Le céréalier accueille les génisses de l’éleveur
Les génisses du Gaec de Rabanet dans l’Aude, sont élevées sur les couverts végétaux de Jérémy Fraysse, céréalier, dans le Tarn-et-Garonne, à 200 km de distance. Chacun y trouve son compte.
Les génisses du Gaec de Rabanet dans l’Aude, sont élevées sur les couverts végétaux de Jérémy Fraysse, céréalier, dans le Tarn-et-Garonne, à 200 km de distance. Chacun y trouve son compte.
Ils se sont rencontrés sur les bancs du lycée agricole de Toulouse-Auzeville où ils préparaient un BTS. Après avoir poursuivi des études d’ingénieur puis exercé pendant huit ans dans des organisations agricoles, Romain Planel s’est installé il y a trois ans sur l’exploitation familiale dans les montagnes de l’Aude avec son père, Claude (Gaec de Rabanet). Ils élèvent 120 vaches Aubrac et 400 brebis viande sur un territoire très ingrat. Son camarade de classe, Jérémy Fraysse, a repris l’exploitation familiale (110 ha) dans le Tarn-et-Garonne. Autrefois en polyculture-élevage, elle est aujourd’hui entièrement dédiée aux cultures. Petit à petit, le céréalier oriente sa ferme vers l’agriculture de conservation : suppression du travail du sol au profit du semis direct, introduction de couverts végétaux entre les cultures, diversification de l’assolement… Depuis deux ans, l’éleveur met ses 20 génisses de renouvellement en pension chez le céréalier pendant 18 mois. Elles se nourrissent des couverts végétaux et de quelques prairies de coteaux encore présentes. Elles arrivent à l’âge de 11 mois, à la fin septembre, et repartent un an et demi plus tard vers la fin avril, quand elles sont pleines. Tous deux y trouvent de nombreux avantages.
« On devrait gagner 50 à 80 kilos de poids carcasse »
« Les génisses sont difficiles à gérer : cela demande beaucoup de surveillance, notamment l’été avec la gestion des points d’eau et de la pâture. Et, il faut les protéger des taureaux du voisinage… Et, même si on utilise la meilleure génétique du monde, le milieu très limitant ne permet pas de l’exprimer pleinement. Notre but, en mettant les génisses en pension était de nous décharger de leur gestion, de mieux valoriser la génétique et, ce, au moindre coût », explique Romain Planel. Après sevrage, les génisses Aubrac restent un mois et demi sur son exploitation, le temps de les sociabiliser, puis rejoignent le Tarn-et-Garonne, à 200 kilomètres. Là, elles sont « barricadées pendant trois semaines » avec de la paille et du foin, le temps de se familiariser avec leur nouvel éleveur. Au départ, elles ne devaient y rester qu’une année. Mais, les ramener dans leur milieu d’origine juste avant la saillie semblait risqué. Elles reviennent donc quand elles sont pleines. Un taureau de l’éleveur assure les saillies pendant quatre mois (décembre à avril).
Le premier lot est revenu sur son exploitation d’origine au printemps dernier. « Elles se sont bien acclimatées et se sont bien tenues pendant tout l’été malgré la sécheresse », assure l’éleveur. Il estime qu’elles ont gagné un an par rapport aux générations précédentes. « Elles sont aussi développées que des vaches de quatre ans élevées chez nous. On devrait gagner 50 à 80 kilos sur le poids carcasse. » Le coût de la pension est de 1 euro par jour et par génisse, soit près de 600 euros pour les 18 mois passés chez le céréalier. S’y ajoute le coût du transport (environ 50 €/génisse). L’objectif de l’éleveur est de compenser ce coût en mettant 20 vaches supplémentaires. « Ce sera plus rentable, considère-t-il. Les 20 veaux de plus commercialisés compenseront l’ensemble des coûts de pension et nous aurons 20 aides bovins allaitants supplémentaires, les génisses n’y étant pas éligibles. Sans compter qu’il est plus facile de gérer 20 vaches de plus que 40 génisses. »
Casser le cycle des ravageurs du maïs
Au départ, c’est Jérémy Fraysse, le céréalier, qui a demandé à son ancien camarade de prendre ses génisses en pension pour rentabiliser le coût d’implantation des couverts végétaux. Lorsque ses parents ont pris leur retraite, en 2015, il a supprimé le cheptel laitier, mis en place des cultures de semence (20 ha de maïs, 14 ha de tournesol) et diversifié l’assolement (maïs grain et ensilage, blé, orge, soja…). Puis expérimenté les couverts végétaux et enfin le semis direct. Les couverts estivaux (après cultures d’hiver) sont à base de sorgho fourrager, colza fourrager, radis chinois, vesce et mélange de trèfles. Une partie est irriguée. Les couverts hivernaux (après cultures d’été) sont composés de seigle, phacélie et radis chinois. Ils sont semés juste après la récolte de la culture précédente. Les génisses pâturent la parcelle pendant quelques jours pour la gestion des adventices. Cela remplace aussi un passage de rouleau après semis. Les couverts sont pâturés deux mois après semis. Quand le maïs semence est récolté, les génisses pâturent pendant une dizaine de jours les résidus (épis des plants mâles non récoltés, mauvaises herbes…) avant le semis du couvert. Ce passage des animaux permet de casser le cycle des ravageurs (pyrale, sésamie). Pour détruire les larves et les exposer au froid hivernal et aux prédateurs, il est recommandé de broyer les cannes de maïs. Les génisses font très bien ce travail-là. Le pâturage des couverts a permis aussi de réduire le glyphosate (à 1 l/ha), voire de le supprimer avant la nouvelle culture. Jérémy Fraysse estime le coût des couverts végétaux à 10 000 euros par an (semences, mécanisation, travail). « Le coût de la pension me couvre les frais de couverts et le temps passé pour la surveillance », évalue-t-il. Et, c’est sans compter sur l’apport de fertilisation organique.
Prairies permanentes et foin pour faire la soudure
L’exploitation de Jérémy Fraysse comporte encore 10 hectares de prairies permanentes non cultivables. Elles sont pâturées de mai à août quand il n’y a pas de couvert végétal. À ce moment-là, il n’y a qu’un lot de 20 génisses de 18-20 mois. Il récolte aussi un peu de foin (25 t), qui est distribué quand la pâture n’est plus suffisante (en fin d’été et au cœur de l’hiver). « Je voudrais réduire le foin, indique-t-il. Je prévois de semer du sorgho fourrager dans les prairies pour avoir un couvert à faire pâturer début août. » L’assolement est calé selon les impératifs économiques et agronomiques mais il tient compte aussi des besoins des génisses, qui sont devenues une activité à part entière. De septembre à avril, les deux lots de 20 génisses pâturent une quarantaine d’hectares de couverts végétaux. Avec le semis direct, il n’y a pas de souci de piétinement. Les champs sont clôturés avec un fil électrique. Ils communiquent avec les prairies ou avec des points d’eau près de la ferme pour l’abreuvement des bêtes. L’éleveur et le céréalier estiment qu’ils doivent encore affiner cet échange de bons procédés. Mais, affirme le premier : « j’ai accepté d’amener des génisses chez Jérémy parce qu’il était un ancien éleveur laitier. »
Les deux cheptels du Gaec de Rabanet sont élevés dans des parcours et sans complémentation. Le foin est acheté sur pied dans la plaine.
Bovins et ovins en plein air intégral
Le système d’élevage du Gaec de Rabanet est très cadré et très adapté à son territoire. Des parcours plus ou moins boisés, très maigres et accidentés, constituent 80 % de la surface exploitée (environ 400 ha), qui s’échelonne entre 700 et 850 mètres d’altitude dans les Hautes-Corbières. Les deux troupeaux (bovins et ovins) sont conduits en plein air intégral. Il n’y a pas d’estive. Le Gaec achète sur pied et presse, selon les années, entre 200 et 250 hectares de foin dans la plaine de Limoux, souvent chez des viticulteurs qui implantent des luzernes pendant un ou deux ans après un arrachage de vigne ou chez des céréaliers qui introduisent des fourragères dans leur rotation. Le foin est essentiellement destiné au troupeau bovin (800 à 900 t/an), l’excédent est vendu. Son coût de revient global est faible. Les vêlages sont calés entre le 20 septembre et le 10 janvier. C’est le nœud du système. Les vêlages doivent être terminés avant la période la plus froide et les veaux doivent avoir quitté la ferme quand la sécheresse estivale arrive. Un quart des vaches sont saillies avec un taureau charolais. Tous les veaux mâles et toutes les génisses croisées, ainsi qu’une vingtaine de vaches de réforme, sont vendus le même jour autour du 25 juin. Les éleveurs font venir plusieurs acheteurs, les mettent en concurrence et vendent tous les animaux au plus offrant. Les veaux ne voient pas le nourrisseur. Les broutards mâles sont vendus entre 270 et 300 kg en moyenne selon les années. Jusqu’à présent, les vaches de réforme n’étaient pas engraissées. Mais, une filière locale (Viande des Pyrénées audoises) se mettant en place, quelques-unes seront finies à l’avenir. Avant qu’elles ne partent en pension, les génisses étaient élevées sans concentré. Le Gaec ne produit pas de céréale et se refuse à en acheter. « Nous faisons la guerre aux charges. C’est la clé de la rentabilité sur notre territoire », affirme Romain Planel.
Chiffres clés
Gaec de Rabanet
400 ha dont 80 % de parcours et achat de 200 à 250 ha de foin sur pied
120 vaches Aubrac (20 génisses de renouvellement) et 400 brebis viande
Jérémy Fraysse
110 ha, dont 20 maïs semence, 14 tournesol semence, 25 maïs vendu en grain ou en ensilage selon les opportunités de prix, 12 blé, 10 orge et soja en dérobé, 6 soja seul, 5 sorgho grain, 1 colza, 3 en bandes tampons enherbées, 2 seigle et 1 phacélie pour produire la semence des couverts, 11 de prairies permanentes.