« Sans griffe, la pénibilité de la traite est allégée »
En Ille-et-Vilaine, Claire Monvoisin a résolu ses douleurs aux mains et aux épaules, occasionnées à la longue par la traite, grâce à une installation originale sans griffe.
« J’aimais bien traire, être avec mes vaches, les observer... Mais des douleurs aux épaules et aux mains avaient rendu la traite très pénible », dépeint Claire Monvoisin, associée avec son frère, Olivier Briand. Leur élevage produit 483 000 litres de lait avec 55 vaches. « C’était devenu tellement gênant qu’il fallait que je trouve une solution pour pouvoir continuer à traire », poursuit l'éleveuse qui se charge de la majorité des traites. « J’avais envie de continuer mais pas dans ces conditions. »
À ses problèmes de santé s’ajoutait une salle de traite 2x5 en épi, datant de 1995, en fin de course. « Économiquement, nous ne pouvions pas passer en traite robotisée », explique l'exploitante. Pour éviter d'y laisser sa santé, Claire a fait des recherches sur des équipements de traite légers et fini par dénicher une vidéo sur un élevage dans l'Orne, l’un des rares en France équipé d'un système de traite sans griffe. «]]>Avec un poids limité des gobelets trayeurs (400 g), j’y ai vu une solution à mes problèmes]]>», raconte l’éleveuse.
Les deux associés se rendent alors à une porte ouverte sur cet élevage. Devant leur intérêt, la société allemande SiliconForm qui commercialise Stimulactor, ce dispositif de traite, leur fait visiter plusieurs exploitations outre-Rhin. « J’ai pu voir différentes installations qui correspondaient à nos besoins, retrace l'éleveuse. Heureusement, la configuration de notre salle de traite permettait de remplacer nos dix postes par dix Stimulactor. » Il faut en effet disposer de suffisamment d'espace pour pouvoir installer les boitiers verticaux où sont rangés les tuyaux. Le coût s'est élevé à 6 000 euros par poste.
Un coût de 6 000 euros par poste
En 2019, le changement d’équipement de traite a été simple. « Tout ce qui concerne le lactoduc et le tank a été conservé. Les quais ont été rallongés de 1 mètre et il a fallu ajouter un compresseur. Le changement des postes de traite a été rapide, se souvient Claire. Entre la traite du matin et celle du soir, les cinq postes du premiers quai ont été installés. Le lendemain, les techniciens ont fait le deuxième quai. Les vaches ont changé d’équipement sans s’en rendre compte ». Pour l’éleveuse, la prise en main a aussi été facile grâce à un boitier de commande où toutes les procédures sont illustrées par des pictogrammes. Chaque poste de traite est équipé de la dépose automatique et de compteurs à lait.
En début de traite, les tuyaux à lait souple sortent de leur armoire de rangement. Une fois la vache placée, il n’y a plus qu’à saisir chaque manchon pour le brancher.
En plus de l’absence de griffe, ce système se distingue par une autre spécificité : l’oscillation des tuyaux. « Pendant la traite, les tuyaux sont mis en mouvement pour reproduire la succion du veau, ce qui aide à mieux vider la mamelle. »
L’éleveuse trouve que la traite se montre plus respectueuse des mamelles. « Comme il y a juste les manchons à faire tenir, un niveau de vide entre 36,4 et 37 kPa suffit. Il était de 42 kPa dans l’ancienne salle de traite. Pour autant, il n'y a pas particulièrement de chute de manchons et les mamelles sont bien vidées, partage-t-elle. Je n'ai ni plus ni moins de problèmes de mammites qu'avant, ni de lipolyse. »
Une traite plus confortable et une santé retrouvée
Après plus de trois ans de traite avec ce nouvel équipement, Claire Monvoisin en tire un bilan positif. Déjà pour sa santé, car elle n’a plus de douleurs aux épaules et aux mains. « La traite est bien plus confortable, apprécie-t-elle. Quand des remplaçants viennent, ils nous disent tous que ce n’est pas compliqué et bien moins physique. » Elle se sent aussi plus en sécurité pour brancher les génisses. « Comme il y a moins de poids, cela semble moins les surprendre. »
Objectivement, l’éleveuse reconnaît néanmoins quelques inconvénients. La traite est plus longue de 10 à 15 minutes pour la cinquantaine de vaches. « Et il y a un peu plus de bruit du fait des oscillations. » Au niveau des consommables, « il faut un peu plus d’eau et de produits pour le lavage, un peu plus d’électricité pour le compresseur, calcule-t-elle. Et je renouvelle les manchons en silicone tous les quatorze mois (selon le nombre d'heures d'utilisation) au lieu d'une fois par an auparavant ».
Pas de concession en France mais...
Travailler avec une entreprise n'ayant pas de concession en France pourrait aussi s'avérer problématique pour la maintenance et les dépannages. Mais les deux associés disposent de pièces d’avance et font les réparations eux-mêmes. « Nous avons appris à faire pas mal de choses. En cas de problème, nous échangeons par visio avec notre contact chez SiliconForm, relate Claire. Et comme nous n’avons pas modifié le restant de notre installation, c’est notre concessionnaire Delaval qui continue d'assurer l’entretien annuel. »
Avis d'expert : Jean-Louis Poulet, responsable de projet « R&D traite » à l'Institut de l'élevage
« Une solution parmi d'autres pour se faciliter la traite »
« Ce système sans griffe, assez atypique, est peu présent en France et n’a jamais été testé dans une ferme expérimentale. Nous manquons donc de références objectives. Ce système peut permettre d'améliorer les conditions de travail et la prévention des troubles musculo-squelettiques, mais il ne faut pas oublier que les modèles récents de griffes sont plus légers que ceux qui étaient installés il y a vingt ans. En termes de travail, il faudrait étudier l'impact sur la santé à long terme entre le fait de faire quatre gestes (pour poser les gobelets) plutôt qu'un seul mouvement avec plus de poids. Côté mamelle, on peut aussi se demander quel est l'impact du mouvement d'oscillation sur la stabilité des gobelets. Il faut s'assurer que le mouvement et le niveau de vide bas ne perturbent pas l’interface manchon/trayon. Une entrée d’air aurait un impact négatif sur la qualité du lait (lipolyse) et pourrait permettre le passage de souillures. Je ne pense pas que ce mouvement soit nécessaire pour une bonne vidange de la mamelle. Avec une bonne préparation classique, la décharge d’ocytocine est suffisante.
Pour gagner en confort de traite, j'encourage les éleveurs à penser à la traite au sens large, en termes d’équipement mais aussi d’organisation. Le temps et le stress sont aussi des facteurs d’inconfort. Par exemple, vouloir passer moins de temps mais avoir plus de mammites à soigner n’est pas un gain de qualité de travail.
Pour continuer à traire sereinement, il faut se pencher sur l’ergonomie de ses installations, faire le point sur ses pratiques et ses attentes. Si un changement d’installation est envisagé, chaque trayeur doit prendre le temps de tester l’installation envisagée. Il n’y a pas de solution universelle. »