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Quatre façons d’utiliser le soja local pour vos vaches

Cru, toasté ou ensilé plante entière, le soja produit en France peut se valoriser en direct sur les fermes. Il peut aussi intégrer la ration des laitières sous forme de tourteau gras fabriqué dans de petites unités industrielles.

Une vingtaine de toasteurs mobiles tournent en France.
Une vingtaine de toasteurs mobiles tournent en France.
© D. Chapuis

1 - La graine crue est riche en azote soluble

« La graine de soja est la légumineuse la plus riche en protéines, mais il s’agit à plus de 80 % de protéines solubles fortement dégradables dans le rumen, avance Corinne Peyronnet, de Terres Univia. Ce qui implique une sous-valorisation et un gaspillage d’azote si la graine ne subit aucun traitement pour augmenter la part des protéines digestibles dans l’intestin. » Les graines de soja contiennent aussi des facteurs antitrypsiques, mais qui impactent a priori seulement les monogastriques.

La graine de soja, c’est de l’azote, mais aussi beaucoup d’huile (18 %). La limite d’incorporation de la graine tient à la matière grasse totale du régime. Il faut veiller à ne pas dépasser 5 % de MG dans la ration, au risque de perturber le fonctionnement ruminal et donc de diminuer la synthèse de protéines microbiennes. Ce qui aurait des conséquences en particulier sur le TP, voire sur la production de lait.

 
Les graines crues contiennent plus de 80 % de protéines solubles.
Les graines crues contiennent plus de 80 % de protéines solubles. © A. Conté

 

Les essais menés par l’Institut de l’élevage à la ferme expérimentale d’Ognoas de 2003 à 2005 avec de la graine aplatie dans des régimes à base de maïs ensilage ont testé différents niveaux d’incorporation de graines de soja crues. L’optimum technique se situe à 2 kg/VL/j. Le lait a augmenté de 3 à 7 %, le TP n’a pas été impacté, par contre le TB a baissé de 0,5 à 1,2 g/l. À noter par ailleurs que les graines crues aplaties sont appétentes. À la ferme du lycée agricole de Poisy, dans un autre essai mené il y a quelques années, aucun problème sanitaire ou métabolique n’a été relevé, ni rancissement avec un aplatissage une à deux fois par semaine.

2 - Le toastage diminue la dégradabilité des protéines

Le toastage est un procédé de cuisson qui engendre une modification chimique des protéines, qui se complexifient avec les sucres par la réaction de Maillard. Les protéines sont ainsi mieux protégées de la dégradation ruminale. Le toastage détruit aussi les facteurs antinutritionnels des graines de soja. En les asséchant et en éliminant bactéries et champignons, il contribue aussi à une meilleure conservation.

Aujourd’hui, une vingtaine de toasteurs mobiles se déplacent en France, le plus utilisé étant le toasteur Mecmar, équipé d’un brûleur à fioul. Concrètement, les graines atteignent un caisson à fond mouvant perforé où de l’air chauffé à 280 °C est insufflé. Les graines ressortent à 120-130 °C, et maturent à 100 °C avant d’être refroidies. « Le toastage peut contribuer à l’autonomie protéique mais les systèmes à flamme directe ou semi-directe engendrent des difficultés liées à la maîtrise du temps de séjour des graines et à l’homogénéité de la cuisson, relève Têko Gouyo, de Terres Inovia. Nous avons analysé différents échantillons issus de toasteurs en laboratoire et il n’y a pas forcément de différence significative entre les graines crues et les graines toastées en termes de solubilité. L’irrégularité des process, pas toujours maîtrisés, engendre des résultats fluctuants. Un excès de cuisson peut aboutir à des dégradations des acides aminés thermosensibles et une perte de valeur alimentaire des protéines. » L’impact de l’évolution du couple températures-temps de séjour mérite d’être mieux étudié et contrôlé.

Par ailleurs, les systèmes à flamme directe présentent aussi un autre inconvénient. « Les graines se trouvent en contact avec des gaz de combustion, poursuit l’expert. Cela pose des soucis de compatibilité avec les cahiers des charges bio. Ils n’interdisent pas cette solution mais elle n’est pas souhaitée en termes d’image. » Des tests sont aujourd’hui en cours dans l’Aveyron sur un toasteur à tambour rotatif (et non un tapis sur brûleur) dont la flamme n’est pas au contact direct des graines. « Ce système nous paraît plus adéquat pour maîtriser les conditions du traitement thermique appliqué. Et d’autres alternatives comme les torréfacteurs électriques sont en cours de déploiement. »

3 - L’extrusion va au-delà de la cuisson

L’extrusion est un procédé de transformation mécanique et thermique. Concrètement, dans un extrudeur, une vis tourne à l’intérieur d’un fourreau thermorégulé et force les graines à passer dans une filière de faible diamètre, ce qui provoque une contrainte mécanique. « Lors de l’extrusion, les graines sont soumises pendant un temps très court à des température, pression et cisaillement plus ou moins intenses », dépeint Têko Gouyo.

Ce traitement permet de diminuer la quantité de protéines non dégradables dans le rumen et de faciliter la digestion par l’animal au niveau de l’intestin.

4 - Les tourteaux expeller affichent 9 % de MG

Contrairement aux tourteaux de soja classiques traités à l’hexane, les tourteaux dits gras ou expeller sont obtenus par simple pression des graines. Celle-ci permet de réduire de moitié la teneur en matière grasse des graines. D’après l’enquête tourteau de Terres Univia (2019-2020) ils affichent 9 % de matière grasse en moyenne, contre 2 % pour les tourteaux de soja classiques. « Ce taux se montre assez stable à plus ou moins un point près, constate Corinne Peyronnet. Ils sont de bonne qualité avec des teneurs élevées en protéines (47 % MB). » Les teneurs en cellulose sont réduites grâce au décorticage des graines. Leur fabrication se fait dans de petites unités industrielles dont la capacité de production ne dépasse pas 20 à 30 000 tonnes par an. 

Le tourteau expeller HP soja de l'usine Extrusel, par exemple, est issu d'un procédé d'extrusion/trituration qui consiste à décortiquer la graine, à la chauffer et à la déshuiler par pression, sans solvant. « Nous obtenons un tourteau plus gras (environ 7 % MG) qu'un tourteau du commerce, décrit Grégory Pinçon, d’Oxyane. Il est donc destiné aux éleveurs de ruminants. » Côté valorisation, un essai a été mené à la ferme de Poisy en Haute-Savoie il y a plusieurs années avec un tourteau de soja expeller à 11 % MG (2,9 kg) en substitution à du tourteau de colza (3,4 kg) sur un régime foin et maïs épi. La production avait augmenté de façon significative (+1,9 kg) par rapport au lot témoin à 20,6 kg/VL. Par contre, le TB et le TP avaient chuté respectivement de 1,6 et 1,1 g/kg.

Quatre façons d’utiliser le soja local pour vos vaches

 

L’ensilage de soja est aussi testé

Agrial expérimente la récolte de soja dans les Pays de la Loire en ensilage et enrubannage. Ce fourrage présente des valeurs énergétiques et protéiques intéressantes, proches de celles d'une bonne luzerne. Il semble être un bon fourrage pour équilibrer l’ensilage de maïs car sa teneur en PDIN est importante.

« L’un des avantages de ce mode de récolte est de pouvoir récolter plus tôt », note Laurent Davoust d’Agrial. La récolte nécessite un préfanage. Il faut viser au moins 30 % MS pour une bonne conservation. « En 2020, il y a eu un grand écart de rendement entre les parcelles irriguées (7 t) et celles non irriguées (3 t). » En 2021, le soja n'a été cultivé qu'en irrigué. Le rendement s'est limité à 5 t en irrigué, du fait du manque de chaleur. « Le taux de MAT s'élève à 20 %. Les valeurs UFL en vert s'élevaient à 0,90 UFL l'an dernier et 0,80 UFL cette année. Une fois fermenté, on devrait gagner 0,05 à 0,1 UFL. »

Du soja broyé stocké en boudins

Le point clef est de veiller à un taux de matière sèche de 85 % minimum pour stocker des graines de soja broyées en boudins.
Le point clef est de veiller à un taux de matière sèche de 85 % minimum pour stocker des graines de soja broyées en boudins. © E. Guillemot
Conserver les graines de soja broyées en boudin, c'est possible, à condition de bien travailler. « Le point-clef est de veiller à un taux de matière sèche de 85 % minimum, insiste Eric Guillaumot, conseiller à Éleveurs des Savoie. Une analyse d’échantillon avant d'enfermer les graines est indispensable. » Il faut aussi travailler très proprement, sans contamination par de la terre ou des adventices. « Le silo boudin est une solution par exemple pour des éleveurs qui sont trop justes en capacité de stockage. » Le coût est de 27 euros par mètre linéaire, ce qui correspond à 1,4 tonne stockée. Il faut y ajouter 40 euros de tri si les graines sont sales. « Dans nos essais, les valeurs sont très bonnes : 1,26 UFL/kg brut(1) et 441g de MAT par kilo sec ! »

 

Thierry Hétreau

Avis d’expert : Têko Gouyo, de Terres Inovia

« La rentabilité du toastage pose question »

Têko Gouyo, de Terres Inovia.
Têko Gouyo, de Terres Inovia. © Terres Inovia
« Le coût du toastage varie de 50 à 100 €/t en fonction des toasteurs. Aujourd'hui, le toastage à la ferme n'est pas forcément rentable, car le procédé utilisé n'est pas toujours optimal. Et cela, malgré un prix exceptionnellement élevé du tourteau de soja non OGM entre 550 et 700 €/t cette année, avec un écart de 250 €/t entre un prix de tourteau de soja classique et un tourteau garanti non OGM. Seule une parfaite maîtrise du process pourra garantir une amélioration de la valorisation des graines et donc assurer sa rentabilité.

 

Appliquons des process de façon mesurée et quantifiée, et restons prudents tant que l’on n’est pas sûr de la réelle plus-value apportée. Pour l’heure, nous manquons de connaissances et de références. Il faut investiguer et obtenir des valeurs de références. Beaucoup de choses restent à ajuster. Dans le cadre du projet Valoaval de CapProtéines, nous allons construire (fin 2022) un cuiseur expérimental pour tester les conditions de cuisson à l’air chaud. »

Quels sont les impacts des graines de soja toastées ?

Dans le Grand Est, les lycées agricoles de la Barotte et de Réthel ont testé l’introduction de graines de soja toastées dans la ration de laitières en substitution partielle ou totale de tourteau.

Dans l'essai au lycée de Réthel, le soja toasté a permis +2,3 kg de lait, -1,6 g/kg de TB, -1,3 g/kg de TP.
Dans l'essai au lycée de Réthel, le soja toasté a permis +2,3 kg de lait, -1,6 g/kg de TB, -1,3 g/kg de TP. © D. Chapuis

 

Au lycée de Réthel (08), un essai a été mené en 2021 sur deux lots de 26 vaches prim’Holstein et jersiaises pendant six semaines. Les vaches du lot témoin ont été complémentées avec du tourteau de colza uniquement (2,8 kg MB) tandis que celles du lot expérimental ont reçu des graines de soja toastées (1,1 kg MB) en substitution partielle à du tourteau de colza (1,4 kg MB). La ration complète se composait de 7,5 kg MS de coproduits, 5 kg MS de maïs ensilage, 1,9 kg MS de betteraves fourragères, 1,8 kg MS de foin, 1,8 kg MS de rumiluz, plus une VL 18 (1,5 kg MB), le CMV, l’urée et le bicarbonate.

Au niveau zootechnique, le lot complémenté en graines de soja a produit moins de lait (-1,3 kg), moins de TB (-1,4 g/kg), moins de TP (-2 g/kg) et moins d’urée que le lot témoin.  Seule la baisse du TP est significative statistiquement. Par ailleurs, l’introduction de graines toastées dans le régime n’a pas affecté l’état physique des vaches, chaque lot ayant ingéré une quantité d’énergie similaire.

D’un point de vue économique, le surcoût du toastage (55 €/t) participe à une hausse de 2 €/1 000 l du coût de la ration. Le produit lait baisse quant à lui de 12 €/1 000 l. La marge sur coût alimentaire diminue donc de 14 €/1 000 l avec les graines de soja toastées. « Cette baisse de rentabilité peut être compensée partiellement ou en totalité en s’engageant dans une démarche de différenciation type alimentation sans OGM, considère Alice Berchoux, de l’Institut de l’élevage. Mais l’intérêt technico-économique du toastage se pose.»

Au lycée de la Barotte (21), en 2019, un autre essai (sur 40 vaches, pendant 10 semaines)(1) avec des graines toastées (2,6 kg) en substitution totale de tourteau de soja (1,6 kg) a conclu à des différences significatives : +2,3 kg de lait, -1,6 g/kg de TB, -1,3 g/kg de TP. « Dans le contexte de cet essai, la substitution est économiquement viable si la différence entre le prix d’achat du tourteau de soja et celui des graines devient supérieur à 94 €/t, calcule Denis Chapuis de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. En complémentant avec du tourteau de soja classique, les éleveurs sont perdants. Par contre, en filière non OGM, avec un écart de 150 à 200 €, l’incorporation de graines toastées se montre intéressante. »

(1) Pôle laitier régional de Bourgogne Franche-Comté.

Avis d'éleveur : Damien Lecuir, président de l’OP Danone des 3 Vallées

« Du soja toasté oui, mais produit par des voisins céréaliers »

Damien Le Cuir, président de l'OP Danone des 3 vallées
Damien Le Cuir, président de l'OP Danone des 3 vallées © C. Pruilh
« Nous avons démarré des essais de soja en Normandie en 2019 avec une dizaine d'hectares, implantés par des éleveurs Danone adhérents à l'OP des 3 vallées. En 2020, les surfaces ont été multipliées par trois, notamment grâce à un partenariat avec la coopérative de Creully. Les graines ont été toastées et distribuées aux vaches sur trois élevages pendant un à deux mois. Globalement, les résultats techniques nous ont donné satisfaction. Chez moi, dans un régime comprenant du maïs ensilage, de la luzerne et de l’ensilage d’herbe, j’ai pu distribuer jusqu’à 3 kilos de graines qui se sont substituées totalement au tourteau de colza. Il n’y a pas eu d’effet significatif sur la production et le TB, par rapport au moins précédent en tenant compte du mois moyen de lactation. Par contre, le TP a perdu 1,5 point.

Encouragés par ces résultats, environ 90 hectares ont été semés en 2021, en bio et conventionnel, chez des céréaliers et des éleveurs qui ont un atelier grandes cultures. Faire produire du soja à des éleveurs spécialisés lait a peu de sens. Le soja a surtout un intérêt dans des rotations de grandes cultures. Avec la nouvelle PAC et la notion de diversification des cultures, les céréaliers devraient être intéressés par cette culture. En Normandie, avec la fermeture de la sucrerie et les problèmes de la culture du lin, le soja peut prendre une place dans les assolements. La flambée du cours du soja non OGM renforce notre volonté de créer une filière non OGM locale. Mais encore faut-il que la rentabilité soit au rendez-vous. Il reste à construire un modèle de valorisation du soja, qui offre un intérêt économique pour les cultivateurs et pour les éleveurs, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. À noter que les essais et la prise de risque des agriculteurs sont aidés par des fonds européens et la région Normandie. »

Rédaction Réussir

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