Dans la Sarthe : « J’ai presque doublé ma surface en soja en 2021 »
Après une première année test, Gaël Delangle a cultivé 7 hectares de soja en 2021, le maximum permis par la rotation. L’objectif est de distribuer toute l’année 1 kilo de soja broyé aux 70 vaches à 9 000 litres de moyenne économique.
Après une première année test, Gaël Delangle a cultivé 7 hectares de soja en 2021, le maximum permis par la rotation. L’objectif est de distribuer toute l’année 1 kilo de soja broyé aux 70 vaches à 9 000 litres de moyenne économique.
« Pourquoi ne pas essayer le soja ? » Cette petite phrase lancée par l’animateur du groupe culture (Casea) a fait tilt chez Gaël Delangle. En 2020, comme quatre autres agriculteurs, il s’est jeté à l’eau. « Mon objectif depuis plus de dix ans est de progresser en autonomie alimentaire. Cultiver du soja permet de franchir un pas supplémentaire en autonomie, tout en diversifiant les cultures », argumente cet éleveur sarthois, installé avec sa femme Sylvia à Torcé-en-Vallée, avec une production de 630 000 litres de lait livré à Bel. « Avec le réchauffement climatique, on a de plus en plus d’ensoleillement et de chaleur, la culture de soja devient possible. » L’essai sur 4 hectares en 2020 a été concluant puisque la surface a presque doublé en 2021 avec l’implantation de 7 hectares. « C’est la surface maximale permise par la rotation, car le soja ne peut revenir que tous les quatre ans sur une parcelle.» En 2020, il a récolté 33 q/ha à 13-14 % d’humidité le 15 septembre, et en 2021 35 q/ha à 13,7 % d’humidité le 24 septembre.
« Je sème très dense à 850 000 pieds par hectare »
Le soja, tout comme le maïs et les céréales, est irrigué. « L’exploitation est sur des terres à dominante sableuse. Sans irrigation, ce n’est pas possible de cultiver. » Les terres sont plutôt favorables au soja qui n’aime pas l’excès d’eau. « Il faut des sols drainants. » Pour Gaël Delangle, la clé est d’être méticuleux au semis. Il a été semé cette année le 25 avril à 2-3 cm de profondeur, immédiatement après l’inoculation des semences. « Le sol doit être bien rappuyé et frais », insiste-t-il. Gaël utilise un semoir à céréales classique après un passage d’outil à dents à 20-25 cm sur un sol propre. « Je sème très dense à 850 000 pieds par hectare pour que le soja couvre le sol le plus vite possible, et faciliter la récolte : un soja dense peut se coucher en restant à 20 cm de hauteur ce qui permet de glisser la coupe à blé sous les tiges. Et plus c’est dense, plus la première gousse est haute (par effet de concurrence), moins on en perd. »
Des sondes capacitives pour piloter l’irrigation
Cette année, l’eau s’est fait attendre huit jours après le semis avec pour conséquence « un peu de salissement ». Gaël a appliqué le programme de désherbage préconisé au niveau du groupe culture : un passage en post-semis de Proman 1,5 l + Mercantor 1 l sur sol frais, puis deux passages en post-levée de Pulsar (un antidicot) à 0,3-0,4 l. Il n’a pas eu besoin d’un rattrapage antigraminées (Klaxon), ni de fongicide ou d’insecticide.
L’irrigation est pilotée au plus juste grâce à une sonde capacitive de 60 cm : « Elle fournit des informations sur l’humidité du sol en fonction de la profondeur, ce qui permet de déterminer le moment opportun pour irriguer. » En 2021, le soja a reçu quatre passages de 25-30 mm (le premier au 15 juillet) contre huit passages en 2020 : « il est aussi gourmand que le maïs », observe-t-il. Avec des enrouleurs amortis depuis longtemps , le coût du passage est estimé à 30 euros par hectare.
Un essai variétés a été mis en place en 2021 avec la chambre d’agriculture. « Le choix de la variété est important : il ne faut pas se tromper. Il y a trois points d’humidité d’écart avec deux variétés de même précocité 000 récoltée le même jour, constate-t-il. Sirelia me parait être un bon 4x4 du soja. Je vais probablement l’utiliser en 2022 avec une autre variété en essai semence. » Certaines variétés ont été atteintes de sclérotinia. Le champignon restant présent quatre ans dans le sol, Gaël prévoit l’année prochaine de traiter le soja (et les 5,5 ha de choux à choucroute sous contrat) avec un produit de biocontrôle.
Une année test avec du soja broyé puis du soja extrudé
En 2020, les 13 tonnes de soja récoltées sont venues remplacer une partie du tourteau de colza dans la ration semi-complète. Les 70 vaches ont une ration mixte avec 7-8 kg MS d'ensilage de maïs, 5 à 7 kg MS d'ensilage d’herbe/ensilage de luzerne (toujours entre 18 et 20 MAT), 0 à 1,5 kg de paille broyée, du tourteau de colza, 2 kg de maïs grain/orge ou d’un aliment riche en amidon (en fonction de l’intérêt économique), des minéraux, de l’urée... « Le pâturage représente au maximum 3 kg MS de la ration au printemps mais les vaches sortent de mars-avril à octobre-novembre sur cinq parcelles attenantes », précise Gaël Delangle. Les vaches reçoivent par ailleurs au DAC du tourteau de soja 48 non OGM (en moyenne 0,5 kg) et une VL (50 % maïs-50 % colza). « On est vigilants sur le malaxage de la ration pour éviter le tri et les variations alimentaires », souligne Philippe Chesnay, le nutritionniste (Ruminesens) qui suit l’élevage depuis une dizaine d’années.
Un boyage à 15 €/t et une extrusion à 100 €/t
Pour cette première année test, Gaël Delangle a distribué le soja produit sous deux formes : broyée et extrudée. Le soja broyé a été incorporé dans la ration semi-complète à l’automne 2020 à raison de 1 kg/VL/j (avec 1,4 kg colza). Un arrangement avait été trouvé avec un négociant et une prestation à 15 €/t. « Le soja broyé ne peut pas être gardé plus d'un mois et demi, il doit être stocké à plat, et ne peut pas être distribué au DAC ; il a un peu la même consistance que du maïs grain humide », précise l’éleveur. Le soja extrudé (5 t) a été incorporé au moment de la mise à l’herbe à raison de 500 g/VL/j (avec 0,6 kg de colza). L’extrusion était réalisée par l’entreprise Valorex et facturée 100 €/t. Le soja qui revient extrudé n’est pas celui produit sur l’exploitation.
Diluer les 25 tonnes produites sur l’année
Des analyses ont été réalisées. Le soja broyé affiche des teneurs de 369 g/kg en MAT et en matière grasse de 20,3%, et le soja extrudé 423 g/kg en MAT et 19,4 % en matière grasse.
Suite à cette année d’essai, Gaël Delangle compte distribuer la totalité du soja produit sous forme broyée. « L’extrusion coûte 85 €/t de plus que le broyé pour gagner 60 g de protéines. De plus, cela me gêne qu’il ne soit pas celui de l’exploitation. L’idée est de diluer les 25 tonnes produites sur l’année à raison de 1 kg/VL/j, sans avoir à trop travailler le soja. » « On peut monter sans problème à 1-1,5 kg de graines crues. L’important est de ne pas dépasser 4 à 5 % de matière grasse dans la ration », précise Philippe Chesnay.
Gaël broiera le soja lui-même. Il vient d’investir dans une cellule de stockage, les graines seront triées par le négociant. Il a acheté un broyeur et un mélangeur d’occasion (1 500 €). Avec le montage, l’électricité, la vis… l’installation devrait revenir autour de 4 000 à 5000 €. Elle lui permettra de broyer son soja au fur et à mesure, mais aussi les céréales autoconsommées. Encore un pas de plus vers l’autonomie !
Chiffres clés
° 70 vaches à 9 000 l de moyenne économique
° 106 ha dont 7 ha de soja, 5,5 ha de choux, 15 ha d'orge, 5 ha detriticale, 24 ha de maïs ensilage, 6 ha de luzerne/dactyle, 19 ha de RGI-TV-TIncarnat, 30 ha de prairies naturelles
° Coût alimentaire(1) : ration novembre 2020 : 81€/1 000 l dont 45 € de concentré ; ration avril 2021: 72 €/1 000 l dont 44 € de concentré
Un apport d’huile bénéfique pour la santé
Au niveau des animaux, l’éleveur n’a pas observé d’effet du soja broyé ou extrudé sur la production, qui est restée autour de 30 litres par vache et par jour. « Il n’y a pas d’effet au niveau de la protéine : on a retiré le colza en proportion du soja apporté. En revanche, au niveau de l’énergie, on amène 100 à 200 g d’huile par vache par jour », souligne Philippe Chesnay. 50 % des acides gras de l’huile de soja sont sous forme d’acide linoléique. C’est un acide gras indispensable qui intervient dans la fabrication des membranes cellulaires : il a un effet bénéfique sur l’hydratation de la peau et aide à lutter contre la dermatite digitée. « Cette troisième forme d’énergie (les deux autres sont l’amidon et la cellulose) n’a pas d’effet spectaculaire sur la production mais elle amène de la santé. »
Coût de production du soja
° 826 €/ha en 2020 :
Engrais 56 €
Semences (850 000 pieds) 300 €
Innoculant 50 €
Désherbage 80 €
Irrigation (8 passages) 240 €
Récolte 100 €
° 556 €/ha en 2021 :
Le poste semences a été divisé par deux grâce à l’utilisation de semences fermières, ainsi que le poste irrigation avec seulement 4 passages.
Et si je vends du maïs grain au lieu de distribuer du soja broyé ?
Il s’agit de comparer d’un côté l’achat de tourteau de soja 48 et de matière grasse équivalents au soja produit sur un hectare, en déduisant la marge brute dégagée par un hectare de maïs grain. Et de l’autre, le coût de production d’un hectare de soja et du broyage de la graine.
Le calcul est réalisé à partir des résultats techniques 2020 (33 q/ha à 36,9 % MAT et 20,3 % matière grasse) et du prix du soja 48 non OGM acheté sous contrat par Gaël Delangle pour cet hiver (560 € HT/t), et du prix de l’huile de soja sur zone (1,3 €/kg) .
1 - Calcul du coût du soja 48 équivalent à un hectare de soja produit
1 ha de soja produit 33 q à 36,9 % MAT soit 1 217 kg de protéines
C’est équivalent à 1 217/45 % = 2 706 kg de tourteau de soja 48
Coût équivalent de l’achat de tourteau de soja 48 : 2,706 t x 560 €/t =1 515 € (1)
2 - Calcul du coût de la matière grasse équivalente à un hectare de soja produit
1 ha de soja produit 33 q à 20,3 % MG soit 670 kg MG
2 706 kg de tourteau de soja 48 fournissent environ 54 kg MG
Soit une différence soja produit/tourteau acheté de 616 kg MG
Coût équivalent de l’achat d’huile de soja : 616 kg x 1,3 €/kg = 800 € (2)
3 - Marge dégagée par un hectare de maïs grain
Produit : 96 q sec payé 130 € après séchage = 1 250 €
Charges opérationnelles + irrigation + récolte = 680 €
D’où une marge annuelle de 570 € (3)
4 - Prix de revient de la protéine et de la matière grasse
Si je produis 1 ha de maïs grain : (1) + (2) – (3) = 1 745 €
Si je produis 1 ha de soja et le distribue broyé : coût de production du soja 826 €/ha + coût du broyage 3,3 t x 15 €/t = 49 € soit 875 €
Conclusion :
° Le soja est plus intéressant que le maïs grain si l’on prend en compte l’apport de matière grasse (prix de revient de la protéine et matière grasse: 875 € comparé à 1 745 €). En revanche, si on ne le prend pas en compte (on n’achète pas d’huile), il y a peu d’écart (875 € comparé à 945 €).
° Un calcul analogue peut être fait avec l’achat de tourteau de colza (à 32 % MAT). Avec un prix d’achat à 300 € HT/t, l’écart en faveur du soja est moindre mais reste très favorable (875 € comparé à 1 371€). Si l’on n’achète pas d’huile, le maïs grain devient plus intéressant (875 € comparé à 571 €).
° En 2021, le coût de production du soja est descendu à 556 €/ha, ce qui accroît son intérêt.
° Les calculs sont établis à partir de valeurs MAT minimales analysées sur les tourteaux de soja (45 %) et de colza (32 %). Les prix des tourteaux, maïs grain et huile de soja sont les prix rencontrés chez Gaël Delangle dans les années en cours 2020–2021.