Légumineuses : « La vesce velue ne nous a jamais déçus »
Le Gaec du Moleson, dans l’Ain, récolte au printemps des dérobées à base d’un mélange de ray-grass italien, trèfle incarnat et vesce velue. La vesce velue contribue à améliorer la valeur azotée du fourrage et, contrairement à sa cousine la vesce commune, elle résiste au gel.
Le Gaec du Moleson, dans l’Ain, récolte au printemps des dérobées à base d’un mélange de ray-grass italien, trèfle incarnat et vesce velue. La vesce velue contribue à améliorer la valeur azotée du fourrage et, contrairement à sa cousine la vesce commune, elle résiste au gel.
« Auparavant, nous cultivions du méteil en dérobée entre le blé et le maïs, raconte Simon Schwaller, l’un des trois associés du Gaec du Moleson, situé à 300 mètres d’altitude dans l’Ain. Mais la récolte retardait les semis de nos 80 hectares de maïs. Les derniers se retrouvaient semés autour du 10 juin. » Pour libérer les parcelles plus rapidement, les associés se sont tournés vers une association fourragère prête à l’emploi à base de RGI alternatif (12 kg/ha), trèfle incarnat (8 kg/ha) et vesce velue (5 kg/ha). Cette légumineuse annuelle, aux faibles besoins en eau, se montre très résistante au froid, contrairement à la vesce commune qui disparaît dès -5 °C.
« Nous cultivons 40 hectares de ce mélange qui intègre la ration de nos 145 hautes productrices à hauteur de 15 kilos bruts d’ensilage toute l’année, poursuit l’éleveur. Grâce aux légumineuses, la valeur azotée ressort bien meilleure qu’avec un ray-grass italien pur. Depuis sept ans que nous récoltons ce mélange, sa MAT oscille entre 17 et 20 %. »
Les éleveurs insistent sur la meilleure valorisation animale. « Non seulement, nous économisons du correcteur, mais en plus la digestion n’est pas du tout la même qu’avec un RGI pur poussé en azote minéral. La partie protéique se trouve mieux assimilée avec des bouses mieux dégradées et des vaches qui partent moins en diarrhée. »
L’effet vesce velue est impressionnant aussi sur la structure du sol. Grâce à son système racinaire, elle rend la terre plus fine, plus friable. « Derrière, le sol se travaille super bien et l’implantation du maïs est facilitée, relève Simon. C’est d’autant plus appréciable que nous sommes en système sans labour. »
Le maïs profite également de restitutions azotées non négligeables. « Visuellement, le maïs présente une meilleure vigueur de départ avec un démarrage plus rapide, témoigne-t-il. Je ne pensais pas que l’impact du précédent se montrerait aussi net. »
Attention à la préparation et à la propreté du sol
La vesce se plaît dans tout type de sols mais ne tolère pas trop les sols hydromorphes ni très séchants. Elle nécessite des conditions saines pour s’installer, et doit être associée à un bon tuteur en respectant l’équilibre du mélange.
« Après le blé, nous réalisons plusieurs passages d’outils à dents pour réaliser un faux-semis et limiter au maximum la concurrence d’adventices au démarrage. » La préparation d’un joli lit de semence avec une terre fine sur 4 cm est bénéfique, surtout en situation sèche. Le Gaec sème à 1 cm de profondeur, en sol argilo-limoneux, avec un combiné de semis herse rotative et semoir en ligne, en veillant à bien rappuyer le sol. « Notre semoir est équipé d’une roulette de rappui », précisent les éleveurs.
Le semis intervient entre le 10 et 15 septembre, à 25-26 kg/ha de densité. « Il faut vraiment que le couvert soit bien implanté pour passer l’hiver autour de 10-12 cm. La vesce supporte jusqu’à -20 °C une fois installée. Le couvert ne doit pas non plus monter à plus de 20 cm car si la masse foliaire est trop importante en hiver, elle risque de pourrir. »
À l’installation, la vesce velue affiche un peuplement très faible, avec seulement quelques pieds épars. « Mais en sortie d’hiver, elle se ramifie énormément, se faufile et trouve sa place dans le ray-grass qu’elle finit par dépasser », décrit Simon.
Une grosse et unique fauche au printemps
Les éleveurs pilotent la récolte en fonction du stade du ray-grass, en recherchant un compromis entre valeur et rendement. « Au plus tôt au stade épi 10 cm et au plus tard juste avant l’épiaison. Par rapport à un RGI pur, nous gagnons quelques jours en termes de souplesse d’exploitation. Nous nous permettons de descendre au stade épi à 5-6 cm dans la gaine tout en gardant de bonnes valeurs alimentaires. »
La fauche est déléguée à la Cuma qui récolte à la faucheuse-conditionneuse. Les andains sont réalisés le plus larges possible (4,30 m). Le fourrage reste généralement deux jours au sol pour atteindre un objectif de 30 % de taux de matière sèche. « Il sèche assez vite, il faut faire attention. »
Le rendement tourne autour de 7 à 7,5 tMS/ha pour un coût de semences de 87 €/ha. « C’est moins qu’un RGI pur, mais c’est compensé par les avantages directs et indirects qu’apporte la vesce velue. »
Mise en garde
La vesce velue est une plante essentiellement monocoupe. Attention à ne pas semer trop tôt en fin d’été ! En 2022, le Gaec a semé fin août. Avec l’automne poussant, une première coupe s’est imposée en octobre car le couvert mesurait 35 cm de haut. Au printemps suivant, la vesce et le trèfle avaient quasiment disparu. Même en coupant à 10-12 cm, la vesce n’est pas repartie.
La vesce velue est très résistante au froid
Une fois installée, la vesce velue résiste jusqu’à -20 °C. Son cycle cycle végétatif est de 7 à 9 mois. Implantée à l’automne, sa croissance est explosive en sortie d’hiver. Riche en protéines, elle constitue un excellent fourrage qui doit impérativement être exploité avant l’apparition de graines, qui peuvent être toxiques notamment pour les petits ruminants. Elle nécessite un tuteur et peut s’associer avec du ray-grass italien ou des céréales pour une récolte en méteil (hors grain). Forte productrice de biomasse, avec une croissance rapide dès les premières chaleurs du printemps, elle peut monter jusqu’à 1,50 m de haut. La vesce se destine préférentiellement à la fauche mais peut être pâturée.
« Lever le pied sur la fumure azotée »
Pour Bruno Luminet, de Semences de France, l’intégration de vesce velue dans un mélange optimise la valeur MAT et permet de diviser par deux les apports de fumure minérale azotée.
Le Gaec du Moleson préfère jouer la sécurité sans forcément chercher à réduire sa fertilisation azotée. Au semis, il épand 50 m3 de lisier par hectare et amène 100 unités d'azote (UN) (50 UN début mars, et 50 UN trois semaines plus tard). « Mais il est possible de limiter l’apport minéral de moitié », affirme Bruno Luminet de Semences de France. En témoignent les résultats obtenus sur d’autres exploitations. Notamment chez Philippe Jame, éleveur à Vindecy en Saône-et-Loire. En recourant à l’association ray-grass italien-trèfle incarnat-vesce velue, l’éleveur a divisé par deux la fumure azotée qui s’élevait habituellement à 90 UN/ha sur le ray-grass italien pur. « Philippe Jame a limité les apports à 55 UN/ha fractionnés en deux temps : un premier apport de 30 UN apporté à 200° jour qui permet d’étoffer la prairie en incitant la plante à taller, et un second de 25 UN amené un mois à un mois et demi avant la récolte », rapporte Bruno Luminet, en précisant que la fumure organique apportait 43 UN. Selon les années, le rendement oscille entre 5 et 6 tonnes de matière sèche, et la valeur MAT moyenne est de 17 %.
Une restitution azotée pour la culture suivante
« Pour garder un bon équilibre légumineuse-graminée dans l’association prairiale et optimiser la valeur MAT, il faut accepter de lever le pied sur le rendement », insiste le semencier. Chaque apport d’azote a tendance à booster le RGI. Et s’il prend le dessus, il crée un effet parapluie. « Privé de lumière, le trèfle se voit alors étouffé. La vesce est aussi pénalisée, même si elle se montre moins sensible à la concurrence du RGI », relate Bruno Luminet.
Un autre avantage avec la vesce tient à la restitution d’azote qu’elle apporte à la culture suivante. « Grâce à son rapport C/N très faible (10 à 12), elle libère rapidement de l’azote au sol. Les restitutions observées chez Philippe s’élèvent à 21 UN. »
Emeline Bignon