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Un projet de méthanisation de 3 600 kW aux mains de 110 agriculteurs

L’unité de méthanisation Agrimaine  est en train de voir le jour en Mayenne. Un projet énergiquement vertueux qui traitera du fumier et valorisera la chaleur auprès d'une fromagerie de Lactalis.

Le chantier est impressionnant ! C’est un véritable site industriel qui est en train de sortir de terre à Charchigné, en Mayenne. Avec ses deux méthaniseurs de 12 000 m3 et son bâtiment de stockage sous atmosphère contrôlée, la SAS Agrimaine disposera d’une puissance de 3 600 kW ! Elle traitera la bagatelle de 120 000 tonnes de biomasse, dont 95 000 tonnes de fumier et 10 000 tonnes de lisier. Essentiellement des effluents d’élevage, donc : les CIVE (cultures intermédiaires à vocation énergétique) seront limitées à 12 000 tonnes, auxquelles s’ajouteront quelques sous-produits d’opportunités comme des pulpes de pommes de terre, des issues de céréales… Les effluents proviendront de 110 exploitations, toutes situées dans un rayon de 25 km. Il s’agit pour la plupart d’exploitations de polyculture-élevage de taille moyenne, avec 60 à 70 vaches et 100 à 150 hectares. Deux moteurs valoriseront le biogaz en électricité à hauteur de 30 000 MWh/an (de quoi couvrir les besoins de 20 000 personnes), tandis que la chaleur produite approvisionnera une fromagerie de Lactalis. Un beau projet territorial qui créera 12 à 15 emplois !

Une majorité d’exploitations avec 60 à 70 vaches et 100 à 150 ha

Depuis le début, en 2009, il est porté à bout de bras par deux agriculteurs, Laurent Taupin et Patrick Forêt, installés chacun de leur côté en Gaec. « Nous étions convaincus que la méthanisation avait un double intérêt pour nos exploitations : le développement d’une nouvelle activité et une meilleure gestion de la biomasse. Mais très vite, nous nous sommes rendu compte que notre volume de biomasse n’était pas suffisant, que la chaleur était compliquée à gérer, et le risque financier important (il faut 500 000 € d’investissement pour une unité de 35 à 50 kW) », raconte Laurent Taupin. L’idée d’une méthanisation collective, positionnée à côté de la fromagerie de Charchigné, a fait son chemin. « Le gros avantage d’une laiterie est qu’elle a un besoin en chaleur régulier, 365 jours par an. Mais la contrainte est son besoin en chaleur très important. La fromagerie était partante à condition que l’on couvre un tiers de ses besoins. C’est ce qui explique la dimension du projet. Être « gros » n’était pas un objectif en soi. »

La « vraie satisfaction » pour Patrick et Laurent est l’accueil et le soutien des agriculteurs du secteur, dès le départ. Cinq réunions ont été organisées autour de Charchigné, 250 agriculteurs sur 600 contactés se sont déplacés. Et la moitié ont finalement adhéré à l’association et suivi une formation de trois jours. Dès 2010-2011, 110 éleveurs ont signé un contrat d’engagement de biomasse et, en parallèle, une promesse d’apport financier avec 20 % de versement immédiat. « Nous avons créé une société pour gérer les fonds propres des agriculteurs (AB2M). Les 20 % (au total 500 000  €) étaient destinés à financer le développement du projet, donc à très haut risque », précise Patrick Forêt.

De nombreuses difficultés liées au manque de soutien politique

De l’énergie, il en aura fallu pour développer le projet ! « Nous avons travaillé jusqu’en 2015 avec un développeur qui était dans le même état d’esprit que nous. L’avantage est qu’il suivait un projet collectif territorial qui avait deux ans d’avance par rapport au nôtre (Tiper, dans les Deux-Sèvres) et il nous a fait bénéficier de cette expérience. » Les difficultés, et elles sont nombreuses, sont venues du côté des pouvoirs publics et des changements de politique de tarification. Elles ont bien failli à plusieurs reprises faire capoter le projet. Un projet pourtant en totale adéquation avec l’objectif affiché par la France de développer, contrairement à l’Allemagne, une méthanisation avec peu de cultures énergétiques. Au point qu’« en novembre 2014, nous avons demandé aux agriculteurs de l’association de voter l’arrêt ou la poursuite. L’arrêt aurait signifié la perte des 350 000 € déjà dépensés dans le développement. Mais plus de 90 % d’entre eux ont voté la poursuite, sans pourtant avoir la garantie d’aller au bout », soulignent Laurent Taupin et Patrick Forêt avec reconnaissance. Car le modèle économique ne tenait plus. « Notre unité de méthanisation était de taille trop importante pour avoir droit à la prime aux effluents (+20 % sur le tarif d’achat de l’électricité). Elle valorise pourtant beaucoup plus d’effluents que la plupart des petites et moyennes unités, et s’adosse à un collectif de petites exploitations ! »

Le projet est relancé avec la parution d’un décret en novembre 2015, puis de nouveau bloqué avec un nouveau texte fixant un délai de mise en fonctionnement inatteignable. Le salut est finalement venu de la procédure d’appel d’offres, offerte mi-2016 aux unités de plus de 500 kW. Elle consiste à mettre les projets en concurrence, chaque projet définissant lui-même son tarif d’achat sur vingt ans en fonction de son business plan.

Entretemps, les banques ont fermé la porte. « Avec le système d’appel d’offres, la rentabilité est meilleure mais le risque est plus important car le projet n’est pas subventionné par l’Ademe. Nous avons donc fait appel à un fonds d’investissement (Meridiam) via un courtier bancaire (Finergreen) pour compléter les fonds propres apportés par les agriculteurs. Nous gardons la majorité dans le capital de la société de production Agrimaine, dont nous sommes directeur et président, expliquent Laurent Taupin et Patrick Forêt. L’esprit, depuis le début, est que le projet doit rester aux mains des agriculteurs. » Le capital financier devrait être rémunéré autour de 5 %, au même taux pour les agriculteurs et le fonds d’investissement. Les apports des agriculteurs sont libres et non liés à l’apport de biomasse.

Les agriculteurs majoritaires dans le capital d’Agrimaine

Les dossiers techniques et financiers ont été bouclés en décembre 2017. Et le projet, malgré sa taille, est plutôt bien accueilli par le voisinage. « Nous n’avons pas rencontré d’opposition et nous avons obtenu lors de l’enquête publique 38 avis favorable. Mais nous avons beaucoup communiqué au départ. » Une porte ouverte, qui a accueilli 450 personnes, a par exemple été organisée pour expliquer l’intégration d’une exploitation dans le projet de méthanisation, ses consommations d’énergie et le projet « énergiquement vertueux : il utilise seulement 2 % de l’énergie produite en consommation d’énergie pour transporter la matière, sans compter le fuel économisé par la fromagerie ».

Agrimaine tient aujourd’hui le bon bout, mais il est temps que cela se termine. Laurent et Patrick sont fatigués de voir la réglementation leur mettre sans arrêt des bâtons dans les roues. Le dernier en date concerne les aspects sanitaires. « Comme nous travaillons avec plus de 30 000 tonnes d’effluents, l’administration nous met la barre très haut : elle impose une hygiénisation des digestats (chauffage à 70°C pendant une heure - log 5). La méthanisation a pourtant un pouvoir d’hygiénisation fort de 90 % ! » Le surcoût de cette hygiénisation ? 1 million d’euros.

« Si c’était à refaire, lâche Laurent Taupin, je ne suis pas sûr que je le referais. Et pourtant, nous avons créé un outil qui aide les agriculteurs, qui est dans les attentes de demain en matière d’environnement et d’économie circulaire. Il donne du sens au métier. Le système est reproductible, nous en sommes convaincus ; il manque juste un peu de volonté politique. »

 

Pour les éleveurs: une indemnité au mètre cube pour la gestion du digestat

Le stockage et l’épandage du digestat sont à la charge des 110 agriculteurs. Ils seront indemnisés au mètre cube de biomasse fourni, à un montant qui est défini dans le contrat. « Ceci, quelle que soit la performance de l’outil, précise Patrick Forêt. L’indemnité permettra de financer la fosse pour stocker le digestat et les frais d’épandage. Sur mon exploitation, avec l’évolution de la réglementation concernant le stockage de fumiers mous au champ, il aurait de toute façon fallu investir dans une fumière. Les effluents seront aussi mieux valorisés car l’azote sera plus disponible. » Les quantités de fumier contractualisées varient de 400 à 2 000 tonnes  par an. Pour deux tiers des exploitations, il s’agit d’un fumier de logettes ; très peu d’exploitations sont en lisier pur. Quant aux produits issus du digestat, ils sont homologués, ce qui permet à Agrimaine de ne pas avoir de plan d’épandage à gérer.
Côté logistique, le transport de la biomasse sera assuré par un prestataire. « Une personne à temps plein sera embauchée pour planifier les transports d’effluents et digestats. Des audits sont en cours dans les exploitations pour caler l’organisation d’ici la fin de l’année. C’est un poste important qui doit être optimisé », ajoute Laurent Taupin.

 

Avec du fumier: de la redondance dans les équipements

« Au niveau de la biologie du méthaniseur, on se compare à un bœuf de 4 ans nourri avec du foin ou de la paille, plutôt qu’à une Holstein à 12 000 kg, résume Laurent Taupin. Nos deux digesteurs sont deux grosses panses avec un temps de transit long (50 jours contre plutôt habituellement 25-30 jours) pour une matière difficile à dégrader. » Agrimaine s’appuie largement sur le retour d’expérience du projet collectif Tiper, qui utilise également du fumier. « Le fumier a un pouvoir méthanogène nettement supérieur au lisier mais c’est plus compliqué : il faut le défibrer, il y a plus d’usure, de casse, de blocage. Nous en avons tenu compte en choisissant des matériels a priori robustes et avec de la redondance dans les équipements. Nous installons par exemple quatre lignes d’incorporation au lieu de deux, de façon à avoir en permanence deux lignes en maintenance préventive ou curative. » L’alimentation est automatisée, avec un système de grappins qui prendront le fumier dans la fosse profonde. Le système de caissons utilisé par Tiper est également retenu. Au niveau sécurité, l’ensemble des digesteurs sera confiné dans une zone de rétention étanche de 11 000 m3.

 

Côté éco

° Fonds propres : 25 M€

dont subvention du département : 150 000 €,

subvention de la région : montant fixé début 2019,

agriculteurs (SAS AB2M) : 3,2 M€,

fonds d’investissements (Meridiam) : le solde.

° Investissements : 25 M€

dont bâtiment (société Elcimad) : 5,7 M€,

process (société Biogest) : 16,3 M€,

développement, frais coltine : 1,5 M€,

MO (maîtrise d’œuvre), AMO (assistance à maîtrise d’œuvre), ATRC (assurance tout risque chantier) : 700 000 €,

fonds de roulement : 800 000 €.

 

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