Volatilité et fermeté bousculent les habitudes des transformateurs
Si les flambées récentes des cours des matières premières sont porteuses d’espoir pour les producteurs, des inquiétudes pèsent sur l’avenir de certaines unités de première et seconde transformations. Comment gèrent-elles la hausse et l’instabilité ?
« LE TELEPHONE sonne toutes les deux minutes. Les clients nous questionnent, mais les affaires restent rares » , observait un courtier, il y a quinze jours, lors de la bourse internationale qui s’est tenue à Paris. Les professionnels y témoignaient tous de la fébrilité du marché. Une situation directement liée à l’extrême volatilité et à la flambée des matières premières.
Le prix du blé tendre, autour des 100 €/t rendu Rouen fin juin 2006, frise les 180 €/t sur la récolte 2007. L’envolée des orges est spectaculaire. Sur 2007/2008, le prix de l’orge de mouture équivaut celui du blé. En brasserie, le cours de la Sebastian a plus que doublé sur un an, en fob Creil. Les analyses affluent de toutes parts et sont unanimes : la tension des prix risque de perdurer, sinon de s’accroître. En effet, les besoins mondiaux sont en essor, tant sur l’alimentaire que le non alimentaire et les stocks, au plus bas, « ne jouent plus leur rôle tampon », estimait récemment Rémi Haquin, président de l’Onigc. « Aujourd’hui la variable d’ajustement c’est, donc, la consommation ». De plus, l’effet imprévisible des aléas climatiques devrait, comme cette année, régulièrement accentuer ce déséquilibre. C’est un changement profond des mécanismes des marchés qui est en train de s’opérer. Une nouvelle donne qui vient bouleverser l’organisation des industries de transformation des céréales.
La fonction Achats plus périlleuse que jamais
« Avec un prix du blé évoluant constamment, il est difficile de calculer un coût de revient » et de faire des prévisions, confie Jean Maurey des Moulins de Chars (Val d’Oise). La volatilité « introduit dans notre métier, une composante spéculative, avec les dangers que cela présente, qui n’existait pas du temps où la Pac jouait son rôle de régulateur », explique Michel Deloingce, des Moulins de Courteuil (Oise). La gestion des approvisionnements devient alors « une fonction essentielle ».
Si les politiques d’achat des meuniers n’ont pas encore foncièrement évolué, elle vont « devoir changer », anticipe Pierre-André Masteau, secrétaire général de la Meunerie française. L’ANMF relève à cet égard un « succès grandissant » des stages de formation à l’utilisation des marchés à terme. « On ressent aujourd’hui un besoin profond d’outil de gestion des marchés ». Mais recourir au marché à terme ne résout pas tout dans la mesure où il fait aussi courir un risque. Et « on ne peut, de toute manière, pas contourner la hausse et le manque de matières premières », constate résigné Jean Paulic, à la tête d’un moulin d’une capacité de 20.000 t/an en Bretagne. Concédant qu’il est de l’intérêt des professionnels de s’intéresser à ces dispositifs de couverture, Michel Deloingce regrette, que dans ce contexte de « volatilité énorme, les marchés céréaliers aient échappé au contrôle des opérateurs de la filière. Le physique est désormais soumis au marché à terme ». Les industriels de la première transformation n’ont plus qu’à se plier à ces nouvelles lois. La seule solution est alors pour les meuniers d’échelonner au maximum les achats pour lisser la tension sur l’année.
Le métier d’acheteur dans les entreprises brassicoles devrait bien évoluer lui aussi. Tous les opérateurs prônent une nécessaire adaptation dans les mois à venir.
L’évolution de la politique d’achats sera d’autant plus nécessaire que cette tendance à la fermeté perdurera. Outre le malt et le houblon, les brasseurs doivent faire face à un renchérissement du pétrole, du carton et du verre. Parmi les dispositions de gestion du risque à développer, plusieurs brasseurs entendent renégocier les contrats d’achats pluri-annuellement avec les fournisseurs. Ils aspirent donc à davantage de flexibilité.
La négociation avec l’aval sera déterminante
Mais c’est surtout « la revalorisation des prix de vente » qui est nécessaire pour assurer les marges des entreprises. C’est encore plus vrai pour les PME, plus vulnérables à la volatilité. Le prix du blé représentant 70 % de celui de la farine, la progression des cours de 60 % sur un an « peut mettre en péril nos entreprises », explique le dirigeant des Moulins de Chars, Jean Maurey. Reste à savoir s’ils seront en mesure de répercuter l’intégralité du différentiel sur leurs prix de ventes.
Tout dépendra de la poursuite ou non de la fermeté, puisqu’il « est difficile d’annoncer des hausses successives ». Le meunier du Vexin attendra quoi qu’il en soit de connaître le profil exact de la nouvelle récolte pour décider des tarifs. « Dans l’état actuel du marché, la hausse serait d’au moins 50 €/t ». Les industriels marchent donc sur des œufs et jouent la carte de la prudence, en révisant par exemple leurs politiques d’investissements. La situation est préoccupante du côté des petits et moyens meuniers. « Nous avons déjà perdu 6 points de marge » par rapport à l’an dernier déplore Jean Paulic, minotier dans l’ouest de la France. La pérennité de certaines structures serait menacée. En effet, « un petit meunier ne peut pas se consacrer tous les jours à la gestion de ses achats. Il subit alors d’autant les aléas des prix ».
Pour un malteur comme Malteurop, la hausse du prix des orges de brasserie a été intégralement répercutée sur les tarifs de vente, selon la responsable achat de cette entreprise. Si ce malteur réagit pour sauvegarder ses marges, la situation est, pour l’instant, plus délicate chez leurs clients brasseurs. « On ne va pas pouvoir continuer à casser nos marges », tempête le directeur d’une brasserie d’une capacité de 3.000 hl de bière par an, située en Lorraine. Il avoue avoir intégré la totalité de la hausse des matières premières (malt et houblon) cette année. Ce ne sera plus possible dans les mois à venir, sous peine de mettre la clef sous la porte. En d’autres termes, il faut s’attendre à des hausses du prix de la bière. L’association des Brasseurs de France a d’ailleurs fait écho de ce constat il y a quelques jours.
Bras de fer avec la grande distribution
La répercussion de l’envolée des prix s’avère plus que périlleuse quand on travaille avec la grande distribution. Reste à savoir qui, dans la filière, fera le plus de concession. « Dans le meilleur des cas, la hausse des prix de la bière devrait avoir lieu au 4 etrimestre, compte tenu des délais de négociations avec la grande distribution » , avance un brasseur.
Les professionnels de la nutrition animale portent eux aussi beaucoup d’espoirs sur la négociation avec les GMS, qui devrait être conclue avant juillet. Ils espèrent une répercussion de la hausse des matières premières jusqu’au consommateur final. Dans certaines régions, on prend le taureau par les cornes, à l’image des membres de l’Afab qui associent leurs compétences à celles de leurs partenaires commerciaux pour analyser et anticiper l’évolution des marchés (cf. encadré en page 1).
Un besoin accru d’information et de communication
Dans la filière farine aussi, les tractations commerciales seront compliquées. Comme le rapporte Jean Paulic, « les industriels font la moue. Ils ont du mal à imaginer que les produits puissent augmenter de manière aussi importante alors qu’avant les fluctuations étaient minimes. » Pour lui, l’ensemble de la profession se « doit de les informer de la particularité de la situation ».
Sensibilisés par les médias nationaux, les artisans acceptent l’annonce d’une tension, comme le constate Jean Maurey. Ils sont néanmoins « demandeurs d’explications » plus pointues. L’ANMF a répondu à cette attente en diffusant auprès de ses adhérents, et de la presse quotidienne régionale, une analyse résumant le nouveau visage du marché du blé tendre.
Le renchérissement du prix de la baguette n’est pas inéluctable
En aval aussi on a pris les devants pour éviter les écueils des précédentes flambées. La CNBPF (Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française) a ainsi diffusé, le 21 juin, un communiqué rappelant que le prix du pain est « fixé librement ».
Chaque boulanger peut choisir de l’augmenter ou non, explique Nadia Dhoukar, chargée des relations médias. Il a des alternatives, car si « le pain représente en moyenne 80% du CA des artisans, leur activité se limite rarement à ça ». Souvent pâtissiers et traiteurs, les boulangers ont d’autres moyens de compenser la perte de marge. De toute manière, « la hausse du prix du blé n’a pas d’impact pour le moment », affirme Nadia Dhoukar. Les industriels se retrouvent fragilisés par le manque de visibilité et la réduction de leurs marges. Une chose est sûre : le dialogue au sein des filières sera plus que jamais primordial pour la santé des entreprises.