. »

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