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IMAGINONS LA FERME DU FUTUR

Le robot humanoïde, fidèle collaborateur de l’éleveur... ce n’est pas pour demain. Pour autant, des technologies extrêmement sophistiquées sont ou seront de plus en plus utilisées en élevage. Laissez-vous téléporter dans la ferme du futur...

© M. Louarn

8h30: Lukas pousse un léger soupir. Il a passé une sale nuit à cause de cette « foutue chaleur » bien supérieure aux normales saisonnières. Heureusement, il s’est libéré de l’astreinte de la traite en investissant dans un automate « humanoïde » dernier cri. « C’est très onéreux mais extrêmement performant et confortable », se dit-il à lui même en repensant à son père qui rentrait vers 8 h30 de la traite pour prendre son petit déjeuner. Mais c’était en 2009. En une décennie, les choses ont bien changé. L’automate « humanoïde » a supplanté l’homme dans certains élevages qui ont conservé des salles de traite en épi ou par l’arrière. Ailleurs, et en fonction de la taille du troupeau, c’est le robot de traite ou la salle de traite rotative robotisée qui se sont peu à peu imposés pour palier l’insuffisance de main-d’oeuvre.

Lukas a longtemps hésité, à cause notamment du prix. Mais le robot « humanoïde » a poussé l’automatisation au-delà de la traite. Il est capable d’aller chercher les vaches dans les prés, de charger les génisses dans la bétaillère, de tenir tête au marchand de veaux si le prix n’est pas à la hauteur de ce qui a été programmé la veille dans son logiciel. Les modèles plus récents sont mêmes capables d’inséminer les vaches. Ces automates ne sont pas encore autorisés à conduire des engins agricoles, mais cela ne devrait plus tarder, tant les progrès en robotique sont exponentiels. Mais tout cela a un prix, qui n’est pas à la portée de toutes les bourses.

La crise sur le prix du lait de 2009 est restée gravée dans les mémoires des producteurs laitiers. Lukas n’aurait d’ailleurs jamais franchi le pas s’il ne valorisait pas son lait dans la filière « Lait profil santé plus ». Le lait est vraiment bien payé et ne subit pas les aléas des cours, contrairement au lait conventionnel. Mais, en contrepartie, il faut dire que le cahier des charges est extrêmement contraignant et les contrôles très rigoureux. Toute vache dont le lait ne contient pas suffisamment d’oméga 3, de protéines hypoallergisantes ou autres composants spécifiques est écarté du troupeau et repasse avec le troupeau « conventionnel » jusqu’à ce que les analyses redeviennent compatibles avec le cahier des charges de la filière.

Les résultats des contrôles réalisés en salle de traite sont bien évidemment validés en temps réel par un laboratoire interprofessionnel. Le cahier des charges impose également un bilan carbone en phase avec les préoccupations environnementales. Il interdit notamment l’utilisation de soja brésilien cultivé sur des terres issues de la déforestation de la forêt amazonienne. « Il était plus que temps ! », estime Lukas.

La sélection génomique a donné un sacré coup de pouce au développement de cette filière. Lukas a toujours choisi les taureaux « génomiques » améliorateurs en oméga 3 et autres composants qui ont redoré l’image santé du lait parfois malmenée par le passé, au grand dam de son père.

La sélection génomique a également permis d’aller très vite dans la sélection de taureaux sans corne. Ce critère, peu convoité jusqu’en 2015, est devenu prépondérant depuis que l’utilisation de robots s’est développée dans les élevages. Ces équipements coûtent cher et ne supportent pas d’être brutalisés. Les primes d’assurance sont exorbitantes. Lukas a obtenu une ristourne de 20 % sur la facture assurance parce que plus de la moitié de ses vaches sont sans cornes.

9h00: Lukas descend prendre son petit déjeuner — en fait un simple café. Dix minutes plus tard, il a les yeux rivés sur son écran de micro-ordinateur ultraplat et tactile. Après un rapide coup d’oeil sur le listing des vaches traites, Lukas se détend. Aujourd’hui, il n’y a aucune alarme.Tout se passe bien. Aucune vache n’est malade, pas de mammites en vue, pas de vaches à inséminer, le lait du matin est conforme au cahier des charges de la filière…

En outre, le robot de préparation et de distribution individualisées de la ration a bien réalisé ses six passages hier. Ce matin, il a démarré au quart de tour. Si le principe ne date pas d’aujourd’hui, Lukas l’apprécie d’autant plus qu’avec son adhésion à la filière « Lait profil santé plus », le nombre d’ingrédients apportés dans la ration des vaches a grimpé de façon exponentielle. « Les rations ne sont plus aussi simples que dans le temps », rumine Lukas.

L’ambiance dans le bâtiment est bonne. Grâce aux nouvelles recommandations qui ont vu le jour en 2010, on maîtrise désormais la ventilation dans les bâtiments larges. Il a fallu pour cela tout revoir de A à Z. Le concept se résume ainsi : en hiver il faut de l’air sans courant d’air, et en été beaucoup d’air avec des courants d’air. Les besoins en renouvellement d’air ont été revus à la hausse. Le lieu d’implantation du bâtiment et l’effet vent sont devenus primordiaux. Le soulagement de Lukas est malheureusement de courte durée. Il a à peine le temps de se resservir un café que son téléphone « supersmartphone version 4 G » avec images en trois dimensions lui envoie une alarme reproduction.

« La vache 24 569 899 n’est pas gestante ! », lui assène son mobile d’une voix synthétique copiée sur celle d’une hôtesse d’accueil. Et de poursuivre sur le même ton : « C’est le troisième essai, il faut la réformer ! »

« Manquerait plus que cela », s’insurge Lukas. « D’abord, la vache 24569899 a un nom, répond l’éleveur à son mobile totalement dépourvu de discernement. Elle s’appelle Mélodie. » Ensuite, il y tient pour plusieurs raisons. Aussi, Lukas interroge son mobile. « Pourquoi n’est-elle pas pleine ? » Le supersmartphone version 4 G mouline silencieusement pendant quelques secondes pour récupérer les données acquises par l’implant auriculaire, le bolus ruminal, le bolus vaginal, le collier enregistreur et la puce cardiovasculaire, sans oublier l’endoscope équipé d’une caméra microscopique qui circule par la voie sanguine. « Entre parenthèses, pense Lukas pendant ces quelques secondes, les abattoirs ont dû s’équiper d’un système de tri sélectif pour récupérer tous ces instruments de mesures. Et les discussions sont en cours pour savoir qui doit payer leur recyclage. »

Quoi qu’il en soit, en un rien de temps, le mobile analyse les courbes de progestérone, la température, le rythme cardiaque, le taux d’oestrogène au moment de l’insémination, la qualité de la semence… Visiblement peu satisfait par les conclusions, le mobile propose à Lukas de croiser ses données avec celles des logiciels développés par les organismes de développement techniques et les vétérinaires. Lukas appuie sur « OK ». La recherche dure quelques secondes de plus pour aboutir à la sentence suivante : « 24569899 n’a rien de particulier mais il faut la réformer ! » Agacé, Lukas va sur le programme de gestion de la reproduction du troupeau et offre à l’aide d’un simple clic sur son téléphone tactile de quatrième génération deux chances supplémentaires à Mélodie. Il changera juste la race du taureau. Le message « À réformer » disparaît automatiquement de la ligne consacrée à la vache 24569899. Il appelle dans la foulée son véto, bien humain lui !

10 h 00 : Lukas a encore trente minutes avant que le conseiller prairie vienne. Il décide d’utiliser cette demi-heure pour faire le plein d’hydrogène pour ses deux tracteurs et l’ensileuse. L’arrivée de piles à combustible performantes a été une véritable révolution dans le monde de la motorisation. Là aussi, il était temps de trouver une solution à la raréfaction de l’énergie fossile, avec en corollaire des prix qui ne cessaient de flamber. Maintenant, Lukas est entièrement autonome sur le plan énergétique et en particulier pour le carburant. Comme beaucoup d’autres éleveurs, il a son installation de biométhanisation calibrée pour son exploitation. Une partie de l’électricité produite alimente l’électrolyseur qui fabrique l’hydrogène. Les pompes à hydrogène ont remplacé les pompes à gazole.

12h00 : Le conseiller prairies a envoyé son bilan sur le programme « prairiesmieux » consultable depuis le supersmartphone version 4 g grâce à un identifiant. « Sans ce téléphone, je dois bien avouer que je ne pourrais plus rien faire », se dit une fois de plus Lukas, en composant le code d’accès. Au même moment, les enfants arrivent de l’école et sont en ébullition. Cet aprèsmidi, c’est l’ensilage. Ils vont pouvoir, chacun leur tour si tout se passe bien, piloter l’ensileuse depuis l’ordinateur du bureau.Avec les nouveaux écrans trois D et le joystick, ensiler est devenu un jeu d’enfant. Le plus dur maintenant, c’est d’éviter les disputes !

15 h 00 : La camionnette du laboratoire pharmaceutique passe pour collecter le lait produit par des vaches transgéniques, capables de synthétiser de l’insuline humaine. Partout dans le monde, des laboratoires travaillent désormais sur la production en grande quantité de médicaments via le lait de vaches transgéniques. «Je n’aurais pas pensé que cela se développerait en France », se dit Lukas. 

16 h 30 : Un énième petit tour dans la stabulation pour s’assurer de visu que tout va bien. Lukas a encore du mal a accorder une confiance totale aux équipements…

17 h 00 : La voiture est prête. Toute la petite famille part en week-end. Retour dimanche soir. Lukas embarque avec lui son fidèle associé, le téléphone 4 G. La qualité du service après-vente est telle aujourd’hui qu’un simple coup fil suffit pour régler le plus urgent en un rien de temps. La voiture à peine sur la route, le téléphone déclenche une alarme prioritaire. « Quoi, mais qu’est-ce qui se passe? Plus rien ne fonctionne. Panne d’électricité, antenne relais hors service ?... »

Lukas se réveille en sursaut. Il jette un oeil sur sa montre : 6h30, jeudi 2 juillet 2009. Il a mal dormi. C’est cette foutue chaleur et ce rêve étrange, voire dérangeant, qui en sont la cause. Lukas se voyait dans le futur, dans une ferme totalement gérée par informatique. Pour être efficace, c’était efficace! Mais il manquait quelque chose. Quoi ? Il n’arrive pas bien à le définir. Et puis cette panne générale…

Après avoir chaussé ses bottes, Lukas détache Bengale, son chien de troupeau, qui lui fait une fête tout à fait disproportionnée par rapport au temps qui s’est écoulé depuis la veille au soir. Le chien devant, Lukas, les mains dans les poches de sa cote, va chercher ses vaches au pâturage. Dehors, ça sent terriblement bon. La rosée a trempé ses bottes. Au moment où Lukas savoure ces petites choses que les machines percevront peut-être un jour, son téléphone de troisième génération vibre dans sa poche. C’est un message publicitaire de son opérateur téléphonique qui lui annonce une super promo sur les supersmartphones de quatrième génération… ■

SOMMAIRE DU DOSSIER

Page 24 : La distribution de la ration 100% automatisée

Page 26 : Le mobile, outil à tout faire

Page 27 : Au champs, des matériels mieux guidés

Page 28 : La vache et son lait sous haute surveillance

Page 28 : La vidéo pour détecter les chaleurs... ou davantage

Page 29 : L'invasion des robots, mais pas partout

Page 30 : Un système informatique plus simple et compatible

Page 32 : Jusqu'à 40% d'économie d'énergie en bâtiment d'élevage laitier

Page 32 : Des tracteurs qui carbureront au plein d'hydrogène

Page 33 : La vache de demain éructera moins de méthane

Page 34 : Toutes les puces ne sont pas forcément des parasites

Page 35 : L'Afssa appelle à la prudence sur les nanotechnologies

Page 36 : De nouveaux défis pour les bâtiments

 

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