[Elevage laitier] « Nous voulons concilier environnement et productivité »
Le Gaec de Keralet, dans les Côtes-d’Armor, a changé de cap en 2014. Objectif : améliorer l’autonomie protéique et retrouver « des sols vivants » tout en maintenant le troupeau à 10 000 kilos.
Le Gaec de Keralet, dans les Côtes-d’Armor, a changé de cap en 2014. Objectif : améliorer l’autonomie protéique et retrouver « des sols vivants » tout en maintenant le troupeau à 10 000 kilos.
Avec Iron et Merlin, Maxime Pilorget forme un trio quasiment inséparable. Quand il est présent sur le site, ses deux Beaucerons ne le lâchent pas d’une semelle. Une omniprésence particulièrement appréciée par l’éleveur lorsqu’il est tombé nez à nez, et par hasard, sur deux intrus qui tentaient de « le débarrasser » de sa ferraille à son insu.
Mais l’essentiel de l’activité « professionnelle » des deux chiens consiste à aller chercher les vaches dans les pâtures. Aujourd’hui, sur les 47 hectares de prairies que compte le Gaec, 22 hectares sont réservés au pâturage des vaches et génisses et 22 hectares à la fauche. Les trois hectares restants sont en bandes enherbées ou prairies permanentes. Mais cela n’a pas toujours été le cas. « Je me suis installé avec mes parents en 2010. Nous avons eu chacun notre troupeau pendant six mois. Puis, mon père est décédé brutalement trois mois plus tard. Jusqu’en 2014, j’ai surtout mis l’accent sur le regroupement des deux exploitations », retrace Maxime Pilorget. Situé sur la commune d’Illifaut, les deux exploitations ne sont distantes que de 180 mètres à travers champs et 800 mètres par la route.
Durant cette période de réorganisation, la conduite du troupeau laitier adoptée par le Gaec était courante dans ce secteur. La ration hivernale se composait d’ensilage de maïs et d’herbe, de tourteau de colza… « J’achetais un camion de luzerne déshydratée mais cela me coûtait environ 250 euros la tonne. » Les stocks fourragers étaient sécurisés par 20 hectares de RGI implantés en dérobée… Le labour était omniprésent dans les itinéraires culturaux.
Autonomie protéique et sans-labour
Mais, en 2014, Maxime réalise que son système ne correspond pas du tout à ses objectifs d’installation. Pire, économiquement parlant, le compte n’y est pas. « 2014 était une bonne année laitière et pourtant nous avons dégagé très peu de revenu. On faisait travailler beaucoup de gens autour de nous pour rien », constate-t-il.
Maxime Pilorget décide alors de changer son fusil d’épaule. Il remet, comme prévu dans son projet d’installation, le cap sur l’autonomie protéique sans baisser la productivité du troupeau. Les leviers utilisés sont l’implantation de méteils riches en protéines, l’augmentation de la part de l’herbe dans la ration et l’abandon de l’ensilage de maïs et du RGI. Le retour de l’agronomie dans l’exploitation refait surface via la pratique du sans-labour et les conseils d’un consultant.
L’adhésion au Ceta 35 et la lecture d’articles dans la presse spécialisée l’ont aidé à bâtir son projet. « Lors d’un voyage d’étude en Allemagne coorganisé par le Ceta 35 et le réseau EDF en 2015, j’ai visité une exploitation laitière où les vaches produisaient beaucoup de lait avec pas mal d’herbe dans leur ration. Économiquement, elle tournait très bien. Puis, une semaine plus tard, nous avons visité l’exploitation d’Anton Sidler, dans l’Orne. Son système basé sur l’optimisation de l’autonomie alimentaire permise par une bonne gestion de l’agronomie correspondait d’autant plus à mes objectifs que ses Holstein produisaient plus de 10 000 kilos de lait. »
Abandon du RGI et de l’ensilage de maïs
Maxime Pilorget passe à l’acte en 2015. Il teste la culture de méteil riche en protéines sur huit hectares. Et comme l’essai s’avère concluant, le RGI disparaît totalement de l’assolement au profit de l’ensilage de méteil (25 ha aujourd’hui). Le fourrage est semé début octobre. Le mélange utilisé se compose de féverole (50 kg), vesce (25 kg), avoine (20 à 40 kg), de trèfle squarrosum (5 kg) et de trèfle incarnat (5 kg). La féverole est semée seule avec un distributeur à engrais. Il a arrêté le pois parce qu'il n’en retrouvait plus au printemps, sans pouvoir expliquer le phénomène.
« Depuis deux ans, j’essaie de semer et de récolter une partie de mon méteil une quinzaine de jours plus tôt pour moins pénaliser le rendement du maïs épi (9 à 10 t MS/ha). Mais il ne faut pas semer la féverole trop tôt pour éviter les problèmes d’anthracnose. »
20 % de MAT et 4 t MS par ha
Ainsi, cette année, une dizaine d’hectares ont été ensilés le 24 avril, plutôt que début mai. Les analyses révèlent un fourrage riche en MAT (20 %). « Sa teneur en énergie n’est que de 0,78 UFL/kg MS, mais ce n’est pas grave. Le maïs épi permet de reconcentrer la ration en énergie. » La fauche précoce se traduit également par une baisse de rendement : 3,6 t MS/ha, alors qu'il atteint jusqu’à 6 t MS/ha certaines années.
Économiquement parlant, un méteil à 20 % de MAT, même à moins de 4 t MS/ha, est rentable selon Maxime Pilorget. Au Gaec, le coût d’implantation avoisine les 130 euros par hectare, dont 70 euros par hectare pour les semences : 15 €/ha pour la féverole achetée à un ami, 27,50 €/ha pour la vesce, 6 €/ha pour l’avoine en semences fermières, 11,50 €/ha et 10,60 €/ha respectivement pour les trèfles squarrosum et incarnat. Ramené à la tonne de matière sèche, le méteil coûte 34-35 euros.
Selon Maxime, le RGI ne tient pas la comparaison. « Le RGI pompe de l’eau. C’est pénalisant pour le maïs. En revanche, le méteil est un fixateur d’azote. Ses racines pivotantes améliorent la structure du sol. Cela permet de moins travailler le sol pour implanter la culture suivante. Le coût d’implantation du RGI est plus élevé. Cela me revenait à 178 euros par hectare, dont 48 euros pour l’apport de 50 unités d’ammonitrate », argumente-t-il.
Toujours dans la même logique, le maïs épi s’est substitué à l’ensilage. « Cette année, j’ai juste ensilé quatre hectares de maïs pour sécuriser mes stocks. Mais finalement, ce n’était pas nécessaire. »
Depuis ce changement de cap, les quantités de fourrages récoltés par hectare sont restées globalement équivalentes : 17 t MS/ha dont 14 t MS/ha pour l’ensilage de maïs et 3 t MS/ha pour le RGI, contre 9 à 9,5 t MS/ha pour le maïs épi et 4 t MS/ha en moyenne pour le méteil. « Ce que nous perdons au printemps, nous le regagnons en automne. Tout en économisant 8 à 10 litres de gasoil par hectare », expose Maxime Pilorget.
Du colza fourrager pâturé en août
Aujourd’hui, la ration hivernale des vaches se compose de 9,5 kg MS d’ensilage d’herbe, 8 kg MS de maïs épi, 2 kg de betterave, 1 kg d’orge aplati, 2,5 à 2,8 kg de tourteau de soja et de 200 g de minéral. Elle est équilibrée à 32 litres de lait.
En saison de pâturage, les vaches consomment au maximum 10 kg MS d’herbe par jour et 5 kg MS d’ensilage d’herbe ou de méteil. « Le méteil apporte plus de fibres que l’ensilage d’herbe. Cela ralentit le transit digestif des vaches. » Les fourrages sont complétés par 6 kg de maïs épi, 1 kg d’orge et 1 à 1,5 kg de tourteau de soja.
Par ailleurs, l’éleveur retourne ses prairies en juin pour semer du colza fourrager qui sera pâturé en août. « C’est un excellent fourrage pour économiser des protéines. » Cette année, le troupeau avait accès à 2,20 hectares pâturés sur une période de 15 jours, soit l’équivalent de 3 kg MS/VL/j.
Un contrat de vente de crédit carbone
Suite à un diagnostic Cap’2ER, Maxime s’est engagé à améliorer l’emprunte carbone de son élevage (0,87 kg équivalent C02/l de lait) en activant trois leviers : implantation de 1 km de haies, produire plus de protéagineux pour limiter les importations de tourteau de soja et surtout diminuer son taux de renouvellement.
Dans cinq ans, un nouveau diagnostic sera réalisé dans l’élevage. Il permettra d’évaluer l’évolution de l’empreinte carbone, avec à la clé une rétribution potentielle de 6 000 euros (1 200 €/an) via un contrat crédit carbone.
Le levier limitation des importations de tourteau de soja est déjà une réalité dans l’élevage. Grâce à la priorité mise sur l’autonomie en protéines, les achats de tourteau de soja ont baissé de 40 tonnes tout en maintenant le niveau de production des vaches. « À 340 euros la tonne de tourteau, je fais une grosse économie. » Les achats portent désormais sur 110 tonnes par an.
Aller plus loin dans cette voie semble compliqué à court terme. La substitution par du tourteau de colza n’est pas d’actualité. La production sur l’exploitation de graines de soja et de féverole toastées est une piste envisagée. Mais elle se heurte à deux contraintes. « Ces graines coûtent cher à produire. Il faut que le prix du tourteau de soja soit supérieur à 380 euros la tonne pour que cela commence à être intéressant. » La disponibilité en surface est un autre bémol. La réflexion se poursuit.
Trop sentimental pour croiser avec du BBB
En revanche, Maxime Pilorget est conscient qu’il a toutes les cartes en main pour baisser le taux de renouvellement de son troupeau. « Il est actuellement de 45 %. Mais si je ne tiens pas compte des ventes de génisses et vaches en lait, on se rapproche de 30 %. J’ai beaucoup trop de génisses et le fait d’utiliser des doses de semences sexées sur les génisses n’arrange rien. Je devrais utiliser plus de doses de taureaux blanc bleu belge sur mes vaches, mais je n’arrive pas à le faire parce que je suis trop sentimental. Finalement, cela me pousse à vendre des Holstein et cela me fait encore plus mal au cœur », reconnaît-il. Reste que la nurserie et le bâtiment des génisses saturent.
Et d’un point de vue économique, c’est tout sauf rentable. Dernièrement, cinq génisses en lait ont été vendues entre 1 080 euros et 1 250 euros. « Le coût d’élevage d’une génisse, main-d’œuvre comprise, tourne autour de 1 400 à 1 500 euros », lui rappelle Alexandra Lottin, animatrice au Ceta 35. Malgré ses réticences pour le croisement, l’éleveur a acheté chez Bovec 100 doses de taureaux blanc bleu belge dont la moitié à 3 euros la dose et l’autre à 4 euros.
Un autre défi s’annonce avec le départ en retraite de sa mère prévu d’ici trois ou quatre ans. L’association avec un autre éleveur est écartée d’office. « J’ai déjà essayé et ça m’a trop stressé. Je préfère rester seul comme chef d’exploitation, mais ne pas travailler seul. »
L’arrêt de la production de porcs à façon est également exclu. « Grâce à cet atelier, je dégage 20 000 euros de marge brute par an et je valorise le lisier sur mes cultures. » La solution reste donc à trouver.
En attendant, il est 17 h. Virginie, la salariée, a ramené les vaches. Dans la fosse de la salle de traite, Maxime et Virginie branchent les premières vaches sous le regard attentif d’Iron et Merlin.
Chiffres clés
« Le regard extérieur est indispensable pour progresser »
Adhésion au Ceta 35, recours aux services d’un nutritionniste et d’un agronome… Maxime Pilorget mise sur les échanges avec des éleveurs ou consultants pour améliorer son système.
« Maxime Pilorget réfléchit beaucoup. Il s’informe, innove et prend un peu de risques tout en gardant une marge de sécurité. Cela s’avère payant », résume Alexandra Lottin, animatrice au Ceta35. Malgré sa charge de travail, il tient à consacrer du temps au maintien de contacts avec des personnes d’horizons différents. « Cela permet de voir des choses qu’on ne voit pas toujours quand on est dedans », apprécie l’éleveur.
« J’ai adhéré au Ceta 35 en 2011 parce que mon maître d’apprentissage était adhérent et que je trouvais cela très intéressant. Les échanges avec d’autres éleveurs sur des points techniques et économiques permettent de se comparer et d’évoluer. » Huit fois par an, les éleveurs de son groupe se réunissent dans l’exploitation d’un des membres. Ils échangent sur des thèmes choisis et visitent l’exploitation de celui qui accueille le groupe.
Un point sur les actualités et l'efficacité alimentaire
« Le matin, on débute la réunion par des points d’actualité sur le prix du lait, des veaux… mais aussi sur l’efficacité alimentaire de la ration distribuée à nos vaches. » Maxime s’est également inscrit à un inter-groupe dédié à l’amélioration de l’autonomie en protéine.
Il fait appel aux services d’un nutritionniste indépendant. Ce dernier passe quatre fois par an pour recaler la ration si nécessaire. Les cultures sont également suivies par un consultant en agronomie. S’il insémine lui-même, il préférer laisser les échographies à son vétérinaire. « Maxime est un très bon vétérinaire. Cela doit venir des Maxime », précise-t-il avec humour.
Avis d'expert : Alexandra Lottin, animatrice au Ceta 35
« Un bon prix d’équilibre »
« On ne part pas dans un tel système pour des raisons économiques mais d’abord par philosophie. Le Gaec a en effet diminué ses achats extérieurs mais en contrepartie, il a augmenté le nombre de récoltes et par conséquent son coût de main-d’œuvre et ses charges de mécanisation. Mais, grâce à l’évolution du système, l’élevage est bien situé en termes de prix d’équilibre (320 €/1 000 l contre 335 €/1 000 l en moyenne au Ceta 35 en 2019). La dilution des charges permise par la forte productivité de la main-d’œuvre (410 000 l de lait/UMO) explique le bon niveau de prix d’équilibre et de l’EBE lait (52 000 €/UTH).
En 2019, le coût alimentaire du troupeau du Gaec s’élevait à 177 €/1 000 l. Il se situait dans la moyenne du groupe d’éleveurs qui remplissent la méthode Eco du Ceta 35 (176 €/1 000 l). Dans l'ensemble de nos calculs, nous incluons toutes les charges (opérationnelles et de structure, coût de la main-d'oeuvre). Dans le bilan CER, le coût alimentaire était de 88,80 €/1 000 l.
Plus généralement, nous constatons que la moyenne du prix d’équilibre au Ceta 35 augmente tous les ans. Les éleveurs ont fait un gros travail pour maîtriser leurs charges opérationnelles. En revanche, les charges de structures ont tendance à augmenter avec l’évolution des exploitations. »