Prix du lait : Les OP peinent encore à s’émanciper
Dix ans après leur création, les organisations de producteurs peinent encore à se faire entendre et à se doter des moyens nécessaires à leurs missions. Malgré tout, elles évoluent pour défendre leurs adhérents et chercher de la valeur.
Dix ans après leur création, les organisations de producteurs peinent encore à se faire entendre et à se doter des moyens nécessaires à leurs missions. Malgré tout, elles évoluent pour défendre leurs adhérents et chercher de la valeur.
Voilà dix ans que les organisations de producteurs (OP) ont été créées et le constat est mitigé. Trop peu d’accords-cadres ont été signés entre les organisations de producteurs de lait et les acheteurs transformateurs. Trop peu de formules de prix intègrent un indicateur coût de production. Et les engagements conclus ne sont pas toujours tenus, comme l’illustre l’affaire Sunlait contre Savencia. La mission première des OP – négocier un accord-cadre volume et prix – est largement soumise au bon vouloir de l’industriel et dépendante de la conjoncture.
Parmi les réussites, l’APBO (près de 700 exploitations liées à Bel) est une des rares OP à avoir signé un contrat-cadre et à avoir créé son cahier des charges de production laitière (MonBBLait). Elle gère également collectivement le volume de ses adhérents en mutualisant les sous- et les sur-réalisations. Cela permet d’éviter les pénalités individuelles. Cette prise en main de leur destin par les éleveurs a été favorisée par la motivation du groupe Bel à déléguer ces compétences à une OP.
Mais il y a encore de nombreuses déceptions. L’inflation met une pression très importante sur les OP lors des négociations sur le prix du lait. Les industriels ont du mal à faire passer les hausses de tarif nécessaires à la grande distribution, qui se positionne en défenseur du pouvoir d’achat. Conséquence : ils sont frileux à augmenter le prix payé aux producteurs.
Si elles veulent s’imposer comme partenaires incontournables des laiteries, les OP ont encore des défis à relever.
Créer le réflexe OP auprès des éleveurs
Le premier défi des OP est de mieux connaître leurs adhérents et de créer davantage de liens avec eux. « Quand vous avez une question, vous appelez d’abord le technicien Lactalis. Ayez le réflexe OP en premier ! C’est votre OP qui vous représente », a rappelé Frédéric Epineau, président de l'OPLGO (plus de 1000 exploitations du Grand-Ouest représentées) lors d'une journée adhérents.
« Beaucoup d’éleveurs s’identifient encore à leur laiterie. Il faut changer les habitudes et qu’ils s’identifient avant tout à leur OP », pointe Claude Marchais, président de l’OP Les 3 rivières (406 exploitations liées à Savencia sur la Sarthe, Mayenne et Maine-et-Loire). « Notre spécificité est de cultiver le lien entre les adhérents et les quarante administrateurs, ajoute Anthony Daubert, vice-président de la jeune OP créée en janvier 2021. Comme nous ne sommes pas très gros, nous misons sur notre dynamisme pour peser. Nous avons un bon taux de participation aux réunions, qui est un bon indicateur de santé de l’OP. Un de nos principaux travaux a été notre reconnaissance en tant qu’organisme professionnel d’accompagnement et de validation (OPAV) pour réaliser les diagnostics pour la charte des bonnes pratiques d’élevage. Ce travail de terrain nous permet aussi d’être proches de nos adhérents, de mieux les connaître pour mieux les défendre. »
Trouver des moyens
« Il manque des moyens aux OP pour mener de front toutes leurs missions : gestion des adhérents, négociation des volumes, prix et engagements RSE… De plus en plus d’OP veulent s’émanciper de leur acheteur de lait, avec la reprise en main des outils de mise en marché », développe Fabrice Guérin, président de Poplait, une association de dix organisations de producteurs du Grand-Ouest (5 000 exploitations représentées).
Son objet principal est de mutualiser des moyens (formation, expertise, ingénierie de projets…). L’association développe un logiciel permettant de gérer les informations des adhérents de façon quotidienne. « C’est un outil important pour mieux connaître ses adhérents et l’offre de lait, et donc pour mieux négocier avec le ou les acheteurs de lait. À la demande de nos adhérents, nous développons un module sur le carbone pour compiler les principaux résultats des diagnostics Cap’2ER. »
Être force de propositions
« Cela fait trop longtemps que seul l’industriel fait des propositions. Nous travaillons pour être force de propositions sur la formule de prix qui est en cours de renégociation, développe l’OP Les 3 rivières. Mais aussi sur le sujet du renouvellement des générations, pour faire face à la déprise laitière et tenir notre objectif de volume collectif pour Savencia. Et sur l’amélioration de l’empreinte carbone, pour ne pas se faire imposer une démarche. »
Sortir d’une relation duale avec un seul industriel
Avec un prix du lait nettement plus élevé chez nos voisins comparé à la France, les OP auraient pu faire profiter leurs adhérents d’opportunités si elles avaient été propriétaires du lait. Aujourd’hui, la majorité des OP sont liées contractuellement à un unique acheteur et lui donnent mandat pour la facturation et la gestion de la collecte, maintenant de fait un lien de subordination avec la laiterie.
De plus en plus, les OP se disent prêtes à travailler avec d’autres acheteurs. Fabrice Guérin, de Poplait, fait remarquer un frein, avec « certains contrats qui ont une clause d’exclusivité plus ou moins explicite qui peut gêner cette émancipation ».
Certaines OP ont franchi le pas, soit via un statut de coopérative (coopérative de la vallée de l’ange par exemple), soit en créant une SAS qui gère la collecte et les contrats de ventes de lait, comme la SAS Hauts de France Dairy.
Pour être en mesure de trouver d’autres débouchés pour ses adhérents, l’OP doit devenir propriétaire du lait qui sort des tanks de ses adhérents. Ce faisant, elle devient une OP « commerciale ». « Si c’est plus intéressant pour elle, l’OP peut déléguer la facturation et la collecte, explique Yohann Barbe, président de l’UPLV (385 exploitations).
Notre coopérative, par exemple, est propriétaire du lait. 100 % des tanks sont propriété de l’UPLV, mais la coopérative délègue la facturation et la collecte à ses deux acheteurs de lait, Triballat Rians et Savencia. Le statut coopératif permet de gérer les flux d’argent plus simplement qu’en restant en statut associatif. Mais il comporte des contraintes (comptes à rendre au HCCA, suivi du capital social des adhérents…). »
Reprendre en main la gestion du froid
Faut-il qu’il y ait deux tanks à lait dans une exploitation qui a deux contrats ? « Pas nécessairement, car tant que le lait est dans le tank, il appartient à l’éleveur. Mais si le tank appartient à l’un des clients, ce dernier n’accepte pas qu’un autre pompe dans son tank. Il est plus transparent que les tanks appartiennent aux éleveurs, ou à l’OP qui les met à disposition des adhérents », explique Loïc Adam, président de France OP lait, association nationale de défense des organisations de producteurs. Certaines laiteries comme Savencia incitent les éleveurs à acquérir leur tank.
L’acquisition de tanks et l’organisation de leur contrôle et entretien est une des actions qui intéressent les OP. Poplait défend leur accompagnement via un programme opérationnel soutenu dans le cadre de la PAC. Mais pour 2023, la France n’a pas opté pour un programme opérationnel en lait de vache. « Nous revenons à la charge pour 2024. Cela peut être pour la gestion du froid, mais aussi pour déployer un programme carbone qui va constituer une porte d’entrée aux marchés », insiste Fabrice Guérin.
Se faire entendre de la filière et des élus
Les OP et leurs besoins commencent à se faire connaître du gouvernement et des politiques. La médiation a été renforcée et un comité des règlements des différends créé. Ces dispositifs ont aidé les OP à avoir plus de poids face à leurs acheteurs. Cela a été le cas de l’Unell face à Lactalis qui avait dérogé à la formule de prix contractuelle.
Enfin, la création de trois postes de représentants d’OP au sein du collège producteurs de l’interprofession laitière est « une première étape pour faire part des difficultés et des besoins des OP », reconnaît Loïc Adam de France OP lait. Mais France OP lait et Poplait rappellent que « ce n’est pas une vraie place, avec une création d’un collège à part entière. C’est une nomination par la FNPL et la Confédération paysanne de représentants du collège producteurs, sans droit de vote à l’AG ».
Chiffres clés
Toutes les infos ne remontent pas encore aux OP
Massifier encore les OP
Pour Sunlait (association de 6 OP liées à Savencia, représentant un millier d’exploitations sur toute la France), « il y a un enjeu à faire adhérer les producteurs aux OP, mais aussi à massifier la mise en marchés en réduisant le nombre d’opérateurs OP et associations d’OP vis-à-vis des échelons aval. Cette massification est nécessaire pour continuer de renforcer la capacité de proposition et l’autonomie de nos structures. La facturation, la gestion du froid et de la collecte et le transfert de propriété sont des outils pour l’améliorer », développe Loïc Delage, président de Sunlait.
L’adhésion de l’OPLGO à l’Unell va dans ce sens. Elle « renforce la structuration des producteurs vendant leur lait à Lactalis, pointe Yohann Serreau, son président. Sa taille en fait la première structure de négociation collective du prix du lait en France ».
Du côté de France OP lait, « nous avons créé un réseau d’OP qui partagent leurs expériences et peuvent s’inspirer mutuellement. Il faut poursuivre ce travail pour mailler davantage d’OP et prendre ainsi du poids ».