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« Nous avons choisi un croisement laitier adapté à notre système pâturant et économe »

Le Gaec des Camélias, dans le Finistère, a choisi le croisement trois voies avec les races jersiaise, rouge scandinave et Holstein néozélandaise. Un choix dicté par la mise en place d’un système pâturant économe.

Philippe Bouard. « Pour bénéficier des atouts du croisement, il faut le pratiquer sur le long terme. Nous avons mis plus de dix ans pour obtenir un troupeau 100 % croisé qui nous convient très bien. »
© I. Pailler

Philippe Bouard et Maryline L’Helguen sont en couple dans la vie comme à la ferme. Ils partagent également la même philosophie. « Nous avons toujours voulu mettre en place un système « low cost is low risk » », résume Philippe avec humour. Autrement dit, économe pour limiter les risques et au final bien vivre de son métier.

L’idée du croisement laitier comme levier pour y parvenir a commencé à germer dans les esprits à la faveur d’un voyage en Angleterre organisé en 2009 par la chambre d’agriculture de Bretagne. « L’objectif du voyage était de voir des troupeaux pâturants. Nous avons vu presque exclusivement des troupeaux croisés. D’où la question, pourquoi eux croisent des Holstein avec du jersiais et pas nous ? »

Au retour, le groupe d’une quinzaine d’éleveurs était séduit par le croisement laitier. « J’ai commencé en automne 2009 à croiser 100 % de mon troupeau. Je ne voulais pas le restreindre à quelques animaux juste pour voir. Quand je décide quelque chose, j’y vais à fond », expose Philippe Bouard, sur un ton qui ne laisse pas de place au doute. À l’époque, l’élevage était encore en système conventionnel. Le passage en bio est plus récent, en 2017.

La fertilité des Holstein ne posait pas de problème

Les races jersiaise, rouge scandinave et Holstein néozélandaise ont été choisies parce qu’elles correspondent aux goûts et objectifs des éleveurs. « J’ai choisi la jersiaise pour la matière utile et pour diminuer la taille du troupeau, mais aussi parce que c’est une race bien adaptée au pâturage. » La rouge scandinave s’est imposée par ses qualités en santé de la mamelle et son potentiel laitier. « La Holstein néozélandaise est une petite vache qui ressemble à la bretonne pie noir en un peu plus grand et carré. Elle apporte du lait tout en étant adaptée au pâturage. »

La fertilité n’a, en revanche, pas été un critère déterminant dans le passage au croisement. « Nos Holstein n’ont jamais été très poussées. En conventionnel, elles produisaient environ 6 000 litres de lait. Elles avaient un bon potentiel laitier qui n’était pas forcément valorisé. La fertilité n’a jamais été un souci dans notre élevage. Heureusement, parce que nous pratiquons des vêlages groupés de septembre jusqu’à mi-janvier. »

Trois rotations de races différentes au départ

Le troupeau de 82 Holstein à l’époque a été divisé en trois groupes. Un tiers a été croisé avec du jersiais, un second avec de la rouge scandinave et le dernier tiers avec de la Holstein néozélandaise. Cette stratégie complique un peu la gestion des accouplements des F1, reconnaît l’éleveur. « Faire un premier croisement qu’avec du jersiais aurait été plus simple. Mais, à l’époque, nous ne savions pas où nous allions. On nous a d’ailleurs pris pour des fous lorsque nous avons commencé à faire du croisement. C’est là que le groupe est important. Vous ne vous sentez pas seul. Vous pouvez partager vos expériences. »

Les génisses saillies par des taureaux croisés

En l’absence de repères, la division du troupeau en trois groupes permettait de diminuer les risques et de voir si un sens de rotation s’avérait meilleur qu’un autre. Finalement, aucun des trois ne s’est avéré préférable.

La stratégie de renouvellement du troupeau tient compte de la particularité de l’exploitation. Les génisses sont élevées dans l’ancienne ferme de Philippe Bouard. Cette dernière est située à 60 km du site principal. Faute de temps pour détecter les chaleurs, les génisses sont saillies par des taureaux croisés issus du troupeau. « J’en garde deux tous les ans. Le taux de réussite est de 100 % », apprécie Philippe Bouard. Les femelles issues des génisses ne sont généralement pas gardées pour assurer le renouvellement (besoin d’environ 10 génisses par an).

Des doses sexées sur une dizaine de vaches

 

 
Les vaches sont réformées à 7,5 ans en moyenne. L’âge au premier vêlage est de 25 mois.
Les vaches sont réformées à 7,5 ans en moyenne. L’âge au premier vêlage est de 25 mois. © I. Pailler

 

En revanche, depuis trois ans, des doses sexées sont utilisées sur une quinzaine de vaches pour assurer le renouvellement. « J’en trouve en races jersiaise et rouge scandinave mais pas pour le moment en race Holstein néozélandaise. » Philippe Bouard regrette cependant la baisse de fertilité avec les doses sexées.

Après douze ans de pratique, le croisement trois voies est arrivé au terme de son premier cycle. Mais, contrairement à ce qui se fait dans des croisements trois voies tels que le Procross (Holstein x montbéliarde x rouge scandinave), Philippe Bouard ne redémarre pas sur un nouveau cycle. « Pour le renouvellement, je choisis un taureau et sa race en fonction des caractéristiques de la vache à inséminer. » Les taureaux doivent a minima être bien indexés en taux, lait, cellules et fonctionnels.

Le croisement tel qu’il le pratique répond totalement à ses attentes. « Je suis très content de mon troupeau. J’aime bien mes petites vaches. Autant les gens qui viennent voir notre troupeau sont surpris par la petite taille des vaches, autant moi je suis surpris quand je vois des vaches aussi grandes que moi dans les concours Holstein ! »

Des taux et très peu de frais vétérinaires

Les vaches produisent entre 4 500 et 5 000 litres de lait avec deux traites par jour (4 350 l de lait livré par vache en 2021 pour répondre à la demande de Sodiaal de baisser les livraisons de lait bio). Le TB oscille entre 47 et 48 g/l et le TP est supérieur à 33 g/l. En 2021, les frais vétérinaires sont restés limités à 21 euros par vache. « Nous ne voyons le vétérinaire qu’une fois par an pour la visite annuelle obligatoire. Il y a quelques mammites. Mais les problèmes au vêlage et métaboliques sont très rares », indique Philippe Bouard.

« En 2021, la marge brute lait a été de 407 €/1 000 l et l’EBE de 270 €/1 000 l (39 % du produit brut), avec un coût alimentaire de 99 €/1 000 l dont 15 % pour les concentrés », précise Isabelle Pailler, conseillère lait à la chambre d’agriculture de Bretagne. « Les résultats 2021 sont inférieurs à ceux des années précédentes car les prairies sont vieillissantes et moins productives. J’en ai renouvelé 3 hectares sur les 25 accessibles, ce qui a diminué la surface accessible aux vaches en 2021 », précise Philippe Bouard.

De l’Inra 95 ou blanc bleu pour booster le prix des veaux

La valorisation des veaux typés jersiais n’étant pas bonne, les vaches non retenues pour le renouvellement sont croisées avec de l’Inra 95 ou du blanc bleu belge.

 

 
Pour améliorer le prix de vente des veaux, 121 euros en moyenne en 2021, la grande majorité des vaches sont croisées avec des taureaux de race à viande.
Pour améliorer le prix de vente des veaux, 121 euros en moyenne en 2021, la grande majorité des vaches sont croisées avec des taureaux de race à viande. © I. Pailler

 

Le choix de la race jersiaise a eu un impact négatif sur la vente des veaux. « Au début, ces veaux partaient à zéro euro. » Philippe Bouard a donc fait évoluer sa stratégie. « Au départ, nous voulions obtenir un maximum de veaux femelles croisés laitiers. Nous gardions quinze à vingt génisses par an pour assurer le renouvellement. Le surplus de femelles était vendu à 15 jours. Maintenant que tout le troupeau est croisé, et que je garde moins de génisses (une dizaine par an) pour assurer le renouvellement, plus de 80 % des vaches sont croisées avec de l’Inra 95 ou du blanc bleu belge. »

Pas de problèmes particuliers au vêlage

Le croisement viande ne pose pas de problème au vêlage. Philippe Bouard apprécie d’autant plus qu’il ne les surveille pas. Les soixante-six veaux croisés viande vendus en 2021 sont partis au prix moyen de 121 euros.

La valorisation des vaches de réforme dépend beaucoup de la conformation de l’animal. Les dix réformes vendues en 2021 sont parties à 550 euros en moyenne. « Une vache typée jersiaise qui fait 250 kg n’est pas payée très cher. Mais j’assume. On ne peut pas tout avoir. Il faut bien réfléchir à l’impact sur le travail et l’économique avant de se lancer dans le croisement. Si vous avez un système avec 40 % de maïs dans la SFP, partir sur du croisement n’est pas forcément intéressant », analyse Philippe Bouard.

Isabelle Pailler, conseillère lait à la chambre d’agriculture de Bretagne

« Le choix des races est cohérent avec le système »

 

 
Isabelle Pailler, conseillère lait à la chambre d’agriculture de Bretagne.« Le choix des races est cohérent avec le système »
Isabelle Pailler, conseillère lait à la chambre d’agriculture de Bretagne.« Le choix des races est cohérent avec le système » © A. Conté

 

« Le choix des races est cohérent avec le système, les objectifs de production et les goûts de Philippe Bouard. Les trois races utilisées sont complémentaires. La jersiaise pour son aptitude au pâturage et la production de matière utile. La rouge scandinave pour les aspects santé et aussi la quantité de lait. La Holstein néozélandaise pour la fertilité et le bon maintien de l’état corporel, même avec des rations hivernales limitées en concentrés. Avec des croisements trois voies comme le Procross, il aurait eu des animaux plus productifs mais aussi plus lourds et sensibles aux pertes d’état corporel. Après douze ans de croisement, le troupeau du Gaec est homogène en termes de taille et de qualité de mamelle. Ce n’était pas le cas au début. Le fait de faire saillir les génisses par des taureaux croisés issus de l’élevage n’est pas gênant pour la consanguinité. D’autant que Philippe Bouard conserve très peu de femelles issues de ses taureaux. Globalement, son système permet de maintenir un bon pool de gènes des trois races. »

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