Au tarissement, les antibiotiques c’est pas automatique
Face à l’antibiorésistance, à la pression réglementaire et à la remise en cause de son réel intérêt thérapeutique, l’antibiothérapie systématique au tarissement des vaches laitières cède logiquement la place au traitement sélectif.
Face à l’antibiorésistance, à la pression réglementaire et à la remise en cause de son réel intérêt thérapeutique, l’antibiothérapie systématique au tarissement des vaches laitières cède logiquement la place au traitement sélectif.
Si le nombre de traitements intramammaires a diminué de 25 % sur les dix dernières années notamment sous l’impulsion des plans Ecoantibio, les marges de progrès sont encore importantes. En 2020, l’Anses estimait à 60 le nombre de traitements intramammaires appliqués au tarissement pour 100 vaches laitières, et à 64 en période de lactation.
Des solutions existent pour réduire le recours aux antibiotiques au tarissement en sélectionnant les vaches qui ne nécessitent pas ce type de traitement. Cette approche n’est pas nouvelle – les premiers travaux remontant aux années 2000 –, mais la pratique reste peu déployée sur le terrain. À dire d’experts, entre 10 et 20 % des élevages pratiqueraient le traitement sélectif au tarissement. Pourtant, il va bien falloir s’y mettre ! D’autant que la réglementation a donné en janvier dernier un nouveau coup de frein aux antibiotiques utilisés préventivement.
Cela implique de changer les habitudes et de repenser le tarissement. « Nous passons d’un système simple et sécuritaire où toutes les vaches reçoivent un traitement identique sans avoir à se poser trop de questions, à un système où il faut trier les animaux, réfléchir au cas par cas au traitement à appliquer (antibiotique, obturateur, les deux ou rien), surveiller les résultats et ajuster le tir si besoin », résume Philippe Roussel, de l’Institut de l’élevage.
« C’est un véritable changement de paradigme, poursuit Frédéric Lemarchand, de Zoetis. Depuis les années 1970, les recommandations étaient d’appliquer systématiquement un antibiotique au tarissement. Ces derniers se sont révélés un très bon outil d’assainissement des mamelles contaminées en cours de lactation, mais nous savons aujourd’hui que même les antibiotiques à large spectre ne permettent pas de prévenir les nouvelles infections, en particulier celles liées au colibacille et à streptocoque uberis à l’approche du vêlage. » Le risque d’infections réside en effet surtout dans les premiers jours qui suivent l’arrêt brutal de la traite, à un moment où le canal du trayon reste perméable, et dans les trois semaines précédant le vêlage, quand la mamelle se remplit à nouveau.
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De plus, « le contexte épidémiologique a changé, évoque Marylise Le Guénic, des chambres d’agriculture de Bretagne. En cinquante ans, les taux d’infections mammaires ont énormément baissé dans les exploitations, et la sélection génétique sur la résistance aux mammites permet également des avancées. Il est normal d’adapter la stratégie de tarissement au contexte actuel ».
Les obturateurs, une alternative préventive pertinente…
Le développement du premier obturateur interne de trayon a ouvert la voie il y a vingt ans, rendant possible la suppression de l’utilisation d’antibiotiques sur les vaches saines. Désormais commercialisés par divers laboratoires, les obturateurs seraient employés sur 30 à 50 % des vaches françaises.
« Ils sont constitués de sous-nitrates de bismuth associés à des dérivés de silicone et de paraffine, et forment une pâte qui vient se positionner dans le canal du trayon, décrit Frédéric Lemarchand en précisant qu’ils n’ont aucune activité antimicrobienne. Ils miment l’action mécanique du bouchon de kératine par une substance inerte. » En rendant le sphincter hermétique, les obturateurs assurent une protection pendant toute la durée du tarissement. Avec quelques précautions lors de la pose, l’efficacité préventive de l’obturateur s’avère en fait meilleure que celle des antibiotiques dont l’efficacité décroît généralement après six semaines de tarissement et plus vite encore si la vache perd son lait.
… mais à condition de bien les utiliser
Mais encore faut-il réussir à administrer l’obturateur sans introduire d’agents pathogènes. « La seringue ne doit pas être un vecteur de contamination ! C’est un geste quasi chirurgical », expose Frédéric Lemarchand. Après l’hygiène, le second enjeu porte sur la bonne application du produit dans le canal du trayon. Il ne faut pas que la pâte puisse remonter dans la citerne, sans quoi elle ne jouera pas son rôle.
« Sachant que plus d’un élevage sur deux (56 %)(1) présente un taux de nouvelles infections pendant la période sèche supérieur à 10 % (valeur seuil pour une situation dégradée), nous préconisons l’emploi systématique de l’obturateur au tarissement », prône Frédéric Lemarchand. Une sécurité qui pourrait se justifier également par le fait que 60 % des mammites au cours des deux premiers mois de lactation ont pour origine des infections au cours du tarissement.
« Tout dépend du contexte de l’élevage, nuance Jean-Pierre Massoz, vétérinaire à Littoral Normand. Si le taux de nouvelles infections est bien maîtrisé, que les vaches ne produisent pas plus de 15 litres au tarissement et que l’hygiène du logement est au rendez-vous, l’éleveur peut se passer d’obturateur. » Par contre, si la situation dérape, il faut réagir vite.
Les antibiotiques pour guérir, les obturateurs pour prévenir
Dans tous les cas, pour franchir le pas du traitement sélectif, mieux vaut démarrer petit à petit, en testant d’abord sur certains animaux et plutôt à la belle saison. Votre motivation sera déterminante. Si vous n’êtes pas convaincu et proactif, la démarche a peu de chance de succès.
« La réussite du traitement sélectif au tarissement dépend beaucoup moins de la sélection des vaches que de l’éleveur qui la met en place », conclut Philippe Roussel. Le fait que la technique ait déjà fait ses preuves dans des pays étrangers a peut-être de quoi rassurer les plus inquiets. Les Pays-Bas, par exemple, sont largement en tête en Europe avec 85 % des exploitations pratiquant le traitement sélectif. L’usage d’antibiotiques au tarissement y a beaucoup diminué sans effet délétère sur la santé de la mamelle(2).
Principales causes d’échec
Certains éleveurs ont essayé l’obturateur seul sans antibiotique, mais les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes. Ces mauvaises expériences passées ont pu jeter le discrédit sur l’utilisation de l’obturateur seul et plus généralement le traitement sélectif. Or, elles sont le plus souvent liées à un mauvais choix des animaux, à une mauvaise application de l’obturateur (problème de bulle d’air, diffusion du produit trop haut dans la mamelle, manque d’hygiène lors de l’administration), ou à des conditions de logement perfectibles.
Le poids des habitudes et la crainte de l’échec sont les principaux freins. En traite robotisée, la nécessité de retirer l’obturateur manuellement n’enchante pas non plus toujours les éleveurs.
Côté éco
Le coût est quasi équivalent entre un obturateur et un traitement antibiotique hors lactation. « L’économie de produit est modique, note Marylise Le Guénic, des chambres d’agriculture de Bretagne. C’est surtout le fait de renforcer la prévention qui rend la stratégie obturateurs gagnante, en diminuant potentiellement le nombre de mammites cliniques ou subcliniques et en réduisant le risque de contamination d’autres vaches. » Rappelons que le coût d’une mammite clinique est estimé à 230 euros par vache et par an.
À retenir
Les antibiotiques visent avant tout à guérir les mamelles contaminées au cours de la lactation. Leur rôle de prévention, variable selon les matières actives et le type de bactéries, ne couvre pas l’intégralité de la période sèche.
Les obturateurs assurent un rôle de barrière physique pour empêcher les pathogènes d’entrer dans la mamelle en rendant le sphincter hermétique. Leur rôle préventif envers les nouvelles infections couvre la durée du tarissement.