« Nous sommes passés de 10 à 65 hectares de pâturage »
Au Gaec Chevance, dans les Côtes-d’Armor, David et Mickaël ont abandonné les cultures de vente, le maïs et le robot de traite et lâché 50 hectares pour s’orienter vers le bio et plus pâturage.
Au Gaec Chevance, dans les Côtes-d’Armor, David et Mickaël ont abandonné les cultures de vente, le maïs et le robot de traite et lâché 50 hectares pour s’orienter vers le bio et plus pâturage.
Jusqu’en 2015, le Gaec Chevance, à Plésidy dans les Côtes-d’Armor, c’était 150 hectares de SAU dont 75 hectares en cultures de vente, 35 hectares de maïs et 40 hectares de prairies. La référence de 720 00 litres de lait chez Sodiaal était produite par 70 prim’Holstein. Puis 2015 a été l’année du déclic pour David et Mickaël Chevance, les deux frères associés. Un déclic qui les a amenés au passage en bio en novembre 2018. Depuis les vaches ont vu leur niveau de production chuter de 9 200 à 5 500 litres. Le robot de traite installé en 2008 a été démonté en 2016 au profit d’une salle de traite 2x10 BouMatic.
Depuis, le Gaec ne produit pas sa référence laitière parce que ce n’est plus une priorité. « Nous ne voulons pas traite plus de 70 vaches pour ne pas être débordés quand nous travaillons seuls. Nous faisons en effet la traite seuls un jour sur deux et un week-end sur deux », précisent les éleveurs.
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Pour atteindre leurs objectifs en termes de revenu et de qualité de vie, David et Mickaël Chevance ne craignent pas de naviguer à contre-courant, quitte à inquiéter leur banquier voire leur entourage professionnel. Ils n’ont pas hésité à réduire d’un tiers leur SAU, en ne conservant que 99 hectares sur les 150 hectares qu’ils exploitaient. Les 99 hectare de SAU se répartissent désormais en 92 hectares de prairies et 7 hectares de méteil (200 kg/ha dont 15 kg/ha de pois, 45 kg/ha d’avoine et 140 kg/ha de triticale) autoconsommés. « À l’exception de 300 kg de sel par an, notre système est autonome. Nous n’avons plus le stress lié aux achats des intrants », apprécient David et Mickaël.
Aujourd’hui, leur bien-être au quotidien et les performances économiques leurs donnent raison. « Avec notre ancien système, nous avions l’impression de passer notre vie sur un tracteur. On gagnait bien notre vie mais on travaillait énormément. Cela ne convenait plus à notre objectif, à savoir assurer un revenu tout en pouvant consacrer du temps à notre famille. C’est pour cela qu’en 2015 nous avons décidé de nous recentrer sur l’atelier lait. Nous avons arrêté les cultures de vente et le maïs au profit de prairies. » Le pâturage occupe désormais une place centrale dans leur système. « Nous avons la chance d’être dans une zone avec un groupe d’éleveurs, notamment au sein du Cedapa (NDLR : Civam des Côtes-d’Armor), qui travaillent beaucoup sur l’herbe et avec lesquels nous pouvons partager nos expériences. »
Ne pas contribuer à la déforestation au Brésil
Ce changement de cap radical est d’autant mieux vécu par les deux frères qu’il répond à des enjeux environnementaux et à des attentes sociétales. « Avant, nous importions du tourteau de soja du Brésil dont la culture contribue à la déforestation. Nous sommes à la fois loin de ce pays et près par nos choix », expliquent-ils.
Le passage en bio leur a également permis de répondre à un autre enjeu important à leurs yeux. « Nous voulions nous passer de phytos pour préserver la santé de nos enfants sachant que nos maisons sont au milieu de nos champs. Et on ne voulait pas imposer à nos voisins ce que nous ne voulions pas pour nous. Depuis que nous avons opéré ce virage, nous nous sentons mieux dans notre peau. Nous recevons des écoles et voisins qui apprécient que nous soyons passés en bio. »
Les vaches dehors contribuent à notre bonne image
Plus généralement, David et Mickaël Chevance ont le sentiment que la présence de vaches dans des prairies au printemps et en été fait partie des attentes sociétales et contribue à la bonne image du monde de l’élevage. « Quand les vaches restent en permanence dans un bâtiment, cela peut nourrir des suspicions injustifiées au sujet de la maltraitance des animaux. Or, les fausses informations circulent très vite sur les réseaux sociaux. »
Ce changement de stratégie s’est bien déroulé sur le plan humain et économique parce qu’il a été réalisé avec une bonne dose d’anticipation. « Comme nous voulions augmenter la part de pâturage, nous avons commencé à réaliser des échanges parcellaires avec des voisins dès 2010. » Ces échanges ont permis de porter la surface accessible aux vaches à 65 hectares contre 10 hectares à l’époque de la traite robotisée. Les éleveurs ont opté pour le pâturage tournant dynamique avec des paddocks de 80 ares. « Un tiers de nos surfaces sont des terres profondes. Malgré cela, fin juin le pic de pousse d’herbe est passé. Nous réservons alors les parcelles les plus accessibles aux vaches en production. Et nous mettons les taries et les génisses sur les parcelles les plus éloignées. »
Trois kilomètres de réseau d’eau et 3 000 piquets
Les génisses âgées de 18 mois et plus ne sont en bâtiment qu’en janvier et février. « Grâce aux haies et au bois, elles ont beaucoup de lieux pour s’abriter quand elles sont dans les pâtures. »
En complément de l’implantation de prairies, David et Mickaël ont souscrit une MAEC SPE 28 % de maïs dans la SFP en 2015. Les aménagements du parcellaire ont été réalisés progressivement. Ils ont planté 3 000 piquets en fer avec isolateur pour délimiter les paddocks. Le réseau d’eau (3 km de tuyaux enfouis à 30 cm de profondeur avec une petite sous-soleuse) et 1,5 km de chemins d’accès aux paddocks ont été aménagés « tranquillement en cinq ans ».
Enfin, pour améliorer le confort de leurs vaches, David et Mickaël ont entamé depuis trois ans un chantier de restauration du bocage un peu mis à mal par le remembrement de certaines parcelles. « Nous avons déjà replanté 900 mètres de haies et refait 1 km de talus. Et nous comptons replanter 3 km de haies supplémentaires lors des cinq prochaines années. »
À retenir
Une stratégie payante sur le plan économique
David et Mickaël Chevance déclarent se sentir mieux dans leur peau depuis qu’ils ont choisi en 2015 de se recentrer sur le troupeau laitier et de convertir leur système en bio. Ils se sentent d’autant mieux qu’ils ont gagné en performance économique. Philippe Leclerc, directeur de l’agence Cerfrance de Guingamp, dans les Côtes-d’Armor, confirme : « Le changement de cap global du Gaec s’est traduit par de la création de richesse supplémentaire. La valeur ajoutée est passée de 177 000 € sur la période 2013-2015 à 217 000 € en 2020, soit 40 000 € de plus. »
En mars 2014, les charges opérationnelles de l’exploitation s’élevaient à 161 500 € dont 40 600 € pour les cultures de vente (65 ha). Lors du passage en bio en 2018, elles avaient baissé à 58 000 € dont 12 800 € pour les cultures de vente (33 ha) puis à 41 500 € l’année dernière.
Le coût de concentré a chuté de 83 €/1 000 l en 2014 à 14 €/1 000 l en 2018, puis à 12 €/1 000 l en 2020. « En 2014 et 2018, avec un prix du lait quasiment équivalant (366 €/1 000 l et 360 €/1 000 l respectivement), la marge brute lait est passée de 187 900 € à 205 000 € en produisant 140 000 litres de lait en moins », relatent les éleveurs.