Tuberculose
«Des conséquences lourdes pour la prochaine campagne de prophylaxie»
Des menaces très sérieuses pèsent sur le statut «indemne» de la France. Pour le garder, elle s'apprête à revoir son plan national de lutte. Les discussions avec Bruxelles sont difficiles.
Quelle est la situation en France vis-à-vis de la tuberculose ?
Marine Jay, GDS France - « Depuis 2004, on observe une recrudescence régulière de la tuberculose. Des zones sont particulièrement touchées : la Côte-d'Or (une vingtaine de foyers actuellement), la Dordogne (une vingtaine de foyers), les Pyrénées-Atlantiques (une dizaine de foyers), la Camargue (10-15 foyers).
Ces derniers temps, on constate une tendance à l'apparition de foyers dans des départements voisins ou des départements épargnés depuis plusieurs années, comme l'Ille-et-Vilaine, l'Aisne, le Doubs, le Cantal ou la Manche.
Le nombre total de foyers s'élevait au 31 décembre 2011 à 130 pour un nombre de nouveaux foyers déclarés dans l'année à 85. Il est en baisse par rapport à 2010 (166 foyers dont 112 nouveaux foyers). Cette baisse s'explique probablement par une intensification du dépistage suite à la découverte des premiers foyers afin d'accélérer l'assainissement, et, au vu du premier trimestre 2012, elle ne se semble pas se poursuivre cette année.
Une dizaine d'élevages (essentiellement en Côte-d'Or mais aussi en Dordogne) sont aujourd'hui dans une situation dramatique, avec deux voire trois abattages successifs. Et on n'arrive pas à expliquer ces recontaminations successives. Dans certains cas seulement, la faune sauvage peut être impliquée mais cela n'explique pas tout. La situation française n'a toutefois rien à voir avec celle des années 1950 où 20 à 50 % des cheptels étaient infectés.
Mais des menaces très sérieuses pèsent sur le statut « officiellement indemne » que la France détient depuis décembre 2000. »
Quels sont les critères à respecter pour que la France garde son statut «officiellement indemne» de tuberculose ?
M.-J. - « Il y en a deux. Le premier critère concerne le nombre de foyers au 31 décembre : le pourcentage de foyers (taux de prévalence) doit être inférieur à 0,1 %, ce qui correspond à 220 foyers. Il est respecté (0,074 % en 2010 et 0,06% en 2011). Le deuxième critère est plus problèmatique: 99,9 % des exploitations françaises doivent bénéficier du statut « officiellement indemne » de tuberculose au 31 décembre. Cela signifie que moins de 220 exploitations doivent avoir leur statut suspendu. La date fixée au 31 décembre, en plein milieu de la campagne de prophylaxie, nous est défavorable car certaines exploitations ont un statut suspendu provisoirement à l'issue de la prophylaxie jusqu'aux résultats du contrôle. Ce deuxième critère n'est plus respecté au sens strict depuis quelques années. »
Pourquoi le statut de la France est-il sérieusement menacé depuis quelques mois ?
M.-J. - « L'aggravation est liée à une inspection de l'OAV (Office alimentaire vétérinaire), diligentée par la Commission en septembre dernier, pour vérifier que les garanties affichées lors des échanges d'animaux intracommunautaires sont bien conformes à la réglementation européenne. Cette inspection a épinglé un certain nombre d'irrégularités.
La France, qui a fait l'objet d'un rappel à l'ordre musclé, a obtenu un sursis jusqu'en juin, et a répondu en mars, point par point, à Bruxelles. Les discussions, toujours en cours pour obtenir le maintien du statut, s'avèrent difficiles.
Le point bloquant relevé par l'OAV concerne l'utilisation du test à l'interféron dans une dizaine de départements pour décider le maintien de la qualification de cheptels. Ce test est utilisé, en particulier en Côte-d'or et en Dordogne, dans le cadre d'un protocole expérimental, en complément du test cutané pour expertiser des réactions douteuses(1) : s'il est négatif, et dans certaines conditions, les cheptels peuvent être requalifiés. Ceci permet d'accélérer la gestion des suspicions et donc de lever plus rapidement le blocage des troupeaux négatifs, car le délai entre deux tuberculinations est de 42 jours.
Au plan scientifique, le test lui-même est reconnu par l'UE, mais pas cette utilisation française du test pour requalifier des cheptels. Selon Bruxelles, celle-ci aboutit à une surévaluation du nombre de cheptels qualifiés. Les autres anomalies relevées par l'OAV, comme par exemple la lecture des tuberculinations sans cutimètre (pour mesurer la hauteur du gonflement), sont beaucoup moins problématiques. »
Cette utilisation du test à l'interféron va-t-elle être abandonnée ?
M.-J. - « Dans sa réponse à la Commission, la France propose effectivement un recadrage par rapport à la directive européenne. En particulier pour le test à l'interféron: il faudra refaire des tests cutanés, dans les cas douteux, pour pouvoir requalifier un cheptel.
C'est un sujet d'inquiétude majeur pour des départements comme la Côte-d'Or et la Dordogne qui mobilisent beaucoup de moyens de lutte: ils craignent que cet abandon de l'interféron ne nuise au schéma de lutte et bloquent des élevages dans des boucles de recontrôles infernaux. Les conséquences seront lourdes pour la prochaine campagne de prophylaxie. »
Comment se font la surveillance et la lutte contre la tuberculose ?
M.-J. - « Le dépistage sur animaux vivants est variable selon les départements. Aujourd'hui, 60 départements ne réalisent plus de prophylaxie pour la tuberculose. Compte tenu des allégements de prophylaxie, dans la majorité des cas, le dépistage repose principalement sur l'inspection post-mortem en abattoir (donc tardive).
À l'inverse, les départements les plus touchés se sont engagés depuis 2010 dans une stratégie de dépistage renforcé sur certaines zones, avec un contrôle à la vente sévère. Un travail d'harmonisation de la surveillance en abattoir a également été mené.
En 2010, un peu plus de 20 % des foyers ont été repérés au niveau des abattoirs, plus de 60 % grâce à la prophylaxie, 10-15 % grâce aux enquêtes épidémiologiques. Les quelques pourcents restants l'ont été lors des contrôles à l'introduction (test individuel).
Le renforcement de la surveillance et de la lutte, initié dans quelques départements, a été repris en 2011 dans un plan national de lutte avec pour objectif d'adapter les mesures au risque.
Parallèlement, un réseau de surveillance de la faune sauvage (cerfs, sangliers, blaireaux) a été mis en place et un protocole d'enquête épidémiologique harmonisé est en cours d'élaboration pour les DDT. La sensibilisation est beaucoup plus importante aujourd'hui, tant au niveau des éleveurs que des abattoirs, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. »
Quelles seraient les conséquences de la perte du statut «officiellement indemne»?
M.-J. - « Elles sont principalement d'ordre commercial avec les pays tiers. Les exigences sanitaires sont négociées avec chaque pays dans des certificats correspondant. Aujourd'hui la qualification de cheptel « officiellement indemne » n'est pas un critère ciblé de façon prioritaire... mais la perte de notre statut pourrait évidemment changer la donne.
Pour les États membres, il ne devrait pas y avoir d'obligations supplémentaires en la matière: c'est le statut du cheptel qui prévaut, la qualification de cheptel « officiellement indemne » est suffisante pour que les animaux puissent circuler vers d'autres États membres. La dérogation aux tests avant départ pour les animaux qui partent vers les États membres repose en effet, d'une part sur le statut du pays mais aussi sur la reconnaissance du réseau de surveillance en place en France. »
Le test individuel a des limites
Un test individuel négatif (par intradermoculination) n'apporte pas une garantie à 100 %: la probabilité qu'un animal testé négatif soit réellement négatif varie entre 75,5 % et 96,8 %. Elle est d'autant plus faible que le nombre de foyers de tuberculose est faible. E
n revanche, cette spécificité est meilleure au niveau du cheptel, d'où l'intérêt de raisonner sur des statuts de troupeaux. Pour diminuer le risque pendant le transport, il faut privilégier les circuits courts.