Aller au contenu principal

Agrimaine : une unité de méthanisation de 3 600 kW très vertueuse

D’une puissance de 3 600 kW,  l’unité de méthanisation Agrimaine tourne avec 85 % d’effluents, essentiellement du fumier produit par 110 élevages. Un bel exemple d’économie circulaire qui, après un an de fonctionnement, tient tous ses objectifs.   

La transition énergétique, on en parle beaucoup. Certains la font, comme les éleveurs d’Agrimaine. Et pourtant, il leur aura fallu dix ans pour réussir à faire aboutir leur projet, tant les obstacles administratifs ont été nombreux (voir Réussir Lait, novembre 2018, p.86). La raison de ces difficultés et du manque de soutien ? La taille du projet, avec tous les a priori qu’elle peut susciter. C’est en effet un véritable site industriel qui est sorti de terre à Charchigné, en Mayenne, en 2019 avec deux méthaniseurs de 12 000 m3, une alimentation automatisée, un bâtiment de stockage sous atmosphère contrôlée, l’hygiénisation des digestats…

95 000 tonnes de fumier sur les 120 000 tonnes de biomasse

Être « très gros » n’empêche pourtant pas la SAS Agrimaine d’être en phase avec les attentes actuelles en matière d’environnement et d’économie circulaire. Elle est vertueuse à plus d’un titre. Elle produit de quoi couvrir les besoins en électricité de 20 000 personnes (30 000 MWh/an) tout en créant 13 emplois en zone rurale. La chaleur est valorisée par une fromagerie voisine appartenant à Lactalis. « C’est ce qui a conditionné la taille du projet, car la fromagerie était partante à condition que l’on couvre un tiers de ses besoins », soulignent Laurent Taupin et Patrick Forêt, les deux éleveurs dirigeants de la SAS de production Agrimaine. Mais surtout, elle utilise extrêmement peu de cultures énergétiques, à peine 5 % de la biomasse. Sur les 120 000 tonnes de biomasse, 95 000 tonnes sont des fumiers de bovins ou de volailles, et 8 000 m3 du lisier. Ces effluents proviennent de 110 exploitations de polyculture-élevage, situées dans un rayon de 25 km, avec en moyenne 60-70 vaches et 80 à 100 hectares. Les 15 % de biomasse restants se partagent en quantités à peu près égales entre des cultures (maïs, méteil, seigle), des produits d’opportunité et des sous-produits laitiers.

Un site en vitesse de croisière depuis le 1er avril 2020

 

 
 © Agrimaine
© Agrimaine
« Notre priorité absolue, c’est de défendre et maintenir l’élevage sur le territoire, et donc de mettre le maximum d’effluents dans les méthaniseurs. C’est pour cela que nous avons été mandatés par les éleveurs engagés dans le projet, insiste Patrick Forêt. Les cultures représentent entre 0 et 10 % de la ration. Nous priorisons l’incorporation de fumier. Nous avons naturellement un peu moins de fumier en période estivale, nous incorporons alors un peu de maïs ou de Cive. Toutefois, cet été nous avons eu plus de fumier que prévu, nous avons donc consommé moins de maïs (5 000 t au lieu de 11 000 t). L’excédent de nos contrats a été revendu à des adhérents en manque de fourrages. » 

 

Sur la phase de mise en route du site, tous les délais ont été tenus. Le chargement a débuté comme prévu en juillet 2019, avec un démarrage de la production électrique début septembre et l’arrivée des moteurs à pleine puissance mi-octobre. Même si l’épidémie a compliqué l’aménagement de certains process et la livraison de pièces, depuis le 1er avril 2020, le site fonctionne à pleine charge, en vitesse de croisière. « Cela signifie que les matières premières prévues au contrat sont absorbées au rythme et au volume prévu, que les digestats sortent aussi au rythme et volume prévus et que le gaz est produit au volume objectif. Les preuves de performance haute de l’outil que nous avions demandées contractuellement à notre constructeur (Biogest) sur 90 jours viennent d’être atteintes à 100 % », explique Patrick Forêt. Le moteur de cogénération atteint 43 % de rendement en électricité, et 17 à 20 % de l’énergie primaire est valorisée en vapeur vendue à la laiterie.

Une matière plus compliquée mais plus méthanogène

 

 
L'alimentation des digesteurs est automatisée, avec un système de grappin en chargement des trémies. © Agrimaine
L'alimentation des digesteurs est automatisée, avec un système de grappin en chargement des trémies. © Agrimaine

 

S’ils sont plutôt « très satisfaits » de ces résultats, les deux dirigeants d’Agrimaine ne cachent pas que le fumier est une matière plus compliquée à triturer que du lisier, ou des produits végétaux. « Il faut le défibrer (le temps de séjour est de 50 jours contre 20 à 30 habituellement), il y a plus d’usure, de casse et de blocage liés aux inertes (bouts de bois, ficelles, pierres…). Nous avons eu deux ou trois écueils liés à notre biomasse. Notre taux d’usure et de maintenance est plus important que d’autres unités. Un an n’est pas de trop pour mettre en place un plan de maintenance. » Lors de la conception du site, les lignes d’incorporation de la biomasse ont été doublées, de façon à avoir toujours deux lignes en fonctionnement pendant que deux lignes sont en maintenance, et ainsi pouvoir travailler à volume constant. Le fumier génère des surcoûts d’exploitation, mais il a un pouvoir méthanogène nettement supérieur au lisier et surtout il est moins cher que les produits végétaux. « Dans notre modèle, plus on utilise de fumier, plus c’est intéressant économiquement », souligne Laurent Taupin.

Un point clé : l’organisation du transport des effluents

 

 
Le déchargement au quai des fumiers en camion-caisson. © Agrimaine
Le déchargement au quai des fumiers en camion-caisson. © Agrimaine

 

Pour le transport du fumier, Agrimaine travaille avec deux prestataires en utilisant un système de 70 caissons. Ceux-ci les déposent chez les agriculteurs qui ont 24 à 48 heures pour les remplir, et doivent les maintenir propres. Les prestataires les amènent avec un porte-caisson sur le site où la matière est pesée et stockée dans une fosse profonde. « En sortie nous récupérons deux produits avec AMM : un produit liquide Fertidil (85 % du digestat) et un produit solide Ferdisol (15 % du digestat) », explique Patrick Forêt. Le digestat solide est amené sur les exploitations par l’intermédiaire des caissons. Le digestat liquide est déposé par les prestataires dans les stockages des exploitations : la plupart ont investi dans une fosse ou poche au plus près des zones d’épandage. « Le bilan énergétique du transport est très bon : moins de 2 % de l’énergie produite »,  met en avant Laurent Taupin.

 

 
La reprise de digestat liquide avec le camion citerne.  © Agrimaine
La reprise de digestat liquide avec le camion citerne. © Agrimaine

 

L’organisation des transports d’effluents et de digestats est un point clé : une logisticienne a été embauchée, et travaille avec le logiciel Méthaflux. Le planning est établi à la semaine. Les éleveurs ont signé un contrat d’engagement de biomasse, et fournissent un caisson toutes les semaines ou tous les quinze jours. Systématiquement ils reçoivent une confirmation, même si le planning est régulier à 80 %. « Cela fonctionne plutôt bien, mais il y a toujours des imprévus à gérer : une soudure qui lâche, une vidange de fumier de volailles décalée d’un jour ou deux… » Des analyses sont réalisées régulièrement sur les différents catégories d’effluents et tous les mois sur les digestats. Le bilan sera fait en fin d’année. « Avec le digestat, nous maîtrisons mieux l’azote disponible et les quantités apportées », constate Patrick Forêt. Des formations sont prévues en octobre sur l’agronomie et la gestion des digestats.

Une communication régulière avec les 110 agriculteurs

« Cela fait plus de dix ans que l’on travaille tous ensemble sur ce projet », soulignent les deux dirigeants. Un comité de pilotage composé de quinze agriculteurs se réunit au minimum une fois tous les deux mois. Les 110 agriculteurs sont réunis deux fois par an. « On communique tout au long de l’année avec des lettres-infos sur la vie de l’entreprise et les résultats, et aussi par des envois groupés de mails pour des messages particuliers : sur un besoin de matière plus important, un changement de planning avec un départ de volailles repoussé, la propreté des caissons… »

Pour faire fonctionner le site, sept personnes ont été embauchées : un directeur, la logisticienne, un contremaître et quatre agents de maintenance pour le compte d’Idex (exploitant) et une logisticienne pour Agrimaine. Viennent s’ajouter les six salariés des deux prestataires de transport qui sont dédiées à Agrimaine… « L’objectif est d’avoir des salariés formés, 100 % autonomes sur tout ce qui est entretien, analyses, réglementaire, expliquent Laurent Taupin et Patrick Forêt. Nous surveillons la qualité de la prestation et le suivi contractuel. » En tant que dirigeants, Laurent s’occupe aussi de la partie logistique et échanges avec les agriculteurs, et Patrick assure le suivi administratif, financier et de la comptabilité avec l’aide de son épouse Karine.

Aller plus loin dans la transition énergétique

« Après un an de fonctionnement, nous collons à nos objectifs, et les agriculteurs engagés dans le projet sont plutôt satisfaits. Mais une chose est sûre, la cogénération de cette taille n’est plus recherchée aujourd’hui. Si le projet était à refaire, nous ferions de l’injection au vu de la dynamique actuelle de GRDF, concluent-ils. Mais nous sommes persuadés que notre modèle a sa place. Une unité de notre taille a la capacité à s’adapter, d’aller plus loin dans le processus de transition énergétique. Si demain il y a une possibilité de connexion au réseau de gaz près de chez nous, on s’y intéressera. Injecter du gaz quand on n’a pas besoin d’électricité, et faire rouler notre flotte de camions et celle de notre voisin au BioGNV auraient du sens. » La flamme est toujours là mais il ne faudrait pas que tout le monde souffle dessus…

Côté éco

Le tarif d’achat sur vingt ans a été défini par Agrimaine et retenu par la CRE (procédure d’appel d’offre en 2017) mais le projet ne bénéficie pas de subvention de l’Ademe. Seules subventions : 150 000 € du département et 200 000 € de la région.

Les éleveurs sont majoritaires

° Sur les 25 millions d'euros investis, les agriculteurs ont apporté 3,5 millions. « La société AB2M créée pour gérer leurs fonds propres est majoritaire dans le capital de la société de production Agrimaine. Notre objectif dès le départ était que le projet reste aux mains des éleveurs », soulignent Patrick Forêt et Laurent Taupin. Le reste du montant investi provient de Meridiam MRCF, un fonds d’investissement« Ils nous ont fait confiance à un moment où les banques étaient frileuses. »  

° Un million d'euros a été recueilli par financement participatif, fin 2018 sur deux plateformes (Wiseed et Lendosphère).

Pas d’opposition des riverains

Si, au cours de l’enquête publique, le projet ne s’est heurté à aucune opposition locale, c’est parce que les éventuels problèmes ont été anticipés. Dès 2011, tous les habitants de la commune ont été invités à un après-midi festif organisé sur l’une des exploitations pour présenter le projet : 450 personnes ont été accueillies ! Après le démarrage de l’usine, 180 personnes de la commune ont participé à des visites du site par petits groupes. Un temps de questions-réponses a permis de les rassurer : pas de problème d’odeur (stockage sous atmosphère contrôlée), étude ICPE par rapport au risque d’explosion, triple sécurité par rapport au risque de débordement…

Les plus lus

<em class="placeholder">Nathalie et Michel Daguer, éleveurs en Mayenne avec leurs vaches</em>
Pâturage hivernal : « Nous ne voyons que des bénéfices dans notre élevage en bio et en monotraite en Mayenne »

Le Gaec du Ballon en Mayenne, en bio et en monotraite, profite de conditions pédoclimatiques privilégiées pour pâturer en…

<em class="placeholder">guillaume rivet, éleveur dans les deux-sèvres</em>
Organisation du travail : « Nous avons robotisé la traite pour anticiper le départ à la retraite de mon père dans les Deux-Sèvres »

Le Gaec Privalait, dans les Deux-Sèvres, tourne entre mère et fils depuis bientôt deux ans. La robotisation de la traite, en…

<em class="placeholder">Daniel Rondeau (à gauche) est beaucoup plus serein depuis qu’il s’est réassocié avec Amaury Bourgeois et Raymond Papin (absent sur la photo). </em>
« Je me suis réassocié avec deux voisins, après avoir délégué l'alimentation et les cultures en Vendée »

Le Gaec Les 3 B, en Vendée, s’est constitué le 1er avril 2024. Daniel Rondeau s’est de nouveau associé, après…

<em class="placeholder">« L’herbe pâturée est la plus économique car, plus il y a de stock, plus les charges de mécanisation augmentent », soulignent Sébastien Le Goff et Julie Sylvestre.</em>
Diagnostic de système fourrager : « Nous avons prouvé la résilience de notre élevage face aux aléas climatiques dans le sud du Morbihan »

Au Gaec de Coët Cado, dans le Morbihan, pour s’assurer de la résilience de leur système fourrager aux aléas, les associés ont…

Carte de la zone régulée FCO3, en date du 19 décembre 2024.
FCO 3 : fin décembre, la maladie continue de progresser

À date de jeudi 19 décembre 2024, le ministère de l'Agriculture annonce 8 846 cas de fièvre catarrhale ovine sérotype 3.…

<em class="placeholder">Brice Minot, Vincent Colas et Cyrille Minot, trois des quatre associés du Gaec des forges, en Côte-d&#039;Or</em>
Élevage laitier : « Nous cherchons de la productivité et de l’autonomie pour rentabiliser nos installations en Côte-d’Or »

Au Gaec des forges, en Côte-d’Or, les associés ont robotisé pour mieux organiser le travail. La recherche d’un bon prix du…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 90€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Réussir lait
Profitez de l’ensemble des cotations de la filière Réussir lait
Consultez les revues Réussir lait au format numérique, sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce aux newsletters de la filière laitière