« En produisant moins de lait, nous avons amélioré notre marge brute de 100 €/1 000 l en un an »
Dans le Finistère, depuis qu’ils ont désintensifié leur système, Anne et Jean-Marc le Vourc’h ont amélioré tous les indicateurs économiques de leur exploitation tout en travaillant moins. Leur marge brute a gagné 100 euros en un an à 368 euros pour 1 000 litres.
« Le système maïs ensilage, on l’a utilisé pendant des années ; ça a fonctionné et ça nous a permis de rembourser nos emprunts importants lors de nos installations respectives mais, quand nous avons eu l’occasion de pouvoir en changer, nous avons sauté le pas », plantent Anne (52 ans) et Jean-Marc (47 ans) Le Vourc’h, à la tête d’un troupeau de 110 vaches laitières pour 820 000 litres vendus. Il y a quelques années, le Gaec dépassait le million de litres de lait produit pour le même nombre de vaches.
La production a chuté de 260 000 litres mais les taux se sont nettement améliorés : 49 en taux butyreux et 33,5 en taux protéique sur la dernière campagne. « En 2023, nous avons obtenu un prix du lait de 468 euros pour 1 000 litres avant ristourne et hors prime de 4,50 euros du cahier des charges Passion du Lait de notre laiterie Even. »
Fiche élevage
110 VL
820 000 l
112 ha dont 32 ha pâturables, 5 ha de maïs ensilage et 5 à 7 ha de maïs grain
Installé en 2002 avec ses parents, Jean-Marc ne connaît au départ que le système maïs herbe avec 52 hectares de maïs ensilage. « Ces années-là, le prix du lait n’était pas mirobolant, autour de 300 euros pour 1 000 litres, ce qui nous poussait à faire du volume. » Pendant plusieurs années, la ration se compose « de maïs pour les trois quarts, le reste en herbe ensilée avec du concentré à l’auge et au DAC ».
Situé dans un secteur où nombre d’exploitations ont un parcellaire morcelé, « notre système correspondait au foncier disponible, à savoir huit ares pâturables par tête ». Lorsqu’Anne rejoint son mari en 2008, les choses vont peu à peu changer. L’éleveuse sort d’une maladie et se retrouve en situation de handicap. « Nous avons toujours été passionnés par le travail mais là, nous avons privilégié la vie de famille. »
Améliorer le quotidien au travail
Ils cherchent d’abord à améliorer les conditions de travail à la traite en remplaçant en 2010, pour 180 000 euros, le système de traite, une 2x6 par un roto en traite par l’arrière. Le système dispose d’un plancher relevable et d’un double lactoduc équipé d’un système de dérivation du lait non commercialisable « pour éviter le port de pots de lait ». La MSA les guide pour choisir les équipements les plus ergonomiques. Tous ces investissements sont facilités par les aides de l’Agefiph aux personnes handicapées au travail. Ils investiront de la même manière, en 2023, 26 000 euros poour faciliter le nettoyage et de paillage des logettes. Ces équipements ne réduisent pas pour autant leur temps de travail.
L’ensilage de maïs est chronophage. L’astreinte biquotidienne ne leur laisse « qu’un week-end par mois avec un salarié du service de remplacement, des vacances pendant une semaine en février et une dizaine de jours pendant l’été ».
Ce système leur procure aussi quelques sueurs froides. Sans faire l’économie du revenu – 1 800 à 2 000 euros par mois chacun pour 9 heures de travail par jour toute l’année, 12 à 13 heures à la belle saison –, la trésorerie des éleveurs est toujours tendue. « Nous avions une bonne paie de lait pendant six mois et nous creusions les comptes le reste de l’année après avoir payé les semences, les travaux aux ETA, etc. »
À partir de 2012-2013, Anne et Jean-Marc réduisent la part de maïs au profit de l’herbe ensilée et de la luzerne. Revers de la médaille, il y avait plus d’herbe à faucher « et le recours à la Cuma était plus compliqué car nous monopolisions le matériel plusieurs jours pour une fenêtre météo identique pour tous », dit Anne.
Pour plus d’autonomie, les éleveurs investissent 29 000 euros dans un andaineur et du matériel de fauche, subventionnés à 40 % car une partie des terres de l’élevage sont situées en bassin algues vertes. Les cultures de maïs sont réduites par paliers pour se situer entre 30 et 40 hectares à la fin des années 2010. « Nous distribuions l’ensilage d’herbe toute l’année et globalement la même ration, pour pallier le manque de surfaces accessibles. » Mais les animaux de l’élevage ne disposent encore que de huit ares par tête.
Augmenter la surface pâturable
Le vrai changement va venir d’un événement particulier. En 2021, à l’occasion d’un contrôle de l’administration, « on nous dit qu’on dépasse le seuil des JPP [journée de présence pâturage, un indicateur de prévention des fuites de nitrates en Bretagne]. On nous suggère alors de diminuer notre cheptel, de conserver les animaux en bâtiment ou d'augmenter les surfaces pâturables ». Le coup est rude. Les éleveurs prennent conscience qu’il leur faut activer le levier du foncier.
Au même moment, leur voisin stoppe le lait pour se consacrer aux légumes. Anne et Jean-Marc le convainquent d’échanger 6,5 hectares pour ouvrir un espace pâturable de 22 hectares. « Le champ de pépé n’a pas plus de valeur que le champ du voisin », sourit Anne. Ils investissent dans un boviduc pour rendre le nouvel espace accessible aux bêtes. Coût de l’opération : 65 000 euros dont 28 000 euros de subventions algues vertes, y compris l’aménagement de chemins et le positionnement de points d’abreuvement. Le boviduc ouvre en février 2023.
À partir de là, « nous sommes passés de huit à trente ares pâturables par tête ». Désormais, les bêtes sortent jour et nuit, du 20 avril au 20 octobre environ, et une semaine par mois l’hiver en fonction du temps.
En parallèle, le couple travaille sur la reproduction pour réduire la part des génisses qui chassent les vieilles vaches du troupeau. Leur système se stabilise avec 15 hectares de maïs ensilage, 5 à 7 hectares de maïs grain, 32 hectares pâturables et le reste pour les stocks de foin et d’herbe. Ils stoppent le DAC parce que « le concentré ne donnait plus de gains supplémentaires en lait », disent-ils.
Moins de travail, plus de revenus
Tous les indicateurs sont désormais au vert. « Les charges alimentaires (530 kg de concentré par VL contre 1 850 kg au plus fort du système), de véto, d’électricité, les frais de mécanisation, tout a baissé. On vend moins de lait, mais mieux. Notre marge brute a gagné 100 euros en un an à 368 euros pour 1 000 litres, et notre marge brute par hectare de SFP est à 3 543 euros. Et on a moins de travail : moins de fauche, moins de semis, moins de lisier à épandre, plus de temps pour nos enfants et on se prend deux week-ends par mois et trois semaines et demie de vacances par an. » Anne et Jean-Marc Le Vourc’h se rémunèrent 3 000 euros par mois chacun.
Ils disent avoir beaucoup appris de leur système. « Les vaches s’adaptent très bien aux horaires de traite décalés (8 h et 16 h) pour libérer la soirée de notre salarié. » Et les vaches restent productives quand elles marchent beaucoup, même les Holstein. « Il n’y a qu’à les voir courir pour sortir en pâture ! Montre en main : 15 minutes pour sortir 100 vaches de l’étable et faire 1,3 km. »
Encore des améliorations possibles
Quelques ajustements restent possibles et sont étudiés par les éleveurs : croisements trois voies avec des jersiaises pour améliorer les taux et viser rusticité et longévité ; un prochain échange parcellaire de 3 hectares pour étendre l’espace pâturable et fermer pour la première fois le silo de maïs ensilage ; et à terme, le passage à la monotraite.