Agriculture et mode
S’habiller avec du lait, c’est possible : une filière fibre de lait française à l’étude
Une première collection à base de fibre de lait initiée par le créateur français Mossi Traoré sera bientôt en vente. Tandis que le Cniel travaille avec le Ceti sur un process de fabrication à la française à partir de lait impropre à la consommation.
Une première collection à base de fibre de lait initiée par le créateur français Mossi Traoré sera bientôt en vente. Tandis que le Cniel travaille avec le Ceti sur un process de fabrication à la française à partir de lait impropre à la consommation.
Et si le lait servait aussi à s’habiller ? Fabriquer des vêtements à partir de lait n’est pas une idée nouvelle. L’histoire remonte aux années 30. Un chimiste italien, Antonio Ferreti, réussit alors à créer pour la première fois des fibres en caséine. La fibre textile a des propriétés antibactériennes, antistatiques et hypoallergéniques et est utilisée pour remplacer la laine pendant la seconde guerre mondiale notamment pour les vêtements des blessés.
Mais son procédé de fabrication, utilisant trop de produits chimiques pour un fil cassant et de mauvaise qualité, tombe dans l’oubli après la guerre… pour réapparaître dans les années 2000 en Italie et en Allemagne avec de petites productions. L’industrie textile cherche alors de plus en plus à utiliser de la biomasse.
7000 tonnes de lait à valoriser
En 2021, au Cniel, Christophe Spotti, directeur marketing et communication du Cniel, et Adrien Dinh, directeur marketing et stratégie d’influence de l’interprofession laitière, se disent qu’il pourrait être intéressant de valoriser le lait impropre à la consommation (7000 tonnes par an en France) en créant une filière française durable de fibre de lait.
Claire Dabrowski, consultante en accompagnement des marques chez Wlasch, est mandatée par le Cniel pour piloter le projet. « J’ai eu la chance de rapidement croiser Mossi Traoré, créateur de mode de talent et très engagé sur l’innovation, l’intégration sociale (auprès des jeunes de banlieue), la création d’emploi et la formation », raconte-t-elle.
Ils commencent à rencontrer différents acteurs de cette fibre en Italie, et dans d’autres pays du monde, partent à la recherche d’échantillons de tissus réalisée avec cette fibre (mélangée ou non). Pour concevoir un procédé français, durable et de qualité, ils contactent le Ceti, Centre européen des textiles innovants, basé à Tourcoing (dans le Nord) ».
Vidéo de teasing du Cniel
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Vers un brevet français avec un solvant vert
« Le Ceti travaille déjà avec un procédé similaire sur la fibre de cellulose », explique Claire Dabrowski. Le procédé consiste à isoler la caséine des autres composants du lait, puis à ajouter un acide (non chimique) pour séparer la caséine de la matière liquide. Cette matière première est ensuite séchée jusqu’à obtenir une poudre blanche qui subit des transformations pour pouvoir être filée. Mélangée à de l’eau et à d’autres composants naturels, la préparation est ensuite extrudée pour obtenir des fils de différentes tailles.
Le Ceti travaille depuis plusieurs mois sur le process, à partir d’une petite machine. Le 29 juin lors de ses dix ans, le centre a montré au public sa première fibre de lait.
Le Cniel souhaite faire breveter « une fibre de lait française » de qualité, en ayant recours à un solvant « vert », issu de la biomasse, pour remplacer les adjuvants chimiques aujourd’hui utilisés.
C’est frustrant de devoir dépendre d’un savoir-faire italien
En parallèle, Mossi Traoré se lance dans le projet de création d’une collection à base de fibre de lait. « Ce qui m’a motivé dans ce projet c’est le challenge créatif. Partir d’un tissu que je ne connaissais pas – je ne l’avais pas entre les mains – explorer du côté de l’Inde, du Japon, de l’Allemagne et de la Chine. Et puis j’ai rencontré l’entreprise italienne Duedilatte qui maîtrise ce savoir-faire. En France, pourtant pays de la Haute Couture, nous sommes en retard sur le sujet. C’est frustrant
de devoir dépendre d’un savoir-faire italien », confie Mossi Traoré.
Quand il reçoit le premier carton de tissus, « ça a été magique ! », se remémore-t-il. La fibre 100% lait ressemble à de la soie. « Souple, fluide, soyeuse, rafraichissante », tels sont les qualificatifs qui lui viennent pour la décrire. Au naturel, la fibre est beige laiteuse. « On a travaillé sur des teintures noires et bleues », explique le créateur.
Une dizaine de pièces en vente au Printemps mi-septembre
Avec des tissus, fournis par Duedilatte, Mossi Traoré met au point une première collection présentée à la dernière Fashion Week. La directrice du Cniel Caroline Le Poultier porte un prototype à la soirée du Cniel du dernier salon de l’Agriculture.
« Une enseigne, le Printemps, a passé commande. La marque Caliban serait aussi intéressée », poursuit le créateur. D’ici la mi-septembre une dizaine de pièces de sa collection (tops, t-shirts, sweets et robes) seront en vente au Printemps du Louvre (à Paris), sur la boutique printemps.com et l’eshop Mossi pour quelques centaines d’euros. Le Cniel réunira ses familles de professionnels et la presse le 28 septembre pour présenter l’avancée du projet.
Les premières bobines françaises en 2023
Et ensuite ? D’ici quelques semaines le Ceti devrait recevoir une plus grande machine, commandée en janvier, pour pouvoir produire plus largement les fibres de lait. L’idée est ensuite de créer une filière française afin de valoriser une partie ces 7000 tonnes de lait rendues impropres à la consommation par an (périmé, rejeté par les laitiers ou sortis du circuit lors des contrôles à la ferme). « Il n’y aura pas de production de lait spécifique pour le textile », assure Adrien Dinh du Cniel.
Dès février 2023, le Ceti devrait pouvoir fabriquer les premières bobines. « Dans les Hauts-de-France, où résident beaucoup d’industries textiles, nous sommes déjà interpellés sur le sujet », poursuit-il. Le Ceti a pour mission de concevoir un business plan sur la partie industrielle. Pour l’instant le coût de fabrication de la fibre de lait est assez élevé. Un test sur une filière locale devrait être lancé dans les Hauts-de-France (avec des industries textiles, industriels du lait et exploitations laitières). La Normandie devrait suivre.
Ce projet de relocalisation d’une filière industrielle de recyclage de la biomasse en France devrait pouvoir bénéficier d’aides de BpiFrance dans le cadre du plan de relance mais aussi de soutiens de l’Ademe.
C’est bien un projet de logique interprofessionnelle
« La problématique du lait jeté se retrouve à chaque échelon de la filière laitière, nous discutons avec tous les collèges du Cniel, c’est bien un projet de logique interprofessionnelle », souligne Christophe Spotti du Cniel qui compte bien embarquer tous les responsables professionnels laitiers autour de cette idée de filière française. Du côté de l’industrie de la mode, Mossi Traoré espère que des artisans français s’intéresseront au projet et pourquoi pas dans un second temps des grandes marques du prêt-à-porter telles Zara ou H&M confrontées aujourd’hui à la préoccupation du développement durable.