[Changement climatique] « Semer des dérobées n’est pas une fin en soi »
Dans le Cantal, pour refaire ses stocks de sécurité pour ses 75 vaches laitières, le Gaec de Celange a semé l’an dernier du méteil et des dérobées. Mais la remise en cause du système fourrager, y compris le maïs, semble inéluctable.
Dans le Cantal, pour refaire ses stocks de sécurité pour ses 75 vaches laitières, le Gaec de Celange a semé l’an dernier du méteil et des dérobées. Mais la remise en cause du système fourrager, y compris le maïs, semble inéluctable.
« Comme c’est organisé actuellement, cela ne marche plus. Mais nous ne savons pas forcément ce qu’il faut faire. » Arnaud Vigier et Jérémie Combes, éleveurs à Val d’Arcomie, dans le Cantal, ne restent pas inertes face aux méfaits du changement climatique. Les essais ne sont pas toujours concluants, mais les cultures dérobées implantées en 2020 ont permis de sauver la mise pour l’hiver et de voir venir pour la saison prochaine. « Il va falloir trouver des cultures qui durent car gratter la terre pour semer des dérobées n’est pas une fin en soi, disent-ils néanmoins. Cela coûte cher et ce n’est pas la panacée. » Une réflexion et des essais menés dans le cadre d’un groupe Dephy (réduction des phytos).
Le Gaec de Celange produit 455 000 litres de lait, pour la filière lait cru AOP cantal et bleu d’Auvergne de Sodiaal, sur 157 hectares très sensibles à la sécheresse. Vingt-deux allaitantes Aubrac valorisent les surfaces les plus éloignées. L’exploitation vient de subir trois années successives de déficit hydrique, avec toutefois de bons stocks au printemps 2020. Le Gaec veille à avoir toujours du stock d’avance sous forme de foin, autour de 200 balles. Le report de stock d’ensilage et enrubannage est interdit dans les AOP.
Du méteil sur prairie vivante
À l’automne 2019, pour reconstituer le stock d’avance qui s’était épuisé, ils ont implanté 6 hectares de méteil (seigle, pois, vesce) derrière des céréales. Ils ont récolté 6 à 8 tMS/ha. « Avec le méteil, on est assurés d’avoir de bons rendements car il pousse hors période de sécheresse. Il ne coûte pas cher à implanter et il est intéressant pour sa facilité d’exploitation : en ensilage précoce pour compléter un silo d’herbe, immature si on veut davantage de rendement, en grain si on a suffisamment de stock. » Il a été consommé par les vaches au cours de l’été dernier. Les éleveurs ont également semé 4 hectares de méteil sur prairie vivante.
Le but est de redonner un peu de rendement et de la vigueur à une prairie dégradée sur sol sensible à la sécheresse où la réimplantation reste aléatoire. Mais le résultat n’a pas été concluant. Le méteil a mal tallé et le rendement n’a pas dépassé 1 tMS/ha pour un coût de semis (avec la prestation) de 215 €/ha. Mais, reconnaissent-ils, « ça fait travailler les sols, ça les aère ». Un échec qu’ils ont du mal à expliquer, d’autant qu’à l’échelle du département, les résultats sont plutôt encourageants.
Sorgho multicoupe et teff grass en dérobé
Derrière les 6 hectares de méteil classique, ils ont implanté 3 hectares de sorgho BMR multicoupe (Bovital) et 3 hectares de teff grass (Steffanie), avec un résultat tout à fait intéressant. Les deux cultures ont été semées début juin au semoir combiné (après déchaumage), le sorgho à 25 kg/ha et le teff grass à 10 kg/ha. Quand il a atteint 50-60 cm de hauteur, le teff grass a été pâturé par 25 génisses pendant un mois et demi. Les éleveurs estiment le rendement à 3 tMS/ha. « Il nous a permis d’économiser du foin. En pâture, il a tendance à s’arracher. Mais c’est une plante surprenante. Elle résiste admirablement bien à la chaleur. »
Le sorgho a donné un rendement équivalent (3 à 3,5 tMS/ha). Mais il n’y a pas eu de deuxième coupe, à 1 000 mètres d'altitude. « Si nous le refaisons, nous choisirons plutôt un monocoupe, le rendement devrait être meilleur. » Cette année, vu la reconstitution du stock d’avance grâce au méteil et aux dérobés, le Gaec n’a implanté qu’un hectare de méteil et fera donc peu de cultures d’été. Les éleveurs veulent retrouver les 12 hectares de céréales nécessaires pour le troupeau – le méteil se fait à leur détriment – et implanter de la luzerne, qui fait aussi partie de leur stratégie d’adaptation au changement climatique.
Le maïs ensilage a-t-il encore sa place ?
Reste une question épineuse pour le Gaec, celle du maïs ensilage. Il y a 25 ans, il fut un des pionniers de cette culture dans son secteur. Aujourd’hui, il est remis en cause. Ces deux dernières années, les éleveurs n’ont récolté que 8 tMS/ha alors qu’ils situent le seuil de rentabilité à 10 tonnes. « Nous avons démarré le maïs pour viser l’autonomie fourragère, explique Arnaud Vigier. Il a répondu à nos attentes. Mais, aujourd’hui, nous ne nous y retrouvons pas. Nous réduisons la surface tous les ans. Nous serons à 5 hectares en 2021. À moins, ça ne vaut plus la peine. Nous envisageons de l’arrêter. » Mais franchir le pas n’est pas simple. Il y a d’abord l’engagement sur le semoir en Cuma qui court encore sur quatre ans. Et comment le remplacer ? « Le rendement est faible mais il amène de la valeur alimentaire, analyse Jérémie Combes. Revenir à un système herbe, avec plus de luzerne, pour faire des stocks au printemps et avoir recours aux cultures annuelles et aux dérobés pour reconstituer le stock de sécurité les années plus difficiles ? Nous avons tous la même réflexion dans le groupe Dephy. »
Chiffres clés
Réduire l’âge au vêlage
Depuis quelques années, l’âge au premier vêlage est passé de 32-33 mois à 27-28 mois pour réduire les besoins alimentaires. Les éleveurs prévoient aussi de supprimer les vaches prim’Holstein, qu’ils jugent inadaptées à leur système, pour ne conserver que des montbéliardes et Simmental.
Adapter les cahiers des charges AOP
« Cela fait des années que nous demandons des dérogations parce que nous n’arrivons plus à respecter le cahier des charges AOP à cause du climat, constate Arnaud Vigier. Elles portent principalement sur la durée de pâturage (120 jours et 70 % d’herbe dans la ration) et les achats de fourrages hors zone. Le cahier des charges est dépassé. Il faut remettre les choses à plat pour les rendre acceptables et réalisables sans dérogation systématique, mais sans pour autant détruire notre image. » L’éleveur participe à un groupe de réflexion au sein du Comité interprofessionnel des fromages (AOP cantal et salers) sur ce sujet.