Piloter l’alimentation des vaches avec les acides gras du lait
En Auvergne - Rhône - Alpes, les teneurs en acides gras du lait de tank sont mis à disposition des éleveurs. Ces nouveaux indicateurs permettent de piloter plus finement l’alimentation et de gagner en réactivité.
En Auvergne - Rhône - Alpes, les teneurs en acides gras du lait de tank sont mis à disposition des éleveurs. Ces nouveaux indicateurs permettent de piloter plus finement l’alimentation et de gagner en réactivité.
La Fidocl, qui regroupe les entreprises de conseil en élevage d’Auvergne - Rhône - Alpes (sauf Cantal) et quelques départements limitrophes, a mené pendant deux ans une étude (ZoCoRA, pour Zone de Confort Rumen Animal) sur les acides gras du lait. Elle était conduite en partenariat avec le laboratoire régional d’analyses interprofessionnelles (Galilait). Le but était de déterminer les taux d’acides gras requis pour qu’un animal soit en bonne santé. « La qualité de la matière grasse dans le lait est un excellent traceur de l’état de santé des vaches, rappellent les auteurs de l’étude. Le type de matière grasse est le reflet du régime alimentaire, mais aussi d’éventuels problème métaboliques ou physiologiques d’un troupeau. » Ils ont retenu les trois principaux acides gras présents dans le lait : l’acide palmitique (C16:0), l’acide oléique (C18:1) et les acides gras polyinsaturés (AGPI).
Des analyses d’acides gras du lait de tank ont été effectuées sur 160 élevages à plus de 8 000 kilos de lait par vache, représentatifs des systèmes de la région (races, systèmes fourragers). Les résultats ont montré de très gros écarts. Ils ont été confrontés aux données de Conseil élevage et aux observations de terrain (pratiques de rationnement, ressenti des conseillers...). Ce croisement des données a permis de fixer pour chacun des trois acides gras des bornes entre lesquelles l’animal est dans sa zone de confort. Depuis le 1er janvier 2018, tous les éleveurs disposent dans leur logiciel de gestion de troupeau, Mil’Klic, des indicateurs acides gras (donnés en g/l et présentés sous forme de jauges). Une première en France, qui est en train d’essaimer.
Fonctionnement du rumen et déficit énergétique
L’acide palmitique (C16:0) est un indicateur du fonctionnement du rumen. Il doit être compris entre 10 et 13 g/l de lait en période hivernale et entre 8,5 et 11,5 g/l en saison de pâturage. « Lorsqu’il est très haut, c’est le signe d’une mauvaise valorisation de la ration de base, souvent due à un excès de fibres non digestibles, qui se traduit par un NDF (critère d’évaluation de la fibrosité) trop élevé, explique Loïc Ramel, technicien à Haute-Loire Conseil élevage. S’il est trop faible, moins de 10 voire moins de 11 g/l, le risque d’acidose est important. »
L’acide oléique (C18:1) est « un bon indicateur du déficit énergétique et de l’état corporel du troupeau », poursuit le technicien. La plage de confort pour l’animal est comprises entre 6,5 g/l et 8,5 g/l en hiver et entre 7,5 g/l et 9,5 g/l au printemps. Lorsque le C18:1 augmente, c’est le signe d’une mobilisation des réserves corporelles. Quand il est bas, les vaches ont tendance à s’engraisser. Il est complémentaire des indicateurs d’acétonémie dans un troupeau. En revanche, le C16:0 et le C18:1 n’évoluent pas forcément de la même manière. On peut donc facilement différencier si un problème métabolique est lié à la structure physique ou chimique de la ration (C16:0) ou à sa composition nutritionnelle (C18:1).
Les AGPI, un indicateur de santé animale
Troisième indicateur : les acides gras polyinsaturés (AGPI), constitués essentiellement des omégas 3. Ils ont un impact favorable sur la santé de l’animal (reproduction, défenses immunitaires) et sur la qualité nutritionnelle du lait. L’animal ne les produit pas. Ils sont apportés par l’alimentation. L’herbe pâturée est l’aliment le plus riche en AGPI, un ensilage d’herbe précoce en apporte beaucoup aussi et bien sûr le tourteau de lin. Leur teneur est le reflet du régime alimentaire, de sa diversité, de la qualité et de la proportion de chaque aliment. C’est un bon marqueur notamment de la qualité de l’ensilage d’herbe lorsqu’il est en proportion importante dans la ration. Des taux se situant dans une fourchette de 1,5 à 1,8 g/l en hiver et de 2 à 2,5 g/l à la pâture sont le signe « d’un bon équilibre de ration et d’une ration bien valorisée, explique Loïc Ramel. Ils sont apportés par l’alimentation, mais pour en produire le maximum, il faut des vaches en bonne santé ». Si tout le reste va bien, les AGPI sont dans la zone de confort.
« Le plus important, ce sont les évolutions »
Les plages de confort pour ces trois acides gras ne sont pas valables pour des taux butyreux hors normes. Lorsqu’ils sont inférieurs à 38 g/l ou supérieur à 45 g/l, il faut plutôt regarder des rapports. Le C16:0/TB doit se situer entre 28 et 30 %, le C18:1/TB autour de 24 % et le rapport AGS (acides gras saturés)/AGI (acides gras insaturés) autour de 2,4 à 2,45.
L’analyse de ces critères est assez complexe et ne peut se faire que dans un échange entre cette connaissance amenée par le conseiller et les observations de l’éleveur sur son troupeau. « Le plus important, ce sont les évolutions, explique Loïc Ramel. Si les acides gras ne bougent pas dans le bon sens, c’est le signe qu’il y a une dérive. On regarde alors les choses de plus près et on vérifie si les vaches confirment. »
Avis d'expert : Cyril Bonnefoi, technicien Haute-Loire Conseil élevage
« Les acides gras me servent matin, midi et soir »
« Grâce aux acides gras, nous avons gagné en réactivité. Ils nous disent par exemple que la valeur énergétique de la ration n’est pas optimale avant que le TP ne baisse en laiterie. On évite ainsi des pertes économiques pour l’éleveur. Les acides gras ne remplacent pas le calcul de la ration et ne dispensent pas d’aller voir les vaches. Mais ils nous sécurisent dans nos diagnostics et nous permettent d’aller plus vite dans le choix des possibles. Avant d’aller chez les éleveurs, je regarde sur le papier comment ils évoluent. J’ai déjà des choses en tête quand je vais voir les vaches. Quand on a changé la ration, je vérifie si les choses évoluent bien entre deux passages dans l’élevage. Les acides gras, surtout le C16:0 et le C18:1, me servent matin, midi et soir. Ce sont des innovations qui nous permettent de rester compétitifs dans les élevages. »
ZoCoRA se déploie au niveau national
La méthode ZoCoRA, mise au point par la Fidocl, a été rachetée par France Conseil élevage. Plusieurs entreprises de conseil élevage sont en train de la déployer sur leur zone, pas forcément sous ce nom (Eilyps, Seenovia, Optival, Oxygen...). Valacta, le contrôle laitier du Québec, est fortement intéressé. « Le gros enjeu, c’est d’avoir la donnée, explique Patrice Dubois, directeur de Rhône Conseil élevage et concepteur de la méthode. Sa diffusion ne serait pas possible sans un accord du conseil d’administration du laboratoire interprofessionnel Galilait et une validation par l’entreprise laitière et l’éleveur. » C’est la seule région a avoir établi un tel partenariat. Ailleurs, soit des prélèvements de tank sont faits directement par l’entreprise de conseil élevage ou envoyés par l’éleveur, soit des moyennes troupeau sont calculées à partir du profilage des acides gras sur le flacon de chaque animal.
Avis d'éleveur : Mickaël Giraud, Gaec de la Pensée de Chazelle, 80 Prim’Holstein à Monistrol-sur-Loire en Haute-Loire
« Nous distribuons deux fois par jour pour éviter le tri »
« La ration des vaches est équilibrée à 30 kg de lait avec 33 kg brut de maïs, 13 kg d’ensilage d’herbe, 1,5 kg de foin de luzerne, 2 kg d’orge, 900 g de tourteau soja-colza et 1 % d’urée, auxquels s’ajoutent au robot 2,5 kg en moyenne de VL et 1,3 kg de tourteau. Elle est en tous points conformes aux recommandations (0,92 UFL/kg MS, 366 g/kg MS de NDF, 209 g/kg MS d’amidon). Pourtant, jusqu’à l’automne dernier, il manquait 4 à 5 litres de lait et les taux étaient en chute libre (38 g/l en TB, 30 g/l en TP). On voyait sur les bêtes que ça n’allait pas. Les rumens n’étaient pas pleins. Il y avait des pics d’acidose qui se traduisaient pas des boiteries. Les acides gras confirmaient que la ration était mal valorisée (C16:0 trop élevé) et que les vaches étaient en mauvaise santé (AGPI faibles). C’est la pose de caméras dans la stabulation qui a permis d’élucider le problème. Le troupeau est en circulation fermée (accès à l’auge après passage au robot). La ration était distribuée le matin. Quand on préparait le bol, les vaches se précipitaient vers le robot pour pouvoir aller manger alors qu’il restait beaucoup de refus. Les vaches triaient la ration pendant la journée. Du coup, la nuit, elles n’allaient pas manger parce que la ration avait perdu son appétence. Désormais, nous préparons la ration le matin mais elle est distribuée deux fois, à 6 h 30 et à 17 h 30. Nous sommes plus vigilants aussi sur la qualité du mélange. Très rapidement, les acides gras sont revenus dans la norme et la production a retrouvé les niveaux attendus. »
Avis d'éleveurs : David, Alain et Régine Joumard, Gaec des Petits Jean, 65 Prim’Holstein à Saint-Jean-Lachalm en Haute-Loire
« Le mieux que nous pouvons faire avec un ensilage raté »
« À 1 150 mètres d’altitude, avec un cheptel à 9 500 kg de lait par vache, rater son ensilage d’herbe est assez catastrophique. C’est ce qui nous est arrivé au printemps dernier à cause des mauvaises conditions météorologiques. Le premier silo, à 18 % MS, a coulé. Le second était à 0,70 UFL et 530 g/kg de NDF. Les vaches n’ont pas tardé à marquer le coup. Alors que l’hiver précédent, elles tournaient à 30-32 kg de lait par jour, à l’automne dernier elles sont tombées à 25 kg et les chutes de lait ont été nombreuses. Les vaches maigrissaient et les taux d’urée restaient hauts, signes d’une déficit énergétique. Mais le TP n’avait pas encore baissé. Il y avait des signes d’acétonémie également. Nous avons essayé de mettre de la matière grasse. Les vaches ont repris de l’état mais on n’a rien gagné sur le lait. Le croisement des différents indicateurs (C16:0 trop haut, TP qui se maintenait en début de lactation...) nous a orienté vers une un déséquilibre en sucres solubles. Du coup, les vaches n’ingéraient pas bien. Nous avons décidé d’apporter de la mélasse de canne à sucre en forte quantité (1 Kg/VL/j). Nous avons gagné de l’ingéré et le lait a augmenté de 3 kg/VL/j.
Au cours de l’hiver, un tamisage des bouses a montré qu’elles étaient assez fibreuses. De plus, les taux d’urée étaient en baisse, plus particulièrement sur les vaches en début de lactation. Signes d’un déficit azoté certainement lié à une variation de qualité dans le silo. L’ajout de 500 g de tourteau a permis de récupérer 1,5 kg de lait supplémentaire et de stabiliser le troupeau à 28 kg/j (efficacité alimentaire de 1,47, soit un gain de 0,35 depuis les changements de ration). La ration comprend 37,5 kg d’ensilage d’herbe (27 % MS), 4 kg de maïs épi, 500 g de luzerne enrubannée, 1 kg de mélasse, 2 kg de tourteau soja/colza, 3 kg de céréale (dont 1 kg au DAC) et 2,5 kg en moyenne de VL au DAC. En février, la hausse du C18:1 a révélé une tendance au déficit énergétique sans qu’aucun autre signe ne se manifeste. Nous avons refait la composition de la VL, qui contenait beaucoup de sous-produits, avec des matières premières, plus compatibles avec le potentiel des vaches. C’est le mieux que nous pouvons faire avec les fourrages que nous avons. Il manque 3 à 4 kg de lait que nous ne sommes pas allés chercher car ça aurait coûté trop cher. »