Unifa
Vers une nouvelle vague de restructuration
Les industriels européens de la fertilisation seront bientôt soumis aux quotas d’émission de gaz à effet de serre, une perte de compétitivité qui risque d’être fatale à bon nombre d’entre eux
« NOUS VIVONS les dernières années d’une période d’abondance, où tout est accessible et bon marché, où tout le monde peut faire ce qu’il veut sans gêner les autres. Aujourd’hui, nous sommes à une époque charnière, où l’on tend vers un système durable à grande échelle, fondé sur une agriculture raisonnée. Et les producteurs d’engrais se doivent d’accompagner ce développement. » C’est en ces termes que Joël Morlet, président de l’Union des industries de la fertilisation (Unifa), a introduit la “4e Journée de la fertilisation”, qui s’est déroulée le 7 avril au Stade de France. Cette « plate-forme de réflexion et de discussion » avait pour thème “La fertilisation au service de la croissance verte”. L’occasion d’aborder des sujets comme “La chimie du végétal” ou “L’agriculture écologiquement intensive”. Mais le gros des débats a porté sur la politique européenne relative aux quotas d’émission de gaz à effet de serre et leurs conséquences sur l’industrie de la fertilisation.
Des consolidations inéluctables...
Les résultats 2010 sont, certes, en progression d’une année sur l’autre (cf. encadré), mais montrent un essoufflement. Joël Morlet en est conscient : « L’industrie des engrais a traversé de nombreux bouleversements depuis cinquante ans. Mais elle est toujours présente car elle repose sur des bases solides et qu’elle est compétente. A l’avenir, nous saurons faire les investissements qui s’imposent.»
Cependant, ces derniers se feront aussi par l’intermédiaire de consolidations, car « les surcoûts liés au bilan carbone conduiront à la fragilisation de certains acteurs ».
... conséquences des quotas d’émissions de gaz à effet de serre
En janvier 2005, l’Union européenne a lancé un plan sans équivalence dans l’histoire de la lutte contre les gaz à effet de serres (GES), dans la lignée des accords de Kyoto. C’est le début du marché de quotas d’émissions de GES, ou “European Union Greenhouse Gas Emission Trading Scheme” (EU ETS). Ce marché, basé sur la directive européenne 2003/87/EC entrée en vigueur le 23 octobre 2003, va être étendu aux industries de la fertilisation sur deux de ses process à partir de 2013. La Commission européenne propose d’attribuer des quotas sur la base d’une réduction de 90 % des émissions de GES par rapport à 1990, « inacceptable par l’industrie sans se mettre en péril sur le marché mondialisé des engrais azotés », s’insurge l’Unifa. « Si rien n’est fait pour enrayer ce mécanisme, au moins 25 % des entreprises (du secteur européen de la fertilisation, NDLR) risquent la fermeture par perte de compétitivité », renchérit Antoine Hoxha, directeur technique de Fertilizers Europe.
Pourtant, depuis 1990, les émissions des industries européennes de la fertilisation ont déjà été abaissées de 20 %. Et, en 2020, le secteur propose une réduction allant jusqu’à 75 %, objectif au-delà des obligations de la directive Energie Climat. « Pourquoi l’industrie des engrais devrait-elle faire davantage d’efforts alors qu’elle est dans une situation de concurrence très forte ? », s’interroge l’Unifa. La Russie et l’Ukraine, avec des capacités disponibles en nitrate d’ammonium de respectivement 1,8 Mt et 1 Mt, sont des « prédateurs potentiels pour l’Europe », argue Antoine Hoxha. « Des études ont démontré que, pour notre secteur, le risque de fuite carbone est bien réel », ajoute-t-il. Ainsi l’arrêt de productions en Europe conduirait-il à l’importation de produits fabriqués « dans de moins bonnes conditions environnementales, sans compter la carbone émis par le transport de ces pondéreux sur des milliers de kilomètres », explique l’Unifa.
Bilan carbone, un outil collectif
« L’avenir d’une partie de l’industrie européenne des engrais dépend donc de la rapidité de la réponse politique à ce problème aigu », souligne Antoine Hoxha. Aussi, « se considérant comme une filière responsable », l’Unifa a volontairement choisi de mener un travail sectoriel d’évaluation de son empreinte carbone. « L’objectif principal est de développer de façon collective un outil spécifique à son industrie, basé sur le bilan carbone permettant à chaque membre de quantifier sa propre empreinte carbone », indique Pierre Cazeneuve, conseiller de GCLDD. A terme, le but est également de fournir des données actualisées aux différents acteurs agricoles, afin d’harmoniser les données. « Ce bilan carbone sera un des tous premiers à l’échelle sectorielle, réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’UIC (Union des industries chimiques, NDLR) et l’Ademe », précise Gilles Poidevin, délégué général de l’Unifa.
Cependant, dans ce contexte difficile, le président de l’Unifa se veut résolument positif : « L’industrie de la fertilisation est au cœur de la triple problématique de l’agriculture de demain. A savoir, nourrir sept milliards d’humains en 2050, tout en permettant le développement des biocarburants et de la chimie verte, et lutter contre le réchauffement climatique. Dans ce contexte, les producteurs d’engrais sont une solution et non un problème, comme beaucoup de détracteurs le pensent. Nous nous devons d’être des acteurs innovants en apportant des solutions dans certains domaines, comme la sécutité de l’approvisionnement en engrais et le développement d’une agriculture intensive durable. »