Une intercampagne tendue malgré une hausse des semis de blé
Marché – Une gestion du risque de prix est incontournable, au vu de la volatilité des cours qui devrait s’accentuer dans les années à venir
« Ce n’est pas le marché à terme qui fait grimper les prix, il accélère simplement les tendances : ce sont les fondamentaux qui donnent la direction générale des cours. » C’est le message qu’a voulu faire passer Vincent Graffin, responsable Achats des Moulins Soufflet, à l’occasion des “Journées Matières premières 2010” organisées par l’Aftaa les 1er et 2 décembre derniers à Paris. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le marché du riz, aux mains de cinq exportateurs thaïlandais qui ont réussi à multiplier par trois son prix, sans l’intervention d’un quelconque marché à terme. « Ce n’est pas parce qu’il n’existe pas de marché à terme, que les prix ne montent pas », remarque-t-il. Lors de son intervention relative aux “Bilans et perspectives du marché du blé”, il est revenu sur la politique de gestion du risque du premier collecteur privé de grains français.
Des fondamentaux haussiers
Concernant, les perspectives d’évolution du marché du blé d’ici la fin de campagne, « les éléments aujourd’hui sont plus haussiers que baissiers », constate le responsable de chez Soufflet. Au titre des facteurs positifs, on peut citer la parité euro/dollar qui redonne de la compétitivité au marché européen à l’exportation. Certes, le dernier appel d’offres de l’Egypte nous a été raflé par les Américains, mais pour un différentiel de prix de « seulement 4 euros la tonne, ce qui n’est rien », affirme Vincent Graffin. Le plus inquiétant, c’est la faiblesse des stocks de fin de campagne au niveau mondial, européen et français. Les réserves nationales en blé sont en-deça du stock outil, en raison notamment de la hausse de la consommation des fabricants d’aliments pour animaux et des utilisations pour la production de bioéthanol. Cette situation devrait conduire à des tensions sur les prix d’intercampagne. Et ce malgré les premières prévisions de semis pour la récolte 2011 qui font état d’une « progression de 4 % des surfaces ensemencés sous blés au niveau mondial, +1 % à l’échelle européenne et +3,2 % pour la France ». D’où une hausse prévue de la production globale pour 2011/2012 « de l’ordre de 25 à 30 Mt, ce qui devrait à peine compenser la hausse de la consommation à l’échelle de la Terre et en aucun cas permettre de reconstruire les stocks ». Pour ce faire, il faudrait atteindre 40 Mt de production supplémentaires, ce qui nécessite des rendements exceptionnels. « Mais on n’en prend pas le chemin », s’inquiète le responsable Achats. Outre les problèmes de qualité des blés australiens et américains, dont le pourcentage de grains “bons” à “excellents” –qui se situe à 47 % contre 63 % l’an dernier à la même époque– atteint un plus bas historique depuis 1990, il faut s’attendre –au vu des conditions hivernales actuelles– à des dégâts par le gel en mer Noire et en Russie. « Il reste beaucoup de temps avant la prochaine récolte et les aléas climatiques sont toujours possibles : il faut donc rester extrêmement prudents », insiste le responsable de chez Soufflet.
Et les choses n’iront pas en s’améliorant dans les années à venir, étant donné que le potentiel de croissance de la production agricole se situe aujourd’hui dans les pays d’Amérique du Sud ou d’Europe de l’Est, qui sont davantage soumis aux accidents météorologiques que nos régions tempérées. D’où un risque de prix de plus en plus important. « Cette volatilité qui est dangereuse pour la filière des céréales doit absolument être gérée. C’est difficile, j’en conviens. Malheureusement, on ne peut pas revenir en arrière ! », déclare pragmatique Vincent Graffin.
Une position consolidée et des garde-fous, les clefs de la gestion du risque
« Le Matif, on ne peut (donc) plus s’en passer », insiste le dirigeant du Groupe Soufflet. « Avant 2007, la situation était gérable. » Mais l’équilibre de plus en plus fragile entre production et consommation, la concurrence internationale accrue, la disparition progressive des “filets de sécurité”–comme l’intervention– et l’arrivée de la spéculation financière des fonds d’investissements ont conduit à une volatilité des cours sans précédent et rendu nécessaire l’utilisation d’outils de gestion du risque prix. Chez Soufflet, cela passe au niveau du Groupe par la mise en place d’une « position consolidée Matières premières », comme l’explique Vincent Graffin : « Sans une position juste et rigoureuse, on ne peut pas gérer le risque : avoir une vraie position ouverte est incontournable. » Puis, à l’échelle de chaque divison, on gère le risque de variation du marché par le « développement de l’utilisation du Matif pour les couvertures et l’utilisation des options –et autres produits dérivés– pour gérer la volatilité des cours ». Ainsi Soufflet Agriculture a-t-il mis en place « des contrats structurés qui le protège à la hausse et à la baisse ». Et le responsable Achats de préciser : « On est en mesure de proposer des prix garantis aux agriculteurs, sur la base de contrats pluriannuels. » Enfin, pour éviter que la machine ne s’emballe, « il existe des garde-fous sur les positions ouvertes Matières premières et sur les produits structurés utilisés ».