La moitié des élevages dans cinq ans
Empreinte carbone : la filière lait passe à la vitesse supérieure
La signature de la feuille de route climatique donne le départ du déploiement de la démarche Ferme laitière bas carbone. La question de la valorisation reste entière.
La signature de la feuille de route climatique donne le départ du déploiement de la démarche Ferme laitière bas carbone. La question de la valorisation reste entière.
La phase de déploiement de la démarche Ferme laitière bas carbone de la filière laitière française est lancée. Le 14 juin dernier, le Cniel, l’Institut de l’élevage, l’APCA et France conseil élevage ont signé la "feuille de route climatique", un engagement à faire entrer dans la démarche 50 % des éleveurs d’ici cinq ans et 100 % d’ici dix ans. Mais comment se fera-t-elle ? La question de la valorisation des efforts reste entière.
La démarche de l’interprofession laitière a démarré en 2015 en s’appuyant sur l’outil CAP2ER, développé par le programme de recherche Carbon dairy. Plus de 7 600 fermes ont déjà été diagnostiquées en 2016 et 2017 avec cet outil. La filière laitière ambitionne de réduire en dix ans l’empreinte carbone des élevages de 20 % à horizon 2025. "Au vu du bilan de Carbon dairy, l’objectif de -20 % est très ambitieux. Ce sera compliqué mais possible à condition d’avoir l’implication de tous", souligne Catherine Brocas, de l’Institut de l’élevage.
Réduire de 20 % signifie accéder à la performance des 10 % des élevages ayant la plus faible émission de carbone (Top 10). "Même comme cela, il manque 3 % pour atteindre les -20 %. Pour y parvenir, il faudra soit réduire encore les émissions, soit stocker davantage de carbone. Nous avons constaté que c’est dur de rester au top car il y a des effets années (conjoncture, climat). Pour progresser davantage, il faudra de nouvelles solutions alimentaires, développer la méthanisation… Le potentiel de réduction est comparable dans chaque système - montagne, plaine, avec plus moins de maïs et d’herbe."
Malgré la difficulté, la filière maintient son objectif. Parce qu’elle veut rester compétitive dans le paysage laitier européen et mondial en répondant à cette forte attente sociétale. Et cela avant que les politiques n’imposent plus de contraintes. "Nous pourrons à terme revendiquer un lait de France bas carbone. Et valoriser ce travail en communiquant sur les efforts déployés", indique Thierry Geslin, du Cniel.
Valoriser les efforts par la communication grand public
Les réactions des éleveurs participants à Carbon dairy sont parfois désabusées. "On va nous demander plus, mais on ne nous payera pas mieux le lait et ça finira par être obligatoire." "Il ne faut pas que les transformateurs et distributeurs récupèrent nos efforts en misant sur notre meilleure performance économique et sur un lait plus compétitif sur les marchés."
Mais la motivation est quand même là. Carbon dairy a montré que réduction d’empreinte carbone rime avec meilleur résultat économique : entre 2013 et 2016, sur 366 élevages bretons, les charges opérationnelles sont passées de 184 à 167 €/1000 l (-9%), et les émissions de GES ont baissé de 5 %.
Les éleveurs veulent aussi montrer à la société qu’ils prennent part aux actions en faveur de l’environnement. "Quand je discute avec mes voisins qui sont de plus en plus déconnectés de l’agriculture, j’explique ce que je fais, et je peux dire que cela va dans le bon sens grâce à mes résultats et à ceux de Carbon dairy, argumente Florian Vieudrin, éleveur dans l’Ain. À l’heure où tout le monde communique et où beaucoup de bêtises circulent, c’est bien d’avoir des arguments solides. Je suis plus confiant avec un projet porté par le Cniel et Idele, plutôt que par des entreprises privées ou associations, avec un risque d’objectifs et de communication biaisée."
Aider financièrement les élevages
Des freins pour atteindre l’objectif sont mis en avant, notamment la crainte de prendre des risques en testant de nouvelles techniques. Ils pourraient être levés avec un accompagnement financier des élevages.
Une prime sur le prix du lait ? "il faut que le consommateur accepte de payer, mais il faut être capable de leur expliquer la démarche", répond Laurent Schatz, directeur lait Danone France. Les OP ont un rôle à jouer. "Nous nous engageons à faire des diagnostics et à réduire nos empreintes carbone. L’idée est de valoriser cette implication dans les contrats entre OP et transformateurs", expose Gilles Durlin, président de l’association d’OP AOPen Dairy dans les Hauts de France.
Les pouvoirs publics sont prêts "à appuyer les efforts d’investissement les plus efficaces pour s’adapter au changement climatique et réduire l’empreinte environnementale des fermes, affirme Catherine Geslain-Lanéelle, ministère de l’Agriculture. Nous le ferons avec le plan d’investissement du gouvernement pour l’agriculture."
"Il faut un retour de valeur sur les fermes"
Marie-Thérèse Bonneau, FNPL
"Les éleveurs ont intérêt à être acteur des changements qui se profilent et à participer à la Ferme laitière bas carbone. Nous avons besoin d’une stratégie partagée au sein de la filière pour éviter la multiplication d’initiatives différentes. Les efforts fournis par les éleveurs doivent être récompensés. Certes afficher une faible empreinte et un engagement pour l’environnement est un accès au marché. Certes les éleveurs améliorent leurs performances économiques en réduisant leur empreinte. Mais s’il y a une création de valeur, et il faut qu’il y en ait une vu les efforts déployés, il est légitime que les éleveurs perçoivent un retour."
Infographie des contributions positives Cap2ER, au-delà du carbone
(commentaire de l’infographie) Cap2ER évalue l’empreinte carbone de l’atelier lait. Le bilan est également réalisé à l’échelle de l’exploitation pour s’assurer qu’il n’y a pas de transfert d’émissions entre ateliers. L’outil présente aussi le bilan azoté de l’exploitation et les pertes vers l’air et l’eau, la consommation d’énergie fossile et les contributions positives de l’élevage.
Les leviers d’actions efficaces
+++ La gestion du troupeau : réduire le nombre d’animaux improductifs en réduisant l’âge au vêlage, en maîtrisant l’intervalle vêlage vêlage, en optimisant le taux de renouvellement. Augmenter la productivité laitière en maîtrisant les concentrés. Maîtriser les aspects sanitaires. En résumé, avoir un troupeau efficace, ce qui rime avec une meilleure marge brute.
++ Alimentation et système fourrager : développer les prairies de plus de cinq ans et les haies ; ajuster la fertilisation ; ne pas gaspiller les concentrés ; améliorer l’autonomie protéique.
+ Energie directe : réduire la consommation de carburant et d’électricité.
"Nous voulons avoir une ferme durable"
Au Gaec La Croix pomiers, dans l’Ain. "Nous voulions comprendre ce qui est mesuré et calculé par le diagnostic Cap2ER, voir quelles pratiques sont meilleures pour l’environnement, comment notre ferme se positionne. Ce qui est motivant, c’est de pouvoir concilier la performance environnementale et économique, explique Florian Vieudrin, un des associés. Nous voulons rester en phase avec les attentes sociétales, pour garder toujours une ferme transmissible."
Être Carbon Dairy a permis au Gaec de conforter et d’ajuster des changements de pratiques déjà engagés. "Nous avons remplacé le tritical par du seigle hybride, car ces dernières années, il fallait davantage de traitements pour le tritical (jusqu’à 3). Même s’il n’y a pas d’indicateurs pesticides (IFT) dans Cap2ER, on voit l’effet de ce changement par une réduction de la consommation énergétique directe liée aux interventions et indirecte liée à la consommation d’intrants." En juin 2016, le Gaec a mis en place le pâturage tournant dynamique. Malgré des débuts de printemps très humides, la sortie précoce au pâturage s’est bien passée. "Le résultat est net : moins de refus - donc baisse du nombre de passages pour broyer - et beaucoup moins de chardons et de rumex dans les prairies."
Améliorer l’impact environnemental au sens large
Le bilan 2016 du Gaec est très bon : émissions brutes de GES de 0,89 - stockage de 0,29 = 0,6 kg eq. CO2/l lait d’empreinte carbone nette. Il est meilleur que celui de 2013 (0,63 kg), grâce à une baisse des émissions. "Ces bons résultats s’expliquent par notre système autonome économe. Nous essayons de trouver l’optimum entre production et dépenses. Cette année, ce sera la première fois que nous ne ferons pas d’ensilage de maïs. Nous cherchons un maximum de protéines par les fourrages, en augmentant la part d’herbe (pâturage, enrubannage, foin), et nous produisons du maïs grain humide. Ce changement a pu avoir lieu grâce à la reprise de 10 ha de prairies permanentes et 4 ha de terres labourables."
Les achats d’engrais minéraux ont été réduits, "grâce à un investissement en Cuma d’un séparateur de phase. Il nous permet de répondre à la réglementation nitrates et d’être plus précis dans les apports."
L’objectif du Gaec est de maîtriser le temps improductif des animaux (âge au 1er vêlage, IVV, taux de renouvellement), ce qui n’est pas toujours évident dans leur système. "Nous visons aussi une productivité laitière satisfaisante. Ces deux leviers conduisent à une efficacité économique certaine."
195 ha dont 130 ha d’herbe, 13 ha de légumineuses pures et le reste en céréales et maïs grain. 76 montbéliardes à 8200-8500 l/VL/an."Mobiliser des fonds et parler des projets des éleveurs"
Laurent Schatz, directeur lait Danone France
"Notre objectif est d’atteindre le Zéro émission nette (émissions - stockage) de carbone à horizon 2050, partout dans le monde. En France, nous avons déjà réalisé 700 diagnostics Cap2ER de niveau 1. Notre nouveau programme Les 2pieds sur terre, avec un partenaire Miimosa, a un double objectif : mobiliser des fonds et parler des projets des éleveurs. Il repose sur trois axes : diagnostiquer (niveau 1) 100 % des élevages pour les sensibiliser ; réaliser des diagnostics de niveau 2 sur une cinquantaine d’élevages volontaires, avec mise en place d’un plan de réduction des GES ; accompagner financièrement plus de 300 projets d’ici cinq ans. Aujourd’hui, deux projets ont déjà été financés : pour une hausse de la surface de pâturage (chemins, clôtures, points d’eau) et pour une hausse de capacité de séchage en grange."
2000 exploitations livrent Danone en FranceLes crédits carbone pour valoriser la démarche ?
La filière laitière espère pouvoir valoriser son travail avec des crédits carbone. Une méthodologie permettant de certifier les économies en carbone réalisées est en cours de validation.
Le ministère de l’écologie voudrait lancer un label bas carbone en septembre prochain :"Il s’agit de reconnaître les baisses d’émissions de gaz à effet de serre. Nous serons attentifs à ce que l’éleveur soit le porteur du projet et son bénéficiaire", précise Dimitar Nikov.
La finance s’intéresse de plus en plus aux solutions "vertes". Thierry Geslin, du Cniel, évoque un partenariat déjà réel avec la Banque postale. "Même sans crédit carbone, on peut développer des partenariats financiers pour accompagner le déploiement de la démarche et les efforts des éleveurs."