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Vers une hausse du prix des pâtes

Confrontée à l’envol du blé dur, la filière française ne peut plus rogner ses marges et entend faire en sorte que les prix à la consommation soient relevés

FERME DEPUIS 2006, le marché du blé dur enregistre aujourd’hui une tension « encore plus violente », déplore Jean-Victor Bregliano, directeur général de la semoulerie Bellevue du groupe Panzani, à Marseille. « En vingt-cinq ans de métier, je n’ai jamais vu de telles variations », insiste-t-il. Les prix ont en effet progressé en France de 30 à 40% selon les origines en quelques semaines. à 250 €/t vendredi, le fob Séville ne cesse de grimper. La situation devient critique pour la filière assure Christine Petit, directrice générale du Sifpaf (Syndicat des industriels fabricants de pâtes alimentaires de France) et du CFSI (Comité français de la semoulerie industrielle). Les professionnels indiquent, dans un communiqué du 5 juillet, que cela « se traduira par une forte augmentation du prix des pâtes. L’industrie européenne, déjà fragilisée par une surcapacité de production, n’étant pas en état d’absorber cette nouvelle hausse » aujourd’hui structurelle et donc sans doute pérenne.

Le blé dur influencé par les autres céréales

Dans un contexte tendu pour l’ensemble des matières premières agricoles, en raison du déséquilibre entre offre et demande, le marché du blé dur se laisse aspirer par la spirale haussière. D’autant que les réserves mondiales de cette céréale tendent elles aussi à se réduire. à 2,3Mt, selon le CIC, le stock de report cumulé des états-Unis, du Canada et de l’UE est en effet attendu, fin 2007/2008, à son plus bas niveau depuis dix ans. à cela s’ajoute l’impact négatif de la météo sur les cultures. Confronté à la sécheresse, le Maroc, avec des volumes réduits de moitié, devrait accroître ses importations. La production grecque a aussi souffert de la chaleur et du manque d’eau et la situation est préoccupante dans certaines régions italiennes. Ainsi, en Europe, des lots seraient déjà déclassés et orientés vers le débouché nutrition animale. L’Italie –devenue importatrice suite à la réforme de la Pac en 2003– et le Maroc comptent parmi les principaux clients de blé dur de l’Hexagone.

Un micro-marché très sensible

Les professionnels du blé dur évoluent en France sur un micro marché. En effet, le pays ne compte que 7 semouleries de grandes tailles, basées à proximité des bassins de production, dans le Sud-Est (Rhône-Alpes et Paca), le Sud-Ouest (Poitou-Charente), l’Ile-de-France et la Haute-Normandie. Leurs débouchés sont la fabrication de couscous et de pâtes alimentaires. Cette concentration se retrouve en aval avec 14 usines de pâtes et couscous en France appartenant à 9 sociétés. Cela se traduit par une interdépendance forte entre les deux maillons de la filière et une intégration poussée dans le secteur. Plus étroit que celui du blé fourrager, le marché est très sensible. Dans un contexte d’équilibre précaire entre offre et demande, il se montre plus nerveux que jamais, réagissant de manière exacerbée à toute nouvelle haussière. Ainsi, même les années de sécheresse, les semouliers n’avaient jamais connu « de telles hausses tant en valeur ajoutée qu’en amplitudes depuis la réforme de la Pac en 1993 », qui s’était soldée par un repli du marché, témoigne le directeur général de la semoulerie de Bellevue. De plus, l’année calendaire couvrant deux campagnes distinctes, « nous parvenions à amortir les fluctuations », souligne Antoine Chiron, directeur de la semoulerie Alpina Savoie. Mais « la fermeté du début de 2006 /2007 ne s’est pas estompée », comme s’était le cas d’habitude, « et la nouvelle campagne démarre encore plus fort» résume Philippe Parès, de Pasta Corp, groupe qui a repris les activités semoulerie, pâtes et couscous de Rivoire et Carré/Lustucru.

Marché encore empreint d’incertitudes

Il est difficile pour les acheteurs de se positionner sur un marché aussi erratique. Les opérateurs « perdent leurs repères », d’autant que de nombreuses incertitudes persistent. Ces craintes accélèrent d’ailleurs la tension des prix. En France, où la moisson, morcelée par les pluies, est en cours, les conditions ne sont pas très favorables et l’on s’inquiète de leur impact sur les qualités et quantités. Dans le Sud-Ouest et le centre de la France, la qualification de la récolte est en particulier encore incertaine. Et, selon Antoine Chiron, « très peu d’informations filtrent chez les OS ». Si les opérateurs espèrent un tassement des cours avec l’arrivée de la récolte, la décote se fera sur des prix déjà supérieurs de 30 à 40%. En attendant, faute d’offre, « seules quelques petites quantités ont été traitées à ces niveaux de prix ».

Pour cette période de l’année, « les échanges sont moins étoffés que la normale », note d’ailleurs Jean-Victor Bregliano du département semoulerie de Panzani.

Le marché reste dépendant des cours mondiaux

Avec des prix mondiaux supérieurs à ceux affichés en France, les OS pourraient se laisser tenter par l’export, si la qualité est au rendez-vous. Les relations au sein de la filière seront dès lors essentielles pour que le marché domestique soit privilégié. Ainsi, même si certains industriels pratiquent la contractualisation –qui leur garantit une qualité et un volume d’approvisionnements–, elle ne les met pas à l’abri des fluctuations des marchés, les prix étant fixés à la réalisation. Ceux qui n’ont pas encore mis en place des contrats cadres se penchent sérieusement sur la question. Les industriels rêvent aujourd’hui d’un contrat engageant les partis sur les prix, pour s’affranchir de la volatilité. Impossible donc pour le moment d’y échapper. Et, sur le long terme, la situation pourrait s’aggraver.

En effet, les prix de revient du blé tendre étant désormais supérieurs à ceux du blé dur en France, compte tenu des rendements relatifs, les agriculteurs pourraient être tentés de privilégier la culture de blé tendre, aux itinéraires culturaux moins complexes. à moins que les fabricants d’aliments composés ne s’intéressent de près à cette matière première, si les qualités étaient décevantes…

La France exporte un tiers de ses semoules

Un contexte difficile à gérer sur un marché exigu et de fait « très concurrentiel », comme l’explique le semoulier marseillais. Car, si les unités françaises consomment près de 70% des semoules nationales (360.911 t utilisées pour la fabrication de 239.129 t de pâtes et 80.526 t de couscous, pour une consommation de blé de 714.090 t en 2006), le pays exporte 31 % de sa production. Elles trouvent preneur chez nos voisins européens ou dans certains pays du Moyen-Orient et d’Afrique. La révision des prix sera difficile sur cette destination compte tenu du pouvoir d’achat local. Sur les autres débouchés, la hausse devra être répercutée jusqu’au consommateur, « si l’on veut rester compétitif au niveau industriel, et poursuivre les travaux d’amélioration qualitative et variétale », argumente Jean-Victor Bregliano de la semoulerie de Bellevue.

Une progression des prix intenable pour les pastiers

Du côté des fabricants de pâtes, « c’est la crise », alerte Xavier Riescher directeur général de la section pâtes de Panzani, à Lyon. Cette tension n’est pas tenable : « nous travaillons un produit à très faibles marges », composé essentiellement d’eau et de blé, et « ne pouvons pas encaisser une telle augmentation ». « Nos structures permettent d’absorber des variations classiques de l’ordre de 15 à 20 % », relève le professionnel de Pasta Corp, assurant que « maintenir les prix serait courir au suicide ».

Dans un contexte de surproduction en Europe, le marché des pâtes était jusqu’ici plutôt coutumier des baisses. Fragilisé, le secteur a ainsi déjà comprimé ses marges. Or la hausse des cours du blé dur de 2006 n’a pas été répercutée. La hausse est d’autant plus nécessaire que la pâte est un produit très concurrentiel.

En effet, si la consommation a doublé en vingt ans (40.000 t en 1985, contre plus de 80.000 t en 2005), les importations progressent en France. La moitié du marché est désormais aux mains des Italiens. En 2006, la France a néanmoins exporté 11% de sa production de pâtes et 22 % de ses couscous. Mais cette année « certains contrats à l’export sont suspendus en attendant de savoir à quel prix s’engager », rapporte Xavier Riescher de Panzani. « Chaque tonne vendue à l’international au prix de 2006 nous fait perdre de l’argent », déplore-t-il. L’envolée et la volatilité les incitent donc à la prudence et à « renégocier les contrats ».

La négociation avec les distributeurs sera déterminante

Tout va se jouer dans les discussions avec la grande distribution, qui impose des délais d’environ trois mois pour l’application d’une révision de prix. La hausse devrait donc être effective à la rentrée. C’est autant de temps perdu pour la filière, alors que les Italiens auraient déjà pu relever leurs tarifs.

De plus, comme le précise Antoine Chiron d’Alpina Savoie, les négociations avec les distributeurs se déroulent désormais au niveau européen. L’annonce d’une revalorisation peut les conduire à « lancer une nouvelle consultation, et risque de nous faire perdre les marchés ». La situation de surproduction complique, bien entendu, les choses. Les négociations seront d’autant plus difficiles que la grande distribution redoute d’être portée responsable de l’inflation, par le gouvernement notamment. Panzani assure, de son côté, que les GMS, conscientes qu’il ne s’agit « pas d’une mesure de confort », mais d’une nécessité, « comprennent cette augmentation ».

Les industriels s’inquiètent aussi de la réaction du consommateur. L’impact sur le panier de la ménagère serait à relativiser alors que la part de l’alimentaire ne cesse de baisser. Et à 1,50 €/kg, une hausse de 10% correspondrait à 15 centimes supplémentaires à l’achat. Les pâtes, qui comptent parmi les incontournables des repas des Français, restent l’un des aliments les moins chers. Le consommateur ne devrait donc pas les bouder de si tôt.

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