Le choix de Céline d’abandonner son métier d’institutrice pour les vaches laitières est payant !
En Meurthe-et-Moselle, Céline et Jérôme Humbert ont réussi à mettre en place un système robotisé qui leur permet de produire à deux 730 000 litres de lait. Ceci sans être débordés par le travail et en dégageant un bon revenu.
En Meurthe-et-Moselle, Céline et Jérôme Humbert ont réussi à mettre en place un système robotisé qui leur permet de produire à deux 730 000 litres de lait. Ceci sans être débordés par le travail et en dégageant un bon revenu.
En ces temps de Covid-19, les belles histoires font du bien ! Celle de Céline et Jérôme Humbert en est une. Jérôme produisait seul 400 000 litres sur 140 hectares depuis le départ à la retraite de ses parents en 2003. Céline était professeur des écoles, et vouait une véritable passion pour l’élevage laitier. Dès qu’elle avait du temps libre, elle allait traire chez ses oncles, donner un coup de main aux travaux des champs, conduire une benne pendant les ensilages, livrer du grain… « C’est la passion des vaches qui nous a réunis ! », raconte ce couple d’éleveurs d’une quarantaine d’années, installés en Gaec à Rozelieures à une trentaine de kilomètres au sud de Nancy. « On s’est rencontrés en 2002 lors d’une porte ouverte organisée par la laiterie sur l’exploitation des oncles. »
En 2010, le couple a commencé à réfléchir à l’évolution de l’exploitation. Les parents de Jérôme, qui donnaient encore un coup de main sur la ferme, vieillissaient. « On avait deux options : soit j’arrêtais le lait et je produisais seul de la viande et des céréales, soit je développais avec Céline la production laitière », résume Jérôme. « Le choix n’était pas facile : j’avais un salaire assuré, mon travail me plaisait bien, ajoute Céline. Nous avons pesé le pour et le contre pendant deux ans. »
« Il fallait que cela marche »
Une fois la décision prise, Jérôme et Céline ont tout mis en œuvre pour que le projet aboutisse. « Il fallait que cela marche. Le risque n’était pas uniquement au niveau professionnel : si cela se passait mal au niveau de l’élevage, il y aurait aussi des répercussions sur notre vie privée », souligne Céline. Pour bénéficier des aides à l’installation et des 300 000 litres attribués par Sodiaal aux JA, elle a suivi en 2011-2012 une formation BPREA. Puis elle a repris son métier d’institutrice jusqu’à son installation au 1er janvier 2015 et la création du Gaec de l’Anglé. Entretemps, les visites d’élevages robotisés et d’installations de méthanisation se sont enchaînées, les projets ont été chiffrés par la chambre d’agriculture. Et un projet de méthanisation collectif a vu le jour en 2014.
Aujourd’hui, l’objectif est atteint : ces éleveurs ont réussi à mettre en place un système robotisé qui leur permet de produire à deux 730 000 litres de lait sans être débordés par le travail tout en dégageant un bon revenu (2,6 Smic/UMO lait). Ceci grâce à une organisation stricte, mais aussi parce qu’ils sont en permanence dans l’anticipation. « C’est un gain de temps, affirment-ils. Par exemple, au moment de la déclaration Pac, on prévoit les couverts, et on commande les semences dans la foulée. » Ils ont transmis leur passion à leurs trois filles de 8, 11 et 13 ans : l’élevage est devenu l’affaire de toute la famille ! Et s’ils ne prennent pas de vacances ni de week-ends, c’est par choix : « nous n’en éprouvons pas le besoin. On préfère passer du temps avec nos filles, avoir une belle maison, un bel environnement, et voir la famille et les copains ».
Un changement de système anticipé
Le virage, pour Jérôme, a été important. Le développement de la production impliquait un changement radical de système. Depuis son installation en 1998, il était dans un système peu intensif basé sur l’herbe, avec 8-9 hectares de maïs, des vaches à 6 500 litres, des vêlages à 3 ans très groupés et des bœufs de 3 ans. Un système qui dégageait de bons résultats économiques et qui lui plaisait beaucoup. Aujourd’hui, le Gaec de l’Anglé est dans un système intensif avec un robot saturé avec des vaches à 8 700 litres de moyenne économique. Elles pâturent très peu, et le maïs a pris le pas sur l’herbe dans la ration même si les éleveurs cherchent toujours à bien valoriser leurs 77 hectares de prairies naturelles.
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Ce changement de système a été bien anticipé. L’accroissement du troupeau s’est fait sans achat extérieur, en élevant toutes les génisses. Dès 2012, Jérôme a commencé à étaler les vêlages, à baisser l’âge au vêlage à 30-33 mois et à réduire le nombre de bœufs. Il a construit un quatrième silo et acheté une mélangeuse bol de 14 m3. L’agrandissement de la stabulation (de 50 à 75 logettes, aménagement du local technique) a été réalisé avec l’aide de la famille. Les travaux, démarrés en mars 2015, ont été menés tambour battant : au 1er décembre 2015, le robot entrait en service !
Les éleveurs craignaient de ne pas réussir à produire leur référence de 700 000 litres avec une seule stalle robotisée. Le Gaec y est parvenu en seulement deux ans avec 550 000 litres produits en 2015 (en continuant à traire dans l’ancienne TPA 1x8), 620 000 litres en 2016 et 700 000 litres en 2017. « Il faut veiller à avoir toute l’année 68 vaches traites qui donnent 29-30 litres de lait. Si l’on voit qu’on est en avance, on ajuste les livraisons en donnant davantage de lait entier aux veaux. »
« On connaît mieux nos vaches avec les indicateurs »
L’investissement s’élève à 320 000 euros : 145 000 euros pour le robot auxquels vient s’ajouter le coût de la maçonnerie (murs préfabriqués en béton), les racleurs, l’agrandissement du bâtiment avec les logettes supplémentaires, l’électricité, la plomberie… « Le montant était quasiment le même que si nous avions opté pour une salle de traite TPA car il aurait fallu faire plus de maçonnerie et prévoir une aire d’attente », souligne Jérôme.
Les vaches se sont adaptées au robot en trois semaines, une seule vache a dû être réformée. Jérôme et Céline ont vite apprécié la souplesse permise par le robot. « On connaît encore mieux nos vaches dans leur comportement avec les indicateurs, et elles sont plus calmes », constate Céline. La détection des chaleurs, au lieu de se faire en amenant les vaches à la traite, se fait lors de la distribution de la ration le soir, du nettoyage des logettes, ou le matin en arrivant…. « On n’y retourne pas le soir quand on a fini notre journée à 19 heures. »
Pas de dérapage au niveau du coût alimentaire
Le coût alimentaire reste très bien maîtrisé, avec une ration très simple, quasiment la même toute l’année. La ration semi-complète est équilibrée à 25 litres avec 10 kg MS d’ensilage de maïs, 5,3 kg MS d’ensilage d’herbe, 2 kg foin, 1 kg de tourteau (2/3 soja-1/3 colza), 1 kg d’orge d’hiver et 250 g de CMV 6/24. Au robot, les vaches reçoivent deux aliments : du tourteau (au minimum 1,5 kg) et un coproduit sec de blé à 16 % de MAT (Wheat feed). De 26 à 28 litres, elles ont juste un peu plus de tourteau (200 g supplémentaires par litre). À partir de 28 litres, elles reçoivent 1 kg de mélange (90 % Wheat feed et 10 % tourteau) pour 2,5 litres. « Au maximum, celles à 40 litres ou plus reçoivent au robot 2,6 kg de tourteau et 4,3 kg de Wheat feed », souligne Jean-Marc Zsitko, de la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle. Le Gaec achète les aliments en contrats à prix garanti (de 3 mois par 40 t), il est couvert jusqu’à fin juin. Au final, le coût des concentrés et minéraux des vaches s’élève à 60 euros pour 1 000 litres.
L’épandage de digestat permet de faire des économies d’azote sur les prairies tout en les valorisant bien. Sur les pâtures, les 20 tonnes épandues vers le 15 mars remplacent un apport de 50 UN/ha. Les prairies de fauche reçoivent pour la première coupe 20 tonnes de digestat et 30 UN/ha (contre 70 UN avant), et pour la deuxième coupe 20 tonnes de digestat et 20 UN/ha (contre 30 à 50 UN).
Pas de sortie de 18 h à 1 h après la distribution de la ration
Les vaches ont accès à une parcelle de 6 hectares d’herbe pendant toute la belle saison du 1er avril au 15 octobre. « Avec un robot saturé, c’est difficile de faire pâturer plus. Mais on tient à ce qu’elles sortent, affirme Jérôme. De toute façon, après le mois de mai, sur nos terres séchantes et argileuses, l’herbe ne pousse plus. » La ration est distribuée le soir. La sortie des vaches est bloquée de 18 h à 1 h du matin, « sinon il n’y aurait pas suffisamment de vaches au robot de 3 à 6 h du matin ». La ration reste la même, le nombre de rations distribuées est diminué en fonction de l’herbe disponible.
Les taries sont conduites en deux lots. L’hiver avec du foin, un concentré fermier complété pour le premier lot par 10 kg brut de maïs et un CMV vaches taries, et pour le lot préparation au vêlage (3 semaines) par 15 kg de maïs, un CMV et du chlorure de magnésium. L’été, les taries vont à pâture pendant cinq semaines, puis reçoivent la même préparation au vêlage qu’en hiver. « Depuis que nous avons mis en place cette conduite des taries avec le GDS, suite à des problèmes sur les veaux, tout est rentré dans l’ordre », constate Jérôme. « Je pèse le colostrum, et dès qu’un veau n’est pas bien, je prends sa température », ajoute Céline. Elle apprécie beaucoup l’investissement dans un taxilait il y a trois ans. Les veaux mâles sont nourris au lait entier. Les femelles sont au lait en poudre (23 % de protéines à base de lait écrémé) et à un repas par jour (4-5 l).
Le Gaec mise beaucoup sur la prévention. Les taries ont par exemple systématiquement un bolus au tarissement et un obturateur de trayon, les veaux sont à l’automne vaccinés contre le RSV. Côté cellules et mammites (5-6 par an), les résultats sont excellents. Pas de problème de boiteries non plus. En revanche, l’élevage est confronté depuis des années à un problème de butyriques, probablement dû à une fauche trop rase. Et le prix du lait est pénalisé également par des taux faibles.
Limiter le nombre de génisses à deux lots de 13
Un autre point sur lequel le Gaec dispose d’une marge de manœuvre, c’est l’optimisation du renouvellement. Il vend actuellement 15 à 20 génisses pleines par an. « L’objectif est de limiter l’effectif à 26 génisses (au lieu de 40), avec un premier lot de 13 génisses vêlant du 1er avril au 1er octobre, et un second lot de 13 du 1er octobre au 1er avril. Dès qu’on a les 13 génisses pleines, on insémine avec du Blanc bleu belge », détaillent les éleveurs. Ils pratiquent le génotypage depuis deux ans et refont du sexage sur les génisses depuis 6-8 mois. Les génisses sont l’hiver élevées au foin et au concentré fermier (82 % orge, 18 % correcteur et 2 % CMV). Le foin est distribué deux fois par jour : « on s’est équipés il y a six ans d’une dérouleuse de balles, on aurait dû le faire plus tôt ! » Pour le concentré fermier, le Gaec utilise un aplatisseur en Cuma trois à quatre fois par an, et le stocke dans une benne face au cornadis.
Si Jérôme et Céline ont leur système bien en mains, la grosse incertitude aujourd’hui vient du changement climatique. Depuis quatre ans, les sécheresses et les épisodes de canicule avec un vent d’Est qui dessèche tout se répètent. En 2018 et 2019, ils ont dû acheter du maïs (250-300 t/an). « Cela nous a amenés en 2019 à semer 10 hectares de prairies temporaires destinées à la fauche. Et en 2020, à construire un cinquième silo de report en semant 6 hectares de maïs supplémentaires. Mais on commence à se poser sérieusement des questions par rapport au maïs. » Une chose est sûre, Céline ne regrette absolument pas sa conversion au métier d’éleveuse.
Chiffres clés
Avis d’expert : Jean-Marc Zsitko, chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle
« Des éleveurs bien dans leur système »
Une organisation de l’élevage autour de la famille
La maison de Céline et Jérôme Humbert est située dans le village, à 500 mètres de l’exploitation. Les éleveurs ont mis en place une organisation très stricte, mais tous deux sont capables de « tout faire » sur l’élevage et dans les champs. Voici comment se déroule une journée type, les jours d’école :
° 7 h à 8 h : Jérôme descend seul sur l’exploitation : il surveille les chaleurs, repousse la ration des vaches, donne le concentré aux élèves (l’été, il va les voir en pâture), pousse les vaches en retard.
°8 h à 8 h 30 : petit-déjeuner à la maison jusqu’au départ des filles à l’école.
°8 h 30 à 11 h : Jérôme et Céline redescendent pour assurer le nettoyage des logettes, les soins (tarissement, inséminations…), les veaux, racler la paille des élèves tous les deux jours, la méthanisation (Jérôme une semaine sur trois).
°13 h 30-16 h 30 : travaux divers (champs, fumier, méthanisation…).
°17 h 15/30-19 h : Céline s’occupe des vaches et des veaux, Jérôme prépare et distribue la ration des vaches, donne le foin aux génisses.
Les jours de vacances/week-ends/mercredis, Céline descend elle aussi vers 7 h-7 h 30 pour s’occuper des veaux. Ils reviennent prendre le petit-déjeuner vers 8 h et redescendent ensuite avec leurs filles finir le travail.
De la méthanisation au service de l’élevage
L’unité collective de 200 kW tourne à 75 % avec du fumier de logettes.
Le Gaec de l’Anglé a investi en 2014 dans une unité de méthanisation avec deux autres agriculteurs de la commune, un éleveur laitier et un céréalier-arboriculteur (la Maison de la Mirabelle). L’objectif est de valoriser le fumier disponible. Elle fonctionne avec 75 % de fumier de logettes, 15 % d’effluents de distillerie/drèches, et 10 % de maïs ensilage/cultures intermédiaires. Les 10 % de cultures proviennent exclusivement de l’exploitation céréalière. L’installation permet aux trois exploitations d’être aux normes pour les capacités de stockage des effluents. Elle permet aussi au Gaec de l’Anglé de réaliser des économies de fertilisation azotée sur les prairies, le blé voire le maïs. « Chacun récupère en digestat la quantité de fumier mise dans la fosse », précise Jérôme Humbert. Et elle a renforcé les relations qui préexistaient entre les trois exploitations. « Nous avons tous trois vendu nos moissonneuses-batteuses pour en racheter une grosse en Cuma, la Cuma que nous avions créée avec la SAS méthanisation pour le matériel d’épandage et un chargeur. Nous faisons toute la moisson (350 ha) ensemble. » La Cuma propose aussi un double andaineur et une bineuse.
Un investissement clé en main de 2 M€
« Chacun gère le méthaniseur une semaine sur trois. Cela représente, quand tout se passe bien, une demi-heure de travail journalier. » Mais « des problèmes techniques, il y en a eu au départ, reconnaît Jérôme Humbert. Avec du fumier, le matériel souffre beaucoup plus. L’agitateur a cassé au bout de deux ans. Il y avait peu de recul en 2014, on a essuyé les plâtres. Il faut faire au plus simple ». En 2021, le Gaec devrait toucher ses premiers dividendes (7 000 €).