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Transformation à la ferme : « Je suis fière de ce que nous avons accompli »

Patricia Rocher, en EARL avec son mari, dans la Manche, mène de front son rôle de mère de famille, d'éleveuse et de responsable d’un atelier de fabrication de tommes avec une « gnaque » incroyable. 

« Lors de la reprise de l'exploitation en 2005, à l’époque avec le statut de conjointe-collaboratrice, mon père m’a dit : '‘tu fais une grosse connerie”. Quinze ans plus tard, il est plutôt content pour moi, même si Jean-Charles et moi avons traversé de très grosses galères », témoigne Patricia Rocher avec un pincement au cœur. Et pour cause ! Il a fallu au couple une sacrée dose de motivation et de volonté pour concrétiser leur projet professionnel : produire un fromage fermier apprécié des consommateurs. « J’hallucine quand je vois que des gens de toute la France prennent le temps de nous appeler ou d’envoyer des messages sur Facebook pour nous féliciter pour la qualité de nos fromages. Cela redonne le moral, surtout après avoir vécu une période critique de 2013 à 2016. » La crise du lait, la fromagerie pas prête, les dettes fournisseurs qui s’accumulaient… Patricia et Jean-Charles Rocher auraient pu jeter l’éponge. Mais non. Les premières tommes fermières au lait cru sont sorties de la fromagerie en juillet 2016.

Premières tommes commercialisées en 2016

Un rapide bond en arrière de vingt ans s’impose pour apprécier à sa juste valeur la tomme de Villedieu-Rouffigny. Passionnés par la fabrication fromagère, Patricia et Jean-Charles se sont connus lorsqu’ils étaient étudiants à l’Enil de Saint-Lô Thère, dans la Manche. « Nous avons d’abord été en couple, puis parents puis associés », résume avec humour Patricia. Avec leur BTS en poche et quelques mois d’expérience dans des laiteries industrielles du coin, ils éprouvent le besoin d’apprendre à fabriquer des fromages fermiers. « En 2003, nous avons recherché des emplois dans les Pyrénées, le Massif central et les Alpes. Nous avons finalement déménagé à Sallanches, en Haute-Savoie, avec l’idée de revenir en Normandie. » Patricia en profite pour retourner sur les bancs de l’école au lycée agricole de Poisy. Elle en ressort avec une maîtrise en élevage. En 2005, c’est le retour en Normandie avec l’objectif de reprendre l’exploitation des parents de Patricia qui partaient à la retraite. « Avec 66 hectares, dont 20 hectares autour de la ferme, le parcellaire était plutôt favorable au pâturage. Par ailleurs, la ferme est située dans un secteur très touristique. Rouffigny est rattaché à Villedieu-les-Poêles. Et nous sommes à mi-chemin entre le mémorial de Caen et le Mont Saint-Michel. »

De la tomme normande vendue en Haute-Savoie

La structure ne pouvant en l’état accueillir deux associés, Jean-Charles s’est d’abord installé seul en décembre 2005. Fils de cultivateurs dans l’Eure, il peaufine son expérience de la traite acquise pendant les deux années passées en Haute-Savoie. « Nous avons eu la chance d’aller en Haute-Savoie. Les éleveurs valorisaient bien leur lait grâce à la production fromagère. Mais en contrepartie, ils devaient mettre en place des méthodes de traite 'top' pour produire du lait irréprochable sur le plan de la qualité sanitaire », explique Patricia. L’expérience s’est avérée payante. Depuis quinze ans, l’EARL Marie-Rocher n’a pas connu de souci de qualité. Et récompense ultime, le couple vend de la tomme normande en Haute-Savoie !

En attendant de pouvoir s’associer avec son mari, Patricia Rocher a travaillé à l’extérieur. Pendant cette période de transition de sept ans, le projet de fabrication fromagère est resté en stand-by. L’opportunité s'est présentée enfin en 2012. Le jeune couple a enchaîné dans la foulée avec le projet de fromagerie. « Nous avons appris notre métier de paysans pendant dix ans puis nous avons combiné avec celui de fromager. » La suite, c’est trois années de crises qui plombent le projet jusqu’en 2016. Puis la fabrication se met en place progressivement : d’abord une, puis deux, puis trois fabrications par semaine au bout de la troisième année. « Nous avons tout créé, tout élaboré ensemble, toutes les étapes de fabrication sont faisables par l’un ou l’autre. C’est une force, d’être aussi interchangeable. » L'objectif est de faire quatre fabrications par semaine à raison de 48 semaines par an afin de pouvoir prendre des vacances grâce à Grégory, le salarié. « Nous utilisons le lait uniquement du matin, de la mamelle à la cuve de fabrication. Ni réchauffé, ni refroidi, il est emprésuré dès la fin de la traite. C’est hyper important pour la fromageabilité du lait et les arômes du produit fini. » Il n’y a pas de fabrications le week-end. Le mardi, c’est également exclu. Patricia fait ses courses au marché de Villedieu-les-Poêles le matin. « J’aime savoir ce que je mets dans mon assiette. » Et en fin d’après-midi, poussée par une amie, elle prend un cours de gym. Le lait non transformé est collecté par Lactalis.

Un métier impossible sans habiter à la ferme

La tomme permet de valoriser le lait autour d’un euro le litre. « Le lait non transformé n’est payé que 360 euros pour 1 000 litres », regrette Patricia. Pas suffisant donc pour sortir la tête de l’eau et se passer de la prime d’activité, glisse-t-elle avec pudeur. Et le spectre d’une nouvelle crise du lait engendrée par la pandémie de coronavirus n’est pas fait pour la rassurer. Mais Patricia a encore la « gnaque » même si elle estime en avoir perdu un peu. Elle espère que leurs efforts finiront par payer d’ici un ou deux ans. Parce que ce métier, elle l’a dans la peau. « Cela fait cinq générations que ma famille est sur cette exploitation. J’ai toujours connu ça. En revanche, je ne concevais pas de le faire sans habiter dans le corps de ferme. L’élevage laitier, c’est vivant. Il faut toujours être là. »

La prochaine grande étape serait d’agrandir la fromagerie pour améliorer le confort de travail : bureau, stockage, emballage… sur place, ainsi qu’une nouvelle salle de ressuyage avant la mise en cave. Mais au-delà des aspects économiques, Patricia admet une certaine réticence à franchir ce nouveau cap. « Les périodes de chantiers, nous en avons connu déjà quelques-unes lors de ces quinze dernieres années. Nous avons 39 ans. Il s’est passé pas mal de choses quand on regarde dans le rétro. Nous pouvons dire que nous n’avons pas chômé et il reste encore plein de choses à faire. Il faudrait agrandir la fromagerie, mais nous y allons à reculons. On attend d’avoir atteint notre objectif, les résultats du prochain exercice comptable et de connaître l'impact du coronavirus. »

Grâce à la fromagerie, le couple commence seulement à apercevoir le bout du tunnel, mais la précarité financière est toujours là. « Sans faire de folies, nos prélèvements privés sont passés de 600 euros à 800 euros chacun. Cela devait s’améliorer rapidement à condition que la pandémie de coronavirus ne nous replonge pas dans une nouvelle crise laitière durable. »

Faire en sorte que nos vaches se sentent comme au "club Med"

Patricia a patienté sept ans avant de pouvoir d'installer, en 2012. Aucune terre ne se libérait, mais le couple pouvait bénéficier d’une référence supplémentaire de 90 000 litres de lait dans le cadre de l’installation de Patricia. Cette dernière est devenue officiellement cheffe d’exploitation. « J’ai acheté quinze génisses normandes pour poursuivre la normandisation du troupeau. C'est une race sympa, bien adaptée à notre système et notre mode de vie. Pour moi, être éleveur c'est faire en sorte que mes vaches se sentent comme au « club Med » ! »

Côté web

Retrouvez l'EARL sur sa page Facebook https://www.facebook.com/earlmarierocher/

​Chiffres clés

3 UMO dont un salarié à plein temps
56 Normandes à 6 500 litres
350 000 litres de lait dont 50 000 litres transformés

Une polyvalence à toute épreuve

Fabrication fromagère, traite, travaux des champs… Hormis les corvées d’ensilage, Patricia aime et sait tout faire.

 

Le rôle de Patricia Rocher ne se limite pas à la gestion de l’atelier de transformation fromagère, une activité pourtant déjà très chronophage. Sauf exception, elle trait tous les week-ends et jours fériés, par choix. « Je ne veux surtout pas me déconnecter de la traite. Le week-end, je n’ai pas mes enfants (Joséphine, 14 ans, et Marceline, 10 ans) à amener à l’école et on est moins pressés pour faire le travail. J’aime aller chercher les vaches avec mes filles, bricoler ensemble, les solliciter pour créer des astuces. Elles sont imprégnées comme je l’ai été avec mes parents et grands-parents. Elles ont déjà acquis beaucoup d’autonomie pour mener les vaches. Pour être paysanne, il faut être polyvalent, dynamique, rigoureux et astucieux. » Le bureau est également son domaine. « Ce n’est pas du tout par passion. Il y a des jours où cela m’ennuie, surtout quand il fait beau dehors. Je fais ce qu'il y a à faire. »

Travailler dans les champs ne lui pose pas de problème. « J’ai même labouré des champs alors que j’étais enceinte de Joséphine. » En revanche, elle préfère éviter de conduire des engins sur la route. « Dans les champs, tout ce que vous voulez, mais sur la route, je n’aime pas ça. Faire les ensilages serait une corvée mentale pour moi. À l'époque de ma mère et de ma grand-mère, il y avait une grosse pression psychologique chez les femmes autour de la préparation des repas lors des ensilages. Maintenant, les gars mangent le plat du jour dans un restaurant, et le soir c'est à la maison. Et je gère les sandwichs du matin et le goûter pour nos voisins et les entrepreneurs. »

En 2016, Patricia est victime d’une fracture du péroné. Le couple embauche alors un vacher de remplacement. Grégory (31 ans) sera finalement embauché à plein temps pour être présent à la fromagerie et assurer certains travaux de cultures. « Nous ne sommes pas passionnés par la mécanique. Nous sommes très peu équipés, par choix. »

Pour les mêmes raisons, ils ont délégué l’élevage des génisses à une éleveuse spécialisée dans cette activité. « C’est génial. Cela nous a évité d’investir dans un nouveau bâtiment pour loger les génisses dans de bonnes conditions. Et cela ne nous coûte pas plus cher qu’avant (1 600 euros la génisses prête à vêler) parce que, grâce à Sandra Roupnel, nos génisses vêlent à 24 mois, contre 36 mois quand on s’en occupait. »

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