En élevage laitier, n’attendez pas de miracle des vaccins mammites
Alors que la baisse de l’utilisation d’antibiotiques est une nécessité, qu’attendre de la vaccination contre les mammites ? Spécialiste en immunologie, Gilles Foucras en rappelle les limites.
Alors que la baisse de l’utilisation d’antibiotiques est une nécessité, qu’attendre de la vaccination contre les mammites ? Spécialiste en immunologie, Gilles Foucras en rappelle les limites.
Plusieurs arguments militent en faveur d’une prévention des mammites par la vaccination. À commencer par le contexte général en faveur d’une réduction des traitements antibiotiques. Les infections mammaires sont leur première cause d’utilisation chez la vache laitière, avec environ deux tiers des volumes. Le manque de main-d’œuvre lié à l’accroissement de la taille des troupeaux complique aussi leur maîtrise et génère du stress. Le temps consacré à la détection et à la prise en charge des mammites se réduit inévitablement. L’impact économique, direct et indirect, est lourd. Enfin les prévenir, c’est améliorer le bien-être animal, une attente sociétale de plus en plus forte.
Mais que peut-on attendre des vaccins mammites ? Voici les principaux éléments apportés par Gilles Foucras, docteur en immunologie à l’école nationale vétérinaire de Toulouse lors d’un webinaire en décembre ,organisé par l’UMT pilotage de la santé des ruminants.
Plus compliqué pour les mammites
La multiplicité des germes impliqués dans les mammites complique la prévention par la vaccination. Un grand nombre de bactéries, voire même des champignons et des levures, peuvent être responsables d’infections mammaires. « Il n’est pas possible d’avoir un vaccin universel qui couvre la totalité des germes », explique Gilles Foucras. La vaccination, chez les bovins, s’adresse aux trois bactéries dominantes : Escherichia coli, Streptococcus uberis et Staphylococcus aureus.
Un second facteur complique la mise au point de vaccins : l’intensité clinique variable des mammites. Elle va de la mammite clinique avec de graves signes généraux, à la mammite subclinique chronique qui se manifeste uniquement par l’augmentation de la concentration de cellules dans le lait. « Lorsqu’on s’intéresse aux critères d’évaluation des vaccins, il faut donc bien définir ce vis-à-vis de quoi on protège l’animal. »
Une défense basée sur l’immunité cellulaire
Lors d’une infection mammaire, les bactéries colonisent le canal du trayon et la citerne de la mamelle où elles rencontrent des conditions extrêmement propices à leur multiplication. Elles émettent des signaux (sous forme de protéines solubles ou attachées à leur paroi) qui sont détectés et conduisent à la mobilisation des défenses cellulaires. « L’immunité cellulaire est un mécanisme essentiel dès le début de l’infection. Et c’est le mécanisme prépondérant : les principales cellules responsables de l’élimination d’une infection mammaire sont les neutrophiles », affirme le scientifique. Ils sont recrutés et activés dans la mamelle à partir du réservoir sanguin.
En revanche, « le rôle des anticorps est plutôt mineur dans l’immunité mammaire, alors que c’est le mécanisme le plus simple à produire par la vaccination ». La mobilisation des anticorps provenant du sang, par diffusion de plasma dans le lait, est tardive par rapport au début de l’infection. Et il n’y a pas de production locale d’anticorps dans le cas des infections mammaires.
Des vaccins évalués sur la production d’anticorps
« Les vaccins disponibles actuellement ont été évalués par le fabricant sur la production d’anticorps », souligne le scientifique. Les anticorps jouant un faible rôle dans la protection, « cela n’apporte pas la preuve que le vaccin sera protecteur », affirme-t-il en rappelant que lorsqu’on évalue un vaccin, trois niveaux de preuves peuvent être apportés. Le premier est de démontrer la présence d’une réponse immunitaire vis-à-vis de la bactérie au laboratoire, par exemple une réponse anticorps. Ceci dans l’idée qu’il existe une corrélation entre les réponses protectrices et les mesures réalisées. Le deuxième niveau consiste à réaliser des épreuves virulentes : le fabricant reproduit expérimentalement des mammites, avec comme limite une forte variabilité expérimentale. Le troisième niveau, le plus pertinent, est de démontrer en conditions d’élevage que les animaux vaccinés sont protégés par rapport à un groupe témoin non protégé ; c’est beaucoup plus lourd à mettre en œuvre.
Il reste par ailleurs encore pas mal de zones d’ombre sur la compréhension des mécanismes que la vaccination peut mobiliser.
De quelles évaluations indépendantes dispose-t-on ?
Le vaccin Startvac a été évalué par quatre équipes indépendantes. Un premier essai a été conduit aux États-Unis en 2014 sur 1 156 lactations et 809 vaches. La moitié de l’effectif a été vaccinée par tirage aléatoire et comparée à un groupe témoin non vacciné. Il montre « une réduction modérée des infections (45 % pour S. aureus) et une réduction de la durée des mammites », résume Gilles Foucras.
La deuxième étude a été menée en 2015 en Grande-Bretagne dans sept troupeaux sur 3 130 vaches. L’essai portait sur trois groupes de vaches : un groupe vacciné selon le protocole de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), un groupe vacciné selon un protocole simplifié et un groupe témoin non vacciné. Il n’a pas été montré de différence de prévalence des mammites. En revanche, la vaccination réduit par deux la sévérité des mammites provoquées par E. coli. « L’élément le plus significatif est une production plus élevée lors de la survenue d’une mammite dans le groupe vacciné. Ce qui conduit les auteurs à estimer un retour sur investissement de 2,60 euros pour 1 euro investi », précise Gilles Foucras.
Deux autres études avec cas témoin sur 600 vaches (Suède 2015 et Allemagne 2016) ont conclu à l’absence de différences significatives pour tous les paramètres étudiés.
« Concernant le vaccin Ubac, aucune étude indépendante n’a été publiée. Les seules données disponibles sont celles du dossier d’AMM. » L’essai mené par le laboratoire porte sur deux groupes de 12 vaches (vacciné et non vacciné) avec 21 jours de suivi. Il montre une réponse d’anticorps contre Streptococcus uberis chez les animaux vaccinés.
Deux vaccins disponibles en France
Il est indiqué dans la prévention des mammites à Escherichia coli, Staphylococcus aureus et Staphylococcus à coagulase négative. Son but est de réduire les mammites subcliniques ainsi que l’incidence et la sévérité des signes cliniques. La totalité du troupeau doit être vaccinée. « Le fabricant lui-même dit que la vaccination doit être accompagnée de l’ensemble des mesures visant à réduire la prévalence des mammites », souligne Gilles Foucras. Le protocole repose sur trois injections intramusculaires à un mois et demi, puis 10 jours avant vêlage, et enfin à 52 jours après vêlage. Il induit une immunité à partir de 13 jours et jusqu’à 130 jours après le début de lactation.
Il est indiqué dans la prévention des mammites à Streptococcus uberis. Le protocole contient trois injections à 60 jours, puis 21 jours avant vêlage, et 15 jours après vêlage. Il induit lui-aussi une immunité à partir de 13 jours et jusqu’à 130-150 jours après le début de lactation.
La voie intramammaire, une piste prometteuse ?
Un premier essai a été conduit par l’ENVT-Inrae (P. Rainard) pour évaluer la voie locale. Il a comparé à un groupe témoin recevant un adjuvant, un groupe immunisé par voie intramusculaire avec deux injections et un groupe immunisé par voie intramusculaire puis par voie locale(1). La réponse immunitaire à la fois cellulaire et anticorps a été évaluée à différentes reprises. Chez tous les animaux immunisés, la sévérité de la mammite est divisée par deux. Chez ceux immunisés par voie intramammaire, la durée de l’infection est réduite quasiment de moitié, et les signes généraux au début de l’infection sont plus faibles. La voie locale aurait l’avantage, par rapport à la voie intramusculaire, d’installer dans le tissu mammaire une « barrière » de lymphocytes rapidement fonctionnelle. Une piste prometteuse mais qui nécessite encore de nombreux travaux de recherche.
À retenir
° La vaccination ne peut être qu’un complément à des mesures classiques de gestion de la santé mammaire qui restent prioritaires.
° Une évaluation de la prévalence des agents responsables des mammites est indispensable avant de vacciner.