De bons revenus 2022 pour les exploitations laitières, mais les écarts explosent
Le revenu moyen 2022 des élevages laitiers a progressé malgré les aléas climatiques et la hausse des charges. Mais les écarts entre exploitations n’ont jamais été si grands. La gestion de la trésorerie est plus que jamais un facteur de sécurisation.
Le revenu moyen 2022 des élevages laitiers a progressé malgré les aléas climatiques et la hausse des charges. Mais les écarts entre exploitations n’ont jamais été si grands. La gestion de la trésorerie est plus que jamais un facteur de sécurisation.
Dans les exploitations laitières, les estimations de résultat courant par unité de main-d’œuvre exploitant pour l’année 2022 montrent des revenus en hausse, en moyenne. Dans le détail, les écarts sont importants et un certain nombre d’exploitations ne dégageront pas plus de revenu, voire accuseront une baisse par rapport à l’année précédente.
Des résultats permettant de dégager 2 Smic
Les résultats courants moyens 2022 estimés par l’Institut de l’élevage et par Cerfrance sont en hausse. « C’est une bonne année, mais ce n’est pas non plus exceptionnel, tempère Didier Roinson, de l’atelier des études économiques Cerfrance. Les exploitations conventionnelles de Normandie, Mayenne et Sarthe parviennent en moyenne à dégager 2 Smic pour rémunérer les exploitants. Ce qui est l’objectif de la filière pour rémunérer décemment les éleveurs. Dans le même temps, les exploitations de grandes cultures dégagent 30 à 40 % de plus. Cet écart entre élevages et grandes cultures est une vraie inquiétude dans les régions où il est possible d’arbitrer entre les deux productions. »
Des revenus à la peine en montagne et pour le bio
Pour les systèmes Conventionnels de plaine, « les hausses de prix du lait, de la viande et des cultures ont permis une nette progression du produit », a décrypté l’Institut de l’élevage, lors de la journée Grand angle lait. Le produit a aisément couvert la hausse de toutes les charges et a permis au résultat courant moyen des trois groupes (Spécialisés lait de plaine, Lait et cultures de vente et Lait et viande bovine) de grimper respectivement de 53 %, 46 % et 70 %. Ces exploitations affichent des résultats moyens supérieurs à 57 000 €/UMO exploitant, un niveau très élevé comparé à ces dix dernières années. Ainsi, « malgré les aléas climatiques et des rendements hétérogènes, la forte hausse des prix de vente a contribué à l’amélioration des résultats », pointe l’Institut de l’élevage.
Note : Estimations des résultats courants 2022 réalisées à partir des données de près de 300 exploitations issues du dispositif Inosys, dont 45 en bio. Les groupes d’exploitations Inosys obtiennent régulièrement des résultats nettement supérieurs à la moyenne du Rica : écart de l’ordre de +40 % en plaine et +30 % en montagnes et piémonts du Sud.
En montagne et en bio, le résultat moyen 2022 est en baisse ou en légère progression. L’effet sécheresse n’a pas été compensé par une hausse suffisante du prix du lait.
Pour le groupe Montagnes et piémonts du Sud, l’évolution des résultats est favorable depuis 2020 mais lente. En 2022, le revenu moyen progressait de 38 %, mais « cette hausse et le niveau de revenu moyen atteint cacheraient des disparités en fonction du débouché du lait (AOP ou conventionnel) et du montant des achats pour faire face à la sécheresse et au déficit fourrager. Le niveau moyen atteint reste insuffisant », développe l’Institut de l’élevage.
En Montagnes de l’Est, 2022 joue les trouble-fêtes avec un revenu estimé en baisse, alors que les résultats avaient tendance à progresser lentement mais sûrement depuis 2016. « La hausse du prix du lait AOP (+30 €/1 000 l) aurait pu contrebalancer la hausse des charges conjoncturelles liées à l’inflation. Malheureusement, la sécheresse a conduit à une baisse des livraisons de lait et à des achats onéreux de fourrage. » Le résultat moyen resterait à plus de 30 000 €/UMO.
En Bio de plaine, la situation est préoccupante. Le revenu poursuit sa dégringolade amorcée en 2019. En 2022, les éleveurs bio ont subi un effet ciseau entre les produits et les charges. « Les volumes de lait livré par exploitation ont baissé, sans pouvoir contraindre les charges en proportion. L’évolution du prix du lait a été de -3 €/1 000 l en moyenne », détaille l’Institut.
Les écarts intragroupe se creusent aussi
Alors qu’il y a huit-dix ans, les écarts étaient faibles entre les groupes d’exploitations laitières, ils se sont accentués depuis et ont explosé en 2021 et 2022.
En outre, au sein de chaque groupe les écarts se creusent également, pointe l’Institut de l’élevage. Par exemple, chez les Spécialisés lait de plaine, le revenu oscille de 42 000 à 84 000 €/UMO exploitant. C’est dans le groupe Lait et cultures de vente que l’hétérogénéité est la plus forte : de 60 000 à 122 000 €/UMO exploitant. En Bio de plaine, le revenu varie de moins de 10 000 euros à près de 40 000 €/UMO exploitant.
« Ces écarts intra-groupe ne sont pas nouveaux. Pour des structures laitières quasi identiques, sur la récolte 2021, la différence de performance et de résultat entre le quart inférieur et le quart supérieur se jouait d’abord sur la maîtrise des charges opérationnelles (-400 €/ha, -25 %), puis sur le niveau des produits (+300 €/ha, +10 %). Au final, l’écart sur le résultat courant était déjà très significatif : 700 €/ha », ajoute Didier Roinson. Il pourrait s’accroître pour les récoltes 2022.
Les stratégies de précaution payantes
Ces gros écarts de résultats s’expliquent beaucoup par les stratégies de précaution qu’ont mises en place les éleveurs. La réalisation de stocks fourragers conséquents en 2021, conservés sur l’exploitation, est une forme d’épargne fourragère, qui a permis en 2022 d’éviter d’acheter à des prix très élevés. « La contractualisation de certains approvisionnements avant les augmentations de prix a pu aussi permettre de contenir certaines hausses de charges », ajoute l’Institut. Se couvrir n’a pas été gagnant à tous les coups. Les conseillers rappellent qu’il vaut mieux répartir les positions sur plusieurs échéances, ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Enfin, « la constitution d’une épargne de précaution a pu faire la différence, pour pouvoir passer commande au bon moment », souligne l’Institut. Les écarts de résultat montrent l’intérêt de se constituer des marges de sécurité.
Cerfrance accentue son conseil sur ces points. « Pour saisir des opportunités d’achat, il faut avoir suffisamment de fonds de roulement, qui peut s’exprimer en nombre de mois de dépenses. En lait, avant la récolte 2022, le fonds de roulement moyen couvrait trois mois de charges. Pour le quart le plus performant en termes de résultat, le fonds de roulement atteignait six mois de charges ! Tandis que le quart le moins performant devait avoir recours à des prêts court terme pour certaines dépenses courantes. »
Chiffres clés
Récoltes 2023, un début d’effet ciseau ?
Pour ses premières simulations sur l’année 2023, Cerfrance Seine Normandie a envisagé un scénario pessimiste avec une hausse du poste aliments de 5 à 15 %, une hausse du poste engrais de 10 à 30 % (même si le prix est multiplié par deux, la baisse des volumes achetés réduit l’impact), une évolution de l’énergie entre 0 et +10 % et du coût des matériels et bâtiments entre +3 et +7 %. « En moyenne, le prix de revient 2023 approcherait alors des 500 €/1 000 l, pour une fourchette de 450 à 550 €. Or, ce nouveau bond de 40 €/1000 l risque de ne pas être couvert par le prix du lait, attendu au mieux à 480 € (450 € en prix de base). En moyenne, le prix du lait pourrait donc ne plus permettre de rémunérer les 2 Smic », détaille Didier Roinson, de Cerfrance Seine Normandie.
Et pourtant la dynamique laitière est en berne
La hausse du prix du lait et du résultat courant ne parviennent à enrayer la tendance à une perte de dynamique laitière.
Malgré ces résultats, la dynamique laitière marque toujours le pas, avec des arrêts d’activité laitière et une baisse de la collecte (-0,7 % par rapport à 2021). Pourquoi un tel paradoxe ? interrogeait l’Institut de l’élevage lors des journées Grand angle lait en avril. Les réponses sont multiples. Le fait que le prix du lait français se soit nettement fait distancer par le prix de ses voisins, notamment d’Europe du Nord, a pesé sur le moral des éleveurs autant que sur la possibilité de refaire les trésoreries.
Tenir le prix du lait en 2023
« Il faut qu’il y ait un rattrapage sur le prix du lait français par rapport à celui de nos voisins européens. Il est resté de longs mois bien en deçà. Il faut à présent qu’il reste au-dessus un certain temps ; ce qui ne va pas dans le sens de l’annonce du ministère de l’Économie qui veut réouvrir des négociations commerciales dès le mois de mai pour faire baisser les tarifs », s’inquiète Guy Le Bars, président de la coopérative laitière Even.
Il y a également le problème de l’image de l’élevage dans la société. Les éleveurs font face à toujours plus de demandes sociétales sur le bien-être animal ou l’environnement. Enfin, il y a le problème de la main-d’œuvre (lire page 63) que beaucoup trouvent de plus en plus difficile à trouver et à conserver.
Un prix de revient 2022 juste couvert par le prix du lait
Le prix de revient des exploitations spécialisées en lait conventionnel de Seine Normandie a augmenté de 30 à 40 €/1 000 l environ, et est estimé à environ 460 €/1 000 l pour 2022 (+/- 20 €/1 000 l). « C’est une moyenne. Nous estimons que le prix de revient varie dans une fourchette très large entre les meilleurs et les moins performants ; en gros de 410 à 510 €/1 000 l, en fonction des écarts de prix à l’achat des aliments, de l’énergie, de l’engrais, des équipements…, mais aussi des quantités consommées. En face, le prix du lait réel payé était d’environ 450 € sur 2022. Ce qui signifie qu’en moyenne le prix du lait 2022 couvre le prix de revient basé sur une rémunération de 2 Smic par exploitant. Cette moyenne cache des écarts, avec des exploitations où le prix du lait payé n’aura pas réussi à couvrir le prix de revient », souligne Didier Roinson.