La nécrose de la pince donne du fil à retordre aux spécialistes des boiteries
Cette lésion sournoise gagne du terrain. Elle semble liée à la dermatite digitée. Difficile à traiter, il faut intervenir vite pour éviter l’atteinte de la troisième phalange.
Cette lésion sournoise gagne du terrain. Elle semble liée à la dermatite digitée. Difficile à traiter, il faut intervenir vite pour éviter l’atteinte de la troisième phalange.
La nécrose de la pince est depuis une dizaine d’années de plus en plus fréquente. « J’ai le sentiment qu’elle est vraiment en augmentation fulgurante », a lancé Marc Delacroix, vétérinaire de l’équipe de formateurs des pareurs au CFPPA du Rheu (1), lors d’une journée organisée en juin dernier par l’institut de l’élevage et l’association des pédicures de bovins. Aujourd’hui, d’après les données collectées par BcelOuest, près de 3 % des vaches en seraient atteintes. Le nombre de vaches touchées dans un troupeau est souvent faible mais parfois jusqu’à 10 % des animaux sont atteints. Les deux-tiers des chantiers de parage ont plus d’un cas.
Le problème, c’est que cette lésion est difficile à traiter, et qu’elle pose de nombreuses interrogations aux experts des boiteries aussi bien en France qu’ailleurs dans le monde (Canada, USA, Chili, Argentine, Royaume-Uni…).
Attention à la corne des pieds
« C’est une lésion sournoise, explique Aurore Waché, vétérinaire à l’institut de l’élevage. À l’extérieur du pied, elle semble petite et non invasive, mais au cours du parage on se rend compte que la lésion a envahi le pied. » Sa définition officielle en France ? Lésion en galeries s’insinuant dans la profondeur de l’onglon, entre la corne de la sole et la troisième phalange, avec atteinte du pododerme (NDLR : le tissu mou contenant les nerfs et les vaisseaux sanguins apportant l’oxygène et les nutriments pour former la corne). Du pus gris foncé, souvent goudronneux, ayant une odeur caractéristique nauséabonde est souvent observé. Et lors d’atteinte profonde, la troisième phalange peut être affectée.
La lésion apparaît dans diverses circonstances, souvent après une ouverture de la ligne blanche en pince. "La ligne blanche est à la jonction de la muraille (corne très solide) et de la sole (corne moins dure), elle est constituée d’une corne souple fragile, explique Aurore Waché. Cette ouverture de la ligne blanche permet aux matières fécales et aux pathogènes de s’infiltrer et d’infecter le pododerme. La distance entre la corne de la sole et la troisième phalange est mince, d’où une propagation rapide de l’infection jusqu’à l’os si l’on n’intervient pas vite. »
Une lésion très particulière
S’agit-il simplement d’une ouverture de l’onglon dans laquelle s’engouffre tout ce qui traîne comme germes dans l’environnement ? Dans ce cas, il suffirait d’éviter les traumatismes de l’onglon pour échapper à cette nécrose. Ou bien s’agit-il d’une maladie en soi provoquée par un mélange de bactéries très particulier ? Autrement dit, y a-t-il des animaux porteurs, est-ce infectieux et contagieux ? Aujourd’hui les experts des boiteries n’ont pas la réponse.
Une chose est sûre, « c’est une lésion très particulière, affirme Jean Prodhomme, ancien formateur des pareurs au Rheu. Il y a dix ans, quand on avait une ouverture de la ligne blanche, si on intervenait sur un ulcère, au bout d’un mois ou deux, le pododerme avait à nouveau fabriqué de la corne. Dans le cas de la nécrose de la pince, les microbes attaquent et rongent toutes les parties tendres du pied. L’évolution est très nette. »
La dermatite digitée souvent présente
D’après les données de BcelOuest mais aussi les observations des pareurs et vétérinaires, les cas de nécrose de la pince sont très souvent observés dans des troupeaux confrontés à des problèmes de dermatite, et plus généralement dans un contexte de boiteries sévères. Les conseils classiques contre les boiteries semblent donc de mise. « Les élevages où l’on trouve le plus de nécroses de la pince, c’est systématique, sont ceux qui ne sont pas au top au niveau de l’hygiène », affirme un pareur du Sud-Ouest.
Que faire si l’on est face à cette lésion ? « Commencer par faire un bilan minutieux pour décider de la conduite à tenir : traitement ou réforme », conseille Aurore Waché. Pour cela il est important d’observer les pieds, la couronne, le membre et l’état général de l’animal (degrés d’extension de la lésion, atteinte de la troisième phalange, autres lésions sur le pied, présence d’arthrite…)
Un traitement nécessitant une anesthésie locale
Le traitement est possible mais potentiellement lourd. « L’objectif est de retirer tout le tissu nécrosé », insiste Marc Delacroix. Le traitement est très douloureux : ce curetage chriurgical nécessite une anesthésie locale voire une sédation. Ce qui pose un problème règlementaire car les pareurs ne sont pas habilités à pratiquer d’anesthésie.
En cas de nécrose peu profonde, un parage curatif élargi est nécessaire afin d’enlever toute la corne décollée tout autour de la lésion, avec éventuellement un traitement appliqué sur le pododerme et la pose d’une talonnette. Le pronostic est meilleur si le diagnostic est précoce, si un seul onglon est atteint, et s’il n’y a pas d’extension et pas d’autre lésion podale. La collaboration éleveur-pareur-vétérinaire est indispensable.
(1) Centre de formation professionnel et de promotion agricole à Rennes.
À retenir
Pour prévenir la nécrose de la pince :
Trois théories pour expliquer les conditions d’apparition
1 - Des traumatismes de l’onglon ou une usure excessive de la corne. Par exemple lorsque les animaux marchent sur des sols abrasifs ou de longues distance, lorsqu’ils restent longtemps debout (stabulation, aire d’attente…), ou subissent des chocs sur les pieds lors des transports. Mais aussi lors de parage excessif ou mal fait, ou s’ils sont sur des sols humides (kératine plus souple).
2 - Une perturbation de la circulation sanguine. La rupture de la vascularisation de la troisième phalange peut être provoquée par une station debout prolongée. De même, le BVD pourrait entraîner une vascularite, d’où la production d’une corne de mauvaise qualité sensible aux chocs, et une immunodépression.
3 - Une séquelle d’une lésion de fourbure, liée à la bascule de la troisième phalange, entraînant une mauvaise vascularisation.