Dans l’attente des retours des pouvoirs publics européens et français, l’organisme de défense et de gestion (ODG) de l’appellation d’origine protégée (AOP) beurre Charentes-Poitou avait misé sur un déploiement volontaire de son nouveau cahier des charges de l’appellation. Un calendrier avait été fixé. Au 1er juillet 2022, les éleveurs se convertissaient à une alimentation sans OGM. Au 1er janvier 2023, l’ensemble du nouveau cahier des charges serait appliqué. Mais c’était sans compter sur la rapidité des services de la Commission européenne. « Nous ne nous attendions pas à un retour aussi rapide de Bruxelles », avoue Christophe Limoges, président du collège producteurs du syndicat des laiteries, l’ODG.
« Après validation par l’Inao (administration en charge des signes d’origine et de qualité), nous avons envoyé notre proposition de nouveau cahier des charges fin 2020 à la Commission européenne », explique Laurent Chupin, directeur du syndicat des laiteries. « Nous avons eu un dernier retour de la Commission en avril et maintenant il y a une période de trois mois d’opposition des autres États membres. Une fois ce temps écoulé, en quelques semaines un décret ministériel sera publié et alors les opérateurs auront trois mois pour faire connaître leur décision d’intégrer ou non la nouvelle AOP. »
Le calendrier s’accélère donc. À la rentrée, les 18 000 exploitations que compte la zone d’appellation devront faire un choix : intégrer ou non le nouveau cahier des charges. Deux facteurs entrent en balance : le montant de la prime AOP proposée par la laiterie et les surcoûts afférents aux nouvelles contraintes.
Se lancer ou non ?
Côté prime, « elles oscillent entre 25 et 40 euros pour 1 000 litres », témoigne Christophe Limoges. Le montant dépend de la stratégie et du modèle économique de chaque laiterie.
Des coopératives de petite taille comme Pamplie ou la Coopérative laitière de la Sèvre ne peuvent pas se permettre de mettre en place ni des collectes séparées ni des lignes de transformation distinctes entre du lait AOP et du lait conventionnel. Alors elles font tout pour inciter au maximum leurs éleveurs à se lancer. Outre un fort accompagnement des techniciens, des montants de prime avoisinant 50 euros pour 1 000 litres en ajoutant le sans-OGM et la qualité sont évoqués. « Certaines entreprises font du forcing car elles veulent que tous les éleveurs passent en AOP », illustre Christophe Limoges.
D’autres entreprises n’ont pas les mêmes débouchés et n’auront pas la possibilité de valoriser l’ensemble de leur collecte en AOP. Actuellement, seule la moitié de la production de la zone est transformée en beurre AOP. « Les entreprises qui rayonnent sur l’ensemble du territoire vont faire des zonages pour la collecte », convient celui qui est également président de l’interprofession régionale.
30 €/1 000 l de surcoût en moyenne
Côté surcoût, les contraintes du nouveau cahier des charges à l’amont sont estimées à « 30 euros pour 1 000 litres en moyenne », calcule Christophe Limoges. Une étude du Criel, se basant sur des données de juin 2021, évalue le surcoût dans une fourchette de 15 à 35 euros pour 1 000 litres selon la typologie d’élevage. Depuis, les prix des intrants ont augmenté. « Mais le prix de base auquel s’ajoute la prime AOP aussi », glisse le président du Criel Nouvelle-Aquitaine.
« Deux éléments sont importants dans le nouveau cahier des charges, considère Laurent Chupin, directeur de l’ODG. L’alimentation sans OGM et la limite de 1 200 kg/MS par vache laitière et par an d’aliments protéiques (teneur en MAT supérieure à 20 %) pouvant provenir d’en dehors de la zone d’appellation. »
« Le non-OGM interroge sur la disponibilité des aliments et, même s’ils sont disponibles, sur leur surcoût, abonde Johan Fonteniaud, animateur au Criel Nouvelle-Aquitaine. Dans notre étude, la limite des 1 200 kg pose souci pour quatre exploitations sur les onze étudiées. »
« Nous travaillons depuis plusieurs mois avec les fabricants d’aliments pour qu’ils proposent une gamme correspondant au nouveau cahier de charges », assure le directeur de l’ODG. Autre solution, mais pas des plus aisées : travailler l’autonomie au niveau de sa ferme.
D’importants questionnements
Si, face aux surcoûts, la prime n’est pas au rendez-vous, alors l’éleveur peut décider de ne pas intégrer le nouveau cahier des charges. « Il est encore trop tôt pour savoir le nombre d’éleveurs qui vont passer dans la nouvelle AOP », estime l’ODG. Il faut dire que les syndicalistes locaux n’ont pas toujours poussé dans le sens du nouveau cahier des charges, y voyant là un moyen de pression sur les industriels.
« Il faut une hausse de prix conséquente, sinon je n’inciterai pas à y aller », « vous avez le pouvoir aujourd’hui face aux transformateurs : celui de signer ou non. Si cela ne vous convient pas, vous n’y allez pas ! », pouvait-on entendre lors des assises de la FNPL en décembre, organisées en Vendée au cœur de l’aire géographique de l’appellation.
Si l’objectif affiché est d’amener le maximum d’éleveurs, « selon le niveau de primes, nous pouvons arriver à 70 voire 80 % des exploitations », apprécie Christophe Limoges.
Sur le terrain, des éleveurs s’interrogent encore, notamment à la vue de la conjoncture actuelle. À l’image d’Alain Noirtault, qui élève 90 vaches en Gaec dans les Deux-Sèvres. « Nous attendons le dernier moment », explique celui qui est également membre du conseil d’administration du collège producteurs. « C’est l’économique qui va parler, révèle-t-il. Le non-OGM pose des difficultés en termes d’approvisionnement. Je ne sais pas non plus où vont nous mener les aléas climatiques, avec des sécheresses à répétition qui interrogent sur la disponibilité des fourrages et concentrés issus de la zone d’appellation. »
Peu de visibilité à moyen terme
« Si les éleveurs ne vont pas vers l’AOP, économiquement, ils ne perdront rien », indique Christophe Limoges. Ou presque. Certaines laiteries proposent une valorisation spécifique de la matière grasse dans le cadre de l’AOP à travers une prime au TB. De plus, quid des surcoûts de collecte à l’avenir ? « Plus des producteurs passeront dans la nouvelle AOP, moins l’impact sera important d’un point de vue économique pour toute la filière », admet Laurent Chupin. Pour le directeur de l’ODG, la marche n’est pas insurmontable. « Il est intéressant de faire cet effort pour aller chercher cette valorisation supplémentaire. »
À l’avenir, un indicateur économique, à l’image de ce qui se fait pour les fromages AOP d’Auvergne, sera mis en place afin de mesurer l’impact de l’AOP sur la valorisation de la filière. « Cela permettra d’objectiver les négociations commerciales », explique-t-il.
« Dans le contexte de déprise laitière de notre territoire, si nous voulons installer des jeunes, la rémunération fera partie de la solution », avance Christophe Limoges.