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« Nous dégageons 74 000 € de revenu disponible à deux en bio avec 36 vaches laitières »

Au Gaec du Bourguet, dans l’Aveyron, Camille et Lénaïc Vabre ont fait le pari osé de s’installer à deux sur une petite structure. Certes la reprise de la ferme familiale a été facilitée mais ils ont su construire un projet cohérent en phase avec leurs aspirations. Le revenu est au rendez-vous et l’astreinte se limite à cinq heures par jour.

« S’installer en lait, l’idée nous plaisait mais à deux conditions. Nous voulions à la fois bien en vivre et vivre bien », racontent Lénaïc et Camille Vabre, qui ont repris en 2021 l’exploitation du père de Lénaïc située à Pradinas, à 620 mètres d’altitude. Avec un revenu disponible de 37 000 euros par exploitant, un ratio EBE/produits de 54 % et un temps d’astreinte limité à cinq heures en hiver (et 3 h 30 en été), le jeune couple est parvenu à transformer l’essai.

Après neuf années de salariat dans le para-agricole, Lénaïc qui ne se prédestinait pas forcément à s’installer, savait pertinemment ce qu’il ne voulait plus professionnellement. « Hors de question d’être esclave du travail », clame-t-il.

Animé par l’envie de devenir son propre patron et de vivre différemment, il décide avec sa compagne Camille, alors salariée à mi-temps sur l’élevage, de s’installer. « À travers ce projet d’installation à deux, nous voulions être capables de nous dégager du temps pour la vie de famille », avance le couple, aujourd’hui heureux de la qualité et de l’équilibre trouvés entre la vie professionnelle et la vie privée.

Pas la course au volume ni aux hectares

« Pour y parvenir, il a d’abord fallu se poser les bonnes questions et assumer des choix stratégiques, quitte à passer pour des marginaux », dépeint Camille. C’est vrai que la ferme se montre plutôt atypique dans le secteur. « Mais peu importe ! D’autant que ceux qui nous regardaient avec scepticisme au début, viennent aujourd’hui nous questionner et s’intéressent à notre démarche. »

Fiche élevage

51 ha dont 18 ha de prairies temporaires, 19 ha de prairies permanentes, 6 ha de maïs, 8 ha de méteil grain

36 vaches croisées à 7 000 l

257 000 l produits

1,12 UGB/ha SFP

2 UMO associés et un aide familial

Pour trouver le modèle qui répondrait le mieux à leurs attentes, les éleveurs ont d’abord cherché à valoriser les atouts de la structure. À commencer par le parcellaire groupé (les terres les plus éloignées se situent à 1 km de la ferme), le potentiel du sol (l’un des meilleurs du Ségala) et 35 hectares irrigués à partir de lacs collinaires datant des années 1980. « L’irrigation constitue une énorme sécurité qui a pesé lourd dans notre décision d’installation, reconnaît Lénaïc. Auparavant, seul le maïs était irrigué, mais depuis deux ans, nous y recourons pour les prairies et pour assurer la montaison des céréales. »

Autre point important : les éleveurs n’ont jamais envisagé d’agrandir la structure ni de produire plus. « Notre logique a été de partir de la surface que nous avions à disposition et d’en déduire le nombre de vaches pour être en adéquation avec. Surtout pas l’inverse », poursuit Camille. L’idée était aussi de maintenir une certaine autonomie au sein du système en limitant la dépendance aux intrants.

Une conversion anticipée avant l’installation

Le choix du bio s’est assez vite imposé. « D’une part, le bio correspondait à nos convictions et d’autre part, il répondait à la nécessité économique de nous dégager un revenu suffisant pour deux. » La conversion a été anticipée en 2019, avant même de créer le Gaec entre époux. « Mon père a compris notre projet et a emboîté le pas », se souvient Lénaïc. Au niveau du troupeau, le passage en bio n’a pas posé de difficulté avec de la génétique prim’Holstein à 8 500 litres. Désormais 100 % des laitières sont issues d’un croisement trois voies associant montbéliarde et rouge scandinave. « Le potentiel laitier est moins élevé mais les vaches sont plus rustiques, moins fragiles et elles valorisent bien le pâturage », apprécie Camille.

Au niveau fourrager, le changement de système s’est traduit par une réduction de la part de maïs, qui composait jusqu’alors près de la moitié de la ration hivernale, au profit de l’herbe. « Nous n’avons pas voulu arrêter complètement le maïs plante entière car nous tenions à garder nos vaches en état », précise Lénaïc. Le maïs entre dans l’assolement après trois ans de prairies de fauche, cinq ans pour les prairies pâturées, et avant un mélange céréales-pois récolté en grain.

vaches au pâturage
Les prairies sont riches en trèfle, ce qui permet d’arrêter la distribution de correcteur pendant plus de six mois. © E. Bignon

Au niveau des prairies, les paddocks ont été redécoupés et réaménagés (points d’eau, chemins) pour passer en pâturage tournant dynamique. La surface allouée aux prairies de fauche – à base de trèfle violet, trèfle blanc, ray-grass hybride, ray-grass anglais et fétuque élevée – a augmenté pour intégrer plus d’herbe dans la ration en hiver. Les éleveurs préfèrent travailler en enrubanné plutôt qu’en ensilage d’herbe pour favoriser les petits chantiers et faucher au stade optimal. « L’enrubanné (50 % MS) tourne à 13 % de MAT, ce n’est pas si mal en bio car ce n’est pas évident de monter haut en protéines sans recours aux engrais azotés. »

Davantage concentrer la ration en énergie

Le système en place se montrait satisfaisant en termes d’autonomie protéique, mais il restait un peu juste pour couvrir les besoins énergétiques. « C’est pourquoi, nous avons remplacé le maïs ensilage plante entière par du maïs épi pour concentrer la ration en énergie, il y a deux ans, expose Lénaïc. Il a fallu ajouter de la luzerne brins courts car la ration manquait de fibrosité et d’encombrement et les vaches avaient du mal à se caler. »

silo de maïs épi
Le maïs épi parfaitement tassé (400 kg MS/m3) est conservé dans un silo couloir de 8 m coupé en deux : un de 1,40 m de haut pour l’hiver, et un de 80 cm de haut pour l’été. En été, avec 20 vaches traites, l’avancement se limite à 15 cm. © E. Bignon

Aujourd’hui elles reçoivent en hiver 4 kg MS de maïs épi, 9 kg MS d’enrubannage, 3,5 kg MS de luzerne déshydratée brins longs à 18 % MAT, 1,5 kg de regain, 1,6 kg MS de correcteur, 3 kg MS de méteil grain, plus le CMV. « Nous observons une meilleure reprise d’état après vêlage et le TP a progressé de plus d’un point. »

Le maïs épi est maintenu au minimum à 2 kg MS au pâturage, avec 1 kg MS de luzerne déshydratée et 1,5 kg MS de regain. Par contre, aucun concentré n’est distribué d’avril à octobre. Sur l’année, seulement 5 t MS de correcteur sont achetées et 20 t de luzerne déshydratée (375 €/t).

Encore des améliorations possibles

« Les vaches mangent beaucoup par rapport à ce qu’elles produisent », relève toutefois Lénaïc qui envisage d’investir dans un bol mélangeur pour améliorer l’efficacité alimentaire. Aujourd’hui, rien n’est mélangé. Les vaches reçoivent le foin après la traite. Il est repoussé manuellement, puis l’enrubanné est apporté à la dérouleuse avec le maïs épi et la luzerne, et les concentrés sont distribués à la brouette.

« Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre pour continuer à progresser, conclut Camille avec enthousiasme. Mais c’est ce qui fait le charme du métier ! Notre prochain challenge porte sur la gestion des vaches taries et l’élevage des génisses. »

Le maïs épi a remplacé l’ensilage

gros plan de maïs épi
Le maïs épi est un bon compromis entre le fourrage et le concentré dans la ration qui manquait d’énergie. © E. Bignon
Depuis deux ans, le maïs épi (1,09 UFL, 53 % MS) intègre le régime hivernal des laitières à hauteur de 4 à 5 kg MS. « C’est un bon compromis entre le fourrage et le concentré dans notre ration qui manquait d’énergie », estiment les éleveurs. Par rapport au maïs ensilage, il se montre moins encombrant et plus riche en énergie. « Dans notre système bio, c’est plus sécurisant au niveau énergétique de miser sur le maïs épi qui monte à 80 quintaux de rendement grâce à l’irrigation plutôt que sur des céréales qui atteignent difficilement 40 quintaux par hectare. »

Avis d’expert : Nicolas Juillard, ingénieur conseil au BTPL

« Ils ont bâti une vraie stratégie »

Nicolas Juillard, conseiller au BTPL.
Nicolas Juillard, conseiller au BTPL. © E. Bignon
« L’installation de Lénaïc et Camille a été facilitée financièrement par une reprise dans le cadre familial et le fait qu’il n’y ait pas eu de foncier à acheter. Ils ont construit un système performant en accord avec leurs choix de vie. Ils ont su tirer parti des atouts de la structure en place (parcellaire groupé, irrigation, potentiel du sol) et valoriser leur expérience acquise à l’extérieur en se fixant des objectifs clairs sur ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas. Ils suivent un cap en arbitrant les priorités, sans se soucier du regard des autres et en mesurant la prise de risque. Les investissements sont raisonnés pour pouvoir travailler à une seule personne et dans un souci d’ergonomie pour se faciliter le travail au quotidien. Seul bémol, le troupeau à faible effectif laisse moins de marge d’erreur, notamment en cas de problème sanitaire. »

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